Dossier Bilan Manga-News 2012 - Partie 2 - - Partie 3

La sphère éditoriale vu du ciel

Tiens, Voilà l'Augmentation

T.V.A., trois lettres qui auront secoué le marché du manga de la fin de l'année 2011 jusqu'au printemps 2012. De par une hausse de cette taxe actée au premier janvier 2012 (mais finalement reportée au premier avril) passant de 5,5 à 7%, de nombreux produits culturels ont vu leur prix augmenter, plus particulièrement les livres, et encore plus particulièrement nos mangas ! Devant cette mesure, les différentes maisons d'édition ont opté pour des stratégies diverses, se distinguant en particulier sur leur date de mise en application, en janvier ou en avril. Parmi les plus prompts à réagir, nous recensons : Kana, avec une hausse de cinq de leurs tarifs dans un intervalle de 10 à 25 centimes; Doki-Doki, qui avait déjà monté ses prix en août 2011, mais qui est resté à une faible augmentation de 5cts sur ses formats shônen; Soleil Manga qui a augmenté tous ses prix de 4 cts (sauf Dorohedoro et Zelda) alors qu'ils n'avaient pas bougé depuis 2006; Tonkam et Akata/Delcourt avec des hausses allant de 4 à 50 cts selon les formats; et enfin Panini avec jusqu'à 20cts d'augmentation, et qui aura passé la barre fatidique des 10 euros sur ses formats deluxe (Happy, Family Compo). Kurokawa a quant à lui décidé d'appliquer l'augmentation dès janvier uniquement sur ses nouveautés, en appliquant la hausse sur son fond de catalogue qu'à partir du premier avril. Enfin, Pika et Ki-oon auront décidé de ne changer leurs grilles tarifaires qu'à partir d'avril; Pika qui par ailleurs n'avait pas augmenté depuis 2002.

Outre le mécontentement généralisé qu'a apporté cette annonce, cette augmentation aura été gênante pour bien des maillons du métier du livre. En particulier en bout de chaîne pour les libraires indépendants, une profession de plus en plus en danger qui n'avait rien à gagner dans l'affaire (la plus-value retournant directement à l’État), et qui dut avancer une trésorerie nécessaire pour compenser cette hausse. Le report de la mise en application de la loi de janvier à avril fut d'ailleurs une réponse de l’État pour les aider à préparer ce bouleversement. Les boutiques durent également faire avec le réétiquetage de leurs stocks, avec les incohérences que cela peut susciter pour le client lorsque les anciens prix sont directement imprimés sur la jaquette ! Ainsi, il fut assez courant de voir fleurir sur les devantures des librairies des messages informatifs autour de cette hausse, pour éviter les rappels incessants.

Mais entre temps, le pouvoir politique a changé de main, et le nouveau gouvernement mis en place a rapidement annoncé le retour de la TVA à 5,5%, pour janvier 2013. Si cette diminution a été théoriquement mis en place, il n'y eut pour autant aucun changement sur nos notes en librairie en cette nouvelle année. En réalité, le prix du livre HT a été réajusté de sorte que le prix TTC ne subisse plus de modifications. Une mesure souhaitée par l'ensemble de la profession, et qui arrange notamment les libraires qui ne voient le scénario de début 2012 se reproduire à l'envers, tout en y gagnant de la marge ! Seul le consommateur reste au final lésé sur sa facture. En juillet dernier, nos éditeurs de manga nous avaient pourtant prévenu, en déclarant unanimement ne pas baisser leurs tarifs pour 2013. Finalement, certains d'entre eux auront un geste envers leurs lecteurs : Pika, qui diminuera de 10 centimes son format standard (représentant 79% de son catalogue), et Panini, qui devrait massivement baisser ses tarifs sans toutefois revenir aussi bas qu'en 2011. Une affaire à suivre donc, même s'il ne faut pas s'attendre à des miracles...

Pas de cadeaux !

L'autre évènement qui aura secoué le monde éditorial cette année reste les premières conséquences visibles du rachat de Kazé Manga. Petit rappel des faits : en 2009, la maison d'édition Asuka fut acquise par le groupe Kazé au moment de son rachat par le groupe japonais ShoPro (Shogakukan/Shueisha), qui a ainsi un pied directement posé dans le marché francophone. Après s'être concentré sur de nombreux titres issus du magazine Square Jump (Embalming, Shi Ki, Blue Exorcist...), la maison d'édition s'est peu à peu intéressé aux titres issus du célèbre Shonen Jump, avec des titres comme Toriko ou Beelzebub. Finalement, après un peu plus de deux ans, la Shueisha a annoncé officiellement auprès du monde éditorial français que le groupe Kazé Manga serait prioritaire sur l'ensemble de leur catalogue, s'éloignant de fait des autres éditeurs publiant leurs titres jusqu'alors. La conséquence la plus marquante aura été l'acquisition et la diffusion de certains titres issus du Saikyô Jump, magazine japonais à destination des plus jeunes et composé de spin-off de standards de son grand frère, le Shonen Jump. Ainsi furent publiés cette année Chopperman et Rock Lee, séries respectivement dérivées de One Piece (Glénat) et Naruto (Kana). Notons également la sortie de Level E de Yoshihiro Togashi, dont les autres séries (Yu Yu Hakusho et Hunter x Hunter) sont publiées chez Kana.

