L’homosexualité dans le manga, partie 1 - Actualité manga
Dossier manga - L’homosexualité dans le manga, partie 1

L’homosexualité au second plan


Si certains mangas ont pour thème principal l’homosexualité, d’autres l’abordent en second plan. Que ce soit par la représentation, des dialogues marquants ou par séquences, ces derniers sont tout aussi importants, et il est essentiel qu’ils coexistent. En passant en revue divers exemples afin de montrer la variété des mangas qui parlent d’homosexualité sans que cela en soit le sujet de base, nous allons voir à quel point ces œuvres sont importantes, tant représenter correctement un personnage gay ou lesbien est un acte militant.


Des mangas aussi différents que Litchi Hikari Club ou Sakura Gari sont dramatiques, voire horrifiques, et bien que l’homosexualité des protagonistes ne soit pas le cœur de ces récits, elle est essentielle, un élément moteur déclenchant l’intrigue. Pour d’autres mangas, c’est encore autre chose, l’homosexualité n’est pas représentée pour servir un scénario ou être un thème principal. Et ce sont ces titres qui nous intéressent pour l’instant. Des mangas tels que Banana Fish ou The World is Mine, qui mettent en lumière de manière évidente l’homosexualité de leurs protagonistes. Dans le premier, il y a tout un sous-texte assez glauque sur le passé d’Ash, mais c’est surtout sa relation avec Eiji qui intéresse et passionne tout au long du manga. Ce lien est explicité par une scène assez forte au début du manga, lorsqu’Ash embrasse le japonais au parloir en prison. Ce baiser est bien évidemment l’occasion de lui faire passer un message à l’aide d’une capsule mais il est loin d’être anodin. D’une part il ne laisse pas indifférent Eiji et de l’autre il concrétise les fantasmes d’un public amateur de shôjo manga. Ici, non seulement les personnages s’embrassent rapidement, mais en plus ce sont deux hommes. Cette scène permet donc d’éclaircir la relation entre les deux protagonistes dans la tête des lecteurs pour le restant de la série. Et même si ce n’est plus forcément explicité, Eiji et Ash forment dans l’esprit collectif un couple gay emblématique du manga. Pour The World is Mine, il s’agit d’un exemple encore différent puisque la relation entre Mon et Toshi est purement sexuelle, quand bien même ce dernier ressent de la jalousie lorsque Maria s’insère entre les deux assassins. Mon n’est pas gay, il n’est même presque pas humain à vraie dire. Il tient plus de l’animal et sa soif de détruire vient de là. Le garçon suit ses propres instincts et ses pulsions, qu’elles soient macabres ou sexuelles. Le cas de Toshi est différent, puisqu’il lui sert d’acolyte et de partenaire. En marge de l’homosexualité, le personnage laisse de plus en plus entrevoir sa transidentité. Si au début de la série on peut croire qu’il se déguise en femme pour ne pas être reconnu par la police, on se rend compte au fil de l’histoire qu’il le fait parce que ça fait partie de lui. Même quand ce n’est plus utile d’être anonyme, Toshi continue de se travestir. Le message clamé par l’auteur à travers sa série résonne ainsi fort à nos oreilles : Be Yourself. Comme Mon, comme Toshio, il est essentiel d’être soi-même, qu’importe ce que la société nous dit d’être ou de ne pas être.


https://www.manga-news.com/public/2022/news_07/dossier-homosexualite-partie-1/DH_-_image_6_-_Banana_Fish__Akimi_Yoshida_.png

Banana Fish.


Sortir de la route, rejeter les carcans de la société pour exprimer sa propre personnalité, c’est exactement le message que véhicule Ai Yazawa dans Paradise Kiss, manga dans lequel Yukari, une lycéenne qui révise pour ses concours afin d’avoir un avenir stable et tout tracé, tombe dans un rabbit hole. Ce pays des merveilles, c’est l’atelier de George, dont elle tombe irrémédiablement amoureuse, et ses camarades créateurs de mode. Si George est ouvertement bi, ou philanthrope selon ses dires, Isabella est une femme transgenre. À travers son manga, Ai Yazawa nous montre donc par le regard d’une lycéenne hétéro un monde inconnu, ou tout est à réapprendre. L’univers de la mode et l’homosexualité sont souvent associés, et ce n’est pas un hasard si un magazine de mode comme Zipper a prépublié plusieurs titres avec des personnages sortant de la norme hétérosexuelle. Outre Paradise Kiss, c’est aussi le cas de Helter Skelter de Kyôko Okazaki dans lequel Lili est bisexuelle. Là où le manga est intéressant, c’est qu’il fait de sa protagoniste une femme malsaine, toxique, manipulatrice, destructrice, y compris dans sa sexualité. Kyôko Okazaki n’essaie pas de montrer un visage positif de la bisexualité mais représente plutôt une anti-héroïne qui l’est, ce qui rejoint un peu le travail d’Osamu Tezuka sur MW. Et faire une telle œuvre sans bien sûr tomber dans l’homophobie révèle un degré impressionnant de maturité d’écriture. Il faut donc préciser que Kyôko Okazaki n’en était pas à son coup d’essai au moment d’écrire Helter Skelter, puisque le manga fait office de suite indirecte à River’s Edge. Dans ce manga, l’autrice met en scène trois jeunes dont un garçon gay subissant la violence autant verbale que physique de l’homophobie. Ces actes sont notamment commandités par le copain d’une autre des protagonistes, qui ne supporte pas l’homophobie et la violence de ce dernier. Les deux personnages se rapprochent et la jeune fille, dans un souci de bien faire, interroge son nouvel ami sur l’homosexualité, jusqu’à ce que ce dernier lui dise d’arrêter tant les questions deviennent de plus en plus intimes, en lui rétorquant qu’elle n’aimerait pas qu’on lui demande de telles choses. À travers ce dialogue innocent entre deux adolescents, Kyôko Okazaki place l’homosexualité au même titre que l’hétérosexualité, rappelant aussi bien au lecteur qu’au personnage hétérosexuel qu’être gay est quelque chose d’absolument normal.


