Monster - Actualité manga

Critique de la série manga

Publiée le Jeudi, 18 Février 2016

Quelle facilité pour un critique de se livrer à l'emploi de tous les superlatifs imaginables pour persuader un lecteur de se lancer dans une série. Et pourtant... Monster mériterait que l'on s'attarde sur ce procédé, tant justement ce modèle du seinen mérite les louanges. Excellent, superbe, formidable, inégalable... Mais l'on ne s'en contentera pas. Il est nécessaire de montrer pourquoi Monster fait office de manga incontournable.

Le synopsis est simple : en 1986, dans une Allemagne non réunifiée, à Düsseldorf, le docteur Kenzo Tenma, jeune médecin japonais, exerce son art. Talentueux, beau, généreux, son origine étrangère est malgré tout difficile à porter dans le milieu. Promis à un brillant avenir, fiancé à Eva Heineman, la fille du directeur de l'hôpital, il voit son destin basculer le jour où il décide de soigner en priorité un jeune garçon atteint d'une balle dans la tête plutôt que le notable admis après l'enfant. Son histoire d'amour prend l'eau, sa hiérarchie et ses collègues le lâchent mais surtout, le sauvetage de l'enfant donnera naissance à l'un des plus grands tueurs en série qu'ait connu l'Allemagne. Le docteur Tenma se lancera donc à la recherche du Monster, cet individu qui laisse la mort et le désespoir sur son passage.

L'histoire prend place à différentes époques et dans différents lieux. Naoki Urasawa sait retranscrire la richesse, la générosité, les vices, de populations et de cultures qui ne sont pas les siennes durant l'ensemble de son manga : un tour de force pour un auteur étranger que de s'adonner ainsi à une représentation aussi réaliste d'une Europe de l'Est. Certains passages laissent le lecteur pantois d'admiration : Heidelberg, Prague, Francfort, la frontière entre Allemagne et République Tchèque... Les environnements et les villes sont reproduits avec un soin admirable. L'ambiance générale ressortant du manga est épatante.

Avec la richesse des lieux et des époques arrivent logiquement des thèmes divers et passionnants. Monster fait oeuvre de fiction avec des sujets forts. La base de son scénario, ce sont les expériences menées par les nations communistes sur l'enfance, l'eugénisme, la confrontation des blocs de l'Est et de l'Ouest, l'espionnage, l'administration corrompue, les complots. Mais c'est aussi la violence sociale, l'enfance en orphelinat, l'enfance battue, l'enfance moquée, les nouveaux phénomènes de mode tels que le suicide organisé, les ruelles malfamées d'une frontière où règnent le sexe et la drogue, les discriminations, le communautarisme, la renaissance des extrémismes. Tout cela dans un seul manga ? Evidemment, et pas traité de n'importe quelle manière. Finesse, sagesse : tels sont les maîtres-mots d'Urasawa. C'est parce que son intrigue – la recherche du Monster, la découverte de son passé et les questionnements des différents personnages – le conduit à explorer différentes facettes qu'Urasawa traite de ces thèmes. Toujours susciter l'intérêt du lecteur, jamais laisser les choses au hasard. Urasawa maîtrise son histoire de bout en bout. Et ce ne seront pas les nombreux flash-backs et changements brutaux de situations et de personnages qui déstabiliseront le lecteur, tant ceux-ci sont distillés avec intelligence.

Monster, c'est aussi une galerie de personnages fournie. Si le lecteur averti sait que l'auteur excelle dans le traitement de ses personnages, il faut préciser au profane qu'il a face à lui l'un des mangas où le mot « personnage » prend tout son sens. Qu'on se le tienne pour dit : Naoki Urasawa est reconnu dans la communauté des scénaristes et dessinateurs de bande dessinée pour savoir donner une âme à ses personnages en quelques chapitres seulement. Un tempérament, un charisme, une identité : chaque personnage de Monster est unique, comme chaque Homme réel peut l'être. Tout est naturel. Les personnages de Monster et leurs relations sont riches, intéressants, attachants, différents. Machiavéliques, excentriques, torturés, meurtris, parfois heureux. Complexes, c'est certain car expérimentant des émotions tout à fait opposées de tome en tome. Attention néanmoins à ne pas se leurrer : thriller et réalisme renvoient nécessairement à des personnages qui souffrent. Monster n'est pas en soi violent comme peuvent l'être d'autres mangas. La violence dans Monster, c'est la violence des Hommes : psychologique ou physique. Ce n'est pas une violence brute et instinctive, gratuite et spectaculaire, jouissive et voyeuriste : la violence dans Monster illustre un propos. Les personnages ne sont pas des héros de la vie quotidienne, des individus ordinaires qui auraient des révélations. Ils se défendent comme ils peuvent, comme ils veulent parfois, et ils attaquent parce qu'ils ont leurs raisons. Les passages de tranches-de-vie sont fréquents, l'auteur permettant à son lecteur de souffler un peu tout en enrichissant son histoire et ses personnages par ce repos salvateur. Ainsi, des souvenirs impérissables demeureront chez tout lecteur devant le docteur Kenzo Tenma, Nina, Eva Heineman, le commissaire Rünge, Grimmer, Dieter, le docteur Leichwein et tant d'autres encore... Chacun a son rôle, ses rôles, à jouer dans l'avancement de l'intrigue pour permettre de stopper le Monster.

Graphiquement, le trait de l'auteur est brouillon dans les deux premiers tomes mais cela s'arrange vite. Son style est reconnaissable et son talent pour les décors est évident. On s'y croirait tant le trait est fin, tant les lieux sont réalistes, tant les scènes d'action sont dynamiques et le suspens haletant.

Dans Monster, Urasawa jouera avec vos nerfs, avec un récit maîtrisé à la perfection, des retournements de situation inattendus, des sacrifices, beaucoup de surprises.

Si cela pouvait encore vous convaincre, Monster est l'un des mangas les plus primés en cumulant les récompenses des différents festivals spécialisés d'Asie et d'Europe.

Monster se révèle donc comme un des meilleurs mangas tout genre confondu : tout simplement parce qu'un manga d'une telle richesse, maîtrisé dans tous ses aspects, est rare.


Rogue


Note de la rédaction
Note des lecteurs
18/20

Evolution des notes des volumes selon les chroniques:

16.00,19.00,17.00,17.00,18.00,17.00,18.00,17.00,17.00,18.00,17.00,19.00,17.00,17.00,17.00,16.00,18.00,19.00,18.00,18.00,17.00,18.00,17.00,17.00,17.00,18.00

Les critiques des volumes de la série