L’homosexualité dans le manga, partie 1 - Actualité manga
Dossier manga - L’homosexualité dans le manga, partie 1

Démocratisation dans les années 70


Et justement, si Kaze to Ki no Uta et Devilman ont été des modèles pour Berserk, ils l’ont été pour bien d’autres mangas. Durant les années 70, le manga s’affirme comme un art légitime et non plus seulement comme un média de divertissement. Ajouté à cela le rejet du traditionalisme d’une partie de la jeunesse japonaise au lendemain de révoltes étudiantes mouvementées ou encore l’influence de la littérature et du cinéma, le manga se met à aborder des thèmes de société, dont l’homosexualité. Des œuvres à destination d’un public adulte comme celles de Kazuo Kamimura se mettent à représenter des personnages gays ou lesbiens. Dans des mangas Maria ou Lady Snowblood l’auteur dessine des héroïnes bisexuelles, tandis qu’il prête une aventure homosexuelle au père de la protagoniste du Fleuve Shinano. L’artiste va même jusqu’à parler de transidentité dès 1976 dans La plaine du Kanto à travers un personnage marquant, Ginko, avec qui grandit le héros. Pour contextualiser, il est utile de rappeler que Kazuo Kamimura est l’une des principales figures de l’histoire du manga, il a connu un succès populaire et d’estime de son vivant, qui a influencé son média et contribué à lui donner ses lettres de noblesse. Un autre auteur à l’influence encore plus importante qui a parlé d’homosexualité n’est autre qu’Osamu Tezuka. Cela se traduit notamment par la création d’un personnage présenté comme le mal incarné dans MW. Un antihéros dont la quête de vengeance est soutenue par son amoralité, et qui entretient une relation charnelle avec un prêtre. Dans ce manga, ce n’est pas le fait que le personnage principal ait des relations gays ou qu’il se travestisse qui le rende amoral mais qu’il soit un tueur de sang-froid et qu’il imagine des plans machiavéliques pour arriver à ses fins. L’homosexualité est davantage mal vue du côté du prêtre, qui représente le traditionalisme, mais qui ne peut guère résister aux avances de son amant meurtrier. En succombant à ses pulsions, le prêtre a conscience que ses actes sont en conflit avec sa foi, d’autant plus qu’il est au courant des assassinats du protagoniste. Mais il ne peut rien faire sinon se laisser manipuler. Et quitte à plonger dans le mal, dans sa définition religieuse, il se met en tête de tuer son amant pour l’empêcher de nuire. Une histoire complexe et fascinante donc, un thriller qui met mal à l’aise, contrastant avec les récits plus ancrés dans le quotidien de Kazuo Kamimura, ce qui prouve que l’homosexualité peut être abordée dans divers types de manga.


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La plaine du Kanto.


Parler de shônen, shôjo, seinen ou même gekiga, ou de qui a abordé le sujet en premier, a un peu de sens historique. Et encore, voir l’histoire d’un média artistique comme le manga à travers une frise chronologique n’a pas beaucoup d’intérêt tant certaines modes vont et viennent, d’autres éclosent des années plus tard, les influencent, sautent des générations, quand elles ne viennent pas de médias extérieurs. Le manga est un tout global et il est donc normal que des séries shônen ou shôjo plébiscitées dans les années 70 aient elles aussi pour sujet l’homosexualité. C’est donc le cas des mangas de Gô Nagai, auteur populaire auprès des jeunes garçons par excellence. Parfois caricaturalement, parfois avec une part de fantasme mais parfois aussi avec plus de profondeur et de sensibilité qu’on ne pourrait le penser, l’auteur a dessiné des personnages LGBT. Et parmi ses mangas les plus connus en plus, comme Cutie Honey. Mais la relation que l’on retient le plus dans sa bibliographie est celle entre Akira et Ryô dans Devilman, ce dernier montrant de plus en plus d’intérêt romantique pour son ami au fil de l’aventure. Si le fait qu’il soit gay est quelque peu désamorcé par le twist final du manga, il n’en reste pas moins que le duo est iconique et que cette relation a influencé de nombreux artistes.


Le shôjo manga n’échappe donc pas à l’affaire et des autrices commencent à dessiner des romances masculines sous des angles encore différents. Lorsque les jeunes femmes du Groupe de l’an 24 révolutionnent le manga au début des années 70, elles s’emparent de nombreux sujets qu’elles abordent de leur point de vue féminin. Parmi ces thèmes, il est bien évidemment question de l’homosexualité, et une autrice comme Keiko Takemiya en fera sa spécialité, d’abord avec Sunroom Nite et puis surtout avec son chef-d'œuvre Kaze to Ki no Uta. Et elle n’est pas la seule puisque son amie de l’époque Moto Hagio signe en 1974 Le cœur de Thomas. Si l’amour est secret et dramatique, l’homosexualité n’est pas traitée comme un tabou dans cette histoire se déroulant au sein d’une école pour garçons au lendemain du suicide de Thomas, dévoré par son amour pour Juli. L’homosexualité féminine a également été abordée dans le shôjo manga, notamment la même année dans un titre tout aussi emblématique : Très cher frère. Dans ce titre se déroulant dans un lycée pour filles, la jeune Nanako est intégrée à une sororité, sorte d’élite à l’américaine dont les membres sont triés sur le volet. Sa nomination jugée imméritée va lui valoir des critiques et du rejet, et elle va découvrir la face sombre des filles de sa nouvelle école à travers cela. Au milieu de ce marasme, Nanako tombe amoureuse de Saint Just, une fille plus âgée à l’allure et aux vêtements de garçon, qui se drogue aux calmants. Et lire « qu’on soit ou non du même sexe, ce n’est pas ce qui compte... mais si on doit ou non répondre au cœur, à l’amour de cette personne... » dans un manga d’une autrice aussi acclamée et influente que Riyoko Ikeda, qui brille alors à l’époque notamment grâce à sa série La Rose de Versailles, marque forcément les esprits.


https://www.manga-news.com/public/2022/news_07/dossier-homosexualite-partie-1/DH_-_image_5_-_Tres_cher_frere__Riyoko_Ikeda_.jpg

Très cher frère.


Ce tour dans les années 70 permet de constater que le thème de l’homosexualité a été abordé par des artistes populaires et essentiels dans l’histoire du manga, et il en est de même pour les décennies suivantes comme le prouvent des mangas comme Banana Fish, Tokyo Babylon ou encore Blue. L’homosexualité n’a dès lors jamais cessé d’être représentée dans les mangas. Alors même lorsque l’on lit un manga ancien et qu’il développe un propos homophobe, il ne faut pas le justifier ou l’excuser par l’époque, mais bien en imputer la responsabilité à l’auteur.

 

Commentaires

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nolhane

De nolhane [6594 Pts], le 07 Août 2022 à 16h16

Merci pour ce dossier très intéressant. C'est intéressant de voir un tel éclairage sur des oeuvres que l'on connait avec un sujet aussi important

Sora334

De Sora334, le 16 Juillet 2022 à 18h08

Merci pour ce dossier, c'est agréable de voir qu'il y a des gens qui font des efforts pour créer du contenu. J'attends la suite avant de juger. 

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