La transidentité, l’homosexualité et forcément l’homophobie qui en découle, c’est ce qui accompagne les personnages de Moyasimon dans leur vie étudiante comme lorsque Hazuki se montre dégoûtée par un baiser entre deux garçons, avant qu’elle-même se fasse embrasser par une fille, un acte qui lui fera remettre en cause sa propre sexualité. Bref, représenter des personnages LGBT est aussi important que militant, même s’il ne s’agit pas des protagonistes, comme Jun Mayuzuki qui dessine un couple gay à la fois sexy et fascinant dans Kowloon Generic Romance, contribuant à totalement banaliser l’homosexualité alors que ce n’est pas le thème de base de son manga. Un autre exemple particulièrement intéressant tant il est atypique se trouve dans le manga Innocent où Shinichi Sakamoto va au bout de ce que n’avait pas pu faire Riyoko Ikeda dans La Rose de Versailles, c’est-à-dire prêter une relation lesbienne à Marie-Antoinette et Oscar de Jarjayes. À la place d’Oscar, l’auteur représente Marie-Josèphe Sanson, personnage secondaire qui deviendra protagoniste, jeune femme issue d’une famille de bourreaux qui se dénote par son esprit de rébellion. Si Innocent se déroule dans le contexte de la Révolution Française, ce n’est pas pour autant un manga historique. L’auteur se sert du cadre historique afin de parler de la société actuelle et notamment du sexisme et de l’homophobie. Il le fait donc à merveille à travers le personnage de Marie-Josèphe Sanson, qui brise tous les codes et tous les tabous, jusqu’à avoir une relation lesbienne avec la future reine de France.


https://www.manga-news.com/public/2022/news_07/dossier-homosexualite-partie-1/DH_-_image_7_-_Innocent__Shinichi_Sakamoto_.jpg

Innocent.


Dans un monde où l’hétérosexualité est la norme, représenter des personnages gays, lesbiens ou bisexuels n’est donc pas anodin, surtout dans des mangas dont ce n’est pas le sujet. En effet, même s’il existe des contre-exemples comme Le mari de mon frère ou Love my life, le grand public a plutôt tendance à aller vers des mangas à suspense, de fantasy ou même historiques que vers des œuvres où l’homosexualité est le thème de base, et parce qu’on ne prêche pas un convaincu, ils apprendront surement des choses en lisant Très cher frère ou River’s Edge. D’un autre côté, pour le public LGBT, c’est bien beau d’avoir des œuvres comme Éclat(s) d'âme ou L’infirmerie après les cours à travers lesquels il peut se reconnaitre mais ce n’est clairement pas suffisant. D’où la nécessité d’être représenté par des personnages bien développés au sein de manga de SF, de fantasy, même de romance. S’il n’est bien évidemment pas question de faire des généralités, il faut souligner que la diversité des personnages dans le monde du manga fait du bien. Elle permet d’instruire et éduquer les uns, incite à l’ouverture d’esprit, tandis que pour les autres elle sert à se reconnaitre ou se sentir représentés. Et on peut même devenir fasciné par des personnages aussi iconiques que charismatiques comme Ash de Banana Fish, Marie de Dans l’intimité de Marie, Zera de Litchi Hikari Club ou encore Marie-Josèphe d’Innocent.

 

Commentaires

DONNER VOTRE AVIS
nolhane

De nolhane [6559 Pts], le 07 Août 2022 à 16h16

Merci pour ce dossier très intéressant. C'est intéressant de voir un tel éclairage sur des oeuvres que l'on connait avec un sujet aussi important

Sora334

De Sora334, le 16 Juillet 2022 à 18h08

Merci pour ce dossier, c'est agréable de voir qu'il y a des gens qui font des efforts pour créer du contenu. J'attends la suite avant de juger. 

VOTRE AVIS



Si vous voulez créer un compte, c'est ICI et c'est gratuit!

> Conditions d'utilisation