Même s'il s'agit là d'une décision relativement naturelle après le rachat du groupe, et que beaucoup avaient anticipé, cette déclaration de priorisation du catalogue Shueisha ne manqua pas de soulever quelques agacements dans la sphère éditoriale. A l'heure où tous les éditeurs sont à la recherche du nouveau blockbuster, qui aurait bien plus de chances de sortir du Jump qu'ailleurs, et où le suivi des auteurs est capital, la compétition entre éditeurs pour l'acquisition d'un nouveau titre se retrouvera biaisée par ce déséquilibre. Certains acteurs du métier, qui se sont battus pendant des années pour faire exploser le manga en France, et pour en faire une activité lucrative, vivent mal ce "remerciement". D'autres regretteront de ne plus pouvoir établir un suivi sur une licence (et le planning qui en découle) avec l'ensemble des éléments autour d'elle.

Cela dit, le phénomène n'est pas nouveau, en particulier avec un autre groupe, Kôdansha, qui a depuis longtemps affirmé une relation privilégiée avec Pika (même s'il n'y a pas eu dans ce cas d'opération de rachat), entraînant d'ailleurs d'autres migrations d'auteurs : Naoki Urasawa que l'on retrouvait jusque là chez Kana ou Panini, et prochainement Kaori Yuki dont les œuvres furent jusqu'alors intégralement publiées chez Tonkam. L'expérience nous a également montré chez Pika qu'une relation partenariale n'était pas forcément la garantie du succès, certains best-sellers japonais (Nodame Cantabile ou Sayonara Monsieur Désespoir par exemple) ne trouvant pas leur public en France. Aussi, si l'aspect général du monde éditorial français est peu à peu chamboulé par ces rapprochements et regroupements, ces derniers ne constituent pas pour autant le fin mot de l'histoire. L'avenir nous le dira !

L'édition version 2.0

Si maintenir une bonne politique éditoriale est une chose, la gestion de l'image en est une autre. Au travers des nombreux médias (papiers comme sur le net), les éditeurs auront été particulièrement sollicités cette année. Mais surtout, ils savent au fil des années de mieux en mieux se servir des disponibilités offertes par le net. Si maintenir un site internet à jour reste quelque chose de fondamental (mais qui n'est pas toujours respecté), la gestion des réseaux sociaux est devenue un aspect primordial de l'image des éditeurs. Or, chaque éditeur aborde la question d'une manière très différente. Le minimum syndical reste évidemment d'y relayer les annonces ainsi que les sorties de la semaine, ce à quoi beaucoup rajoutent une communication autour de l'actualité de leur titre au Japon comme en France, des avis de lecteurs, des critiques, des produits dérivés de certaines licences,... Les réseaux sociaux sont également un moyen de mettre en place rapidement des concours, comme Ki-oon peut le faire pour le lancement de ses nouvelles séries, Kana lors de certaines périodes de l'année, Doki-Doki autour de certaines licences phares (Sun Ken Rock),... Mais aussi, par le biais de messageries privées ou publics, Facebook permet un contact bien plus direct entre lecteur et éditeur. C'est notamment par le biais de ces échanges que certaines annonces auront pu être divulguées publiquement, notamment Iiki no Ki chez Pika. Bref, si l'image d'un éditeur peut tenir sur la qualité de ses ouvrages, la tenue de ses plannings et le suivi de ses licences, la communication est devenue plus que jamais un facteur très important, pour entretenir une relation à la fois privilégiée et détendue avec son lectorat.

Parmi tous les éditeurs, Tonkam est celui qui sera allé le plus loin dans sa logique de proximité avec son public, en faisant entrer le travail éditorial dans une sphère participative. Dans les aspects les plus sympathiques de cette entreprise, on retiendra notamment l'offre proposée à Japan Expo. Alors que le festival est généralement l'occasion pour les éditeurs de proposer de nombreux goodies, Tonkam a pris les devants en demandant en amont à ses lecteurs ce qu'ils désiraient. Il en résulte une farandole de produits dérivés, allant du paquet de mouchoirs aux T-shirts exclusifs, jusqu'à un recueil inédit de Tetsuya Saruwatari (invité du salon), recueil dont les illustrations furent choisies par les lecteurs eux-mêmes. Des initiatives louables, sans parler de l'organisation d'un concours cosplay retro particulièrement réussi sur le salon. Hélas, toutes les initiatives de l'éditeur n'auront pas suscité la même unanimité. Revenons au tout début de l'année : après avoir terminé un cycle autour de Piyoko Chitose, le label Boy's love de Tonkam s'apprêtait à retrouver une autre artiste très appréciée des lectrices : Kazuma Kodaka. Afin de contenter ses lectrices, l'éditeur leur a alors proposé de choisir elles-mêmes les trois prochains titres de la mangaka qui seraient édités en France, parmi une large liste... Cette initiative souleva une interrogation : à qui s'adresse l'éditeur, sinon aux lectrices connaissant déjà les titres présentés en amont ? Sous couvert d'une initiative participative, nous pouvons voir en filigrane un aveu de la maison d'édition, préférant limiter les risques en demandant directement à leurs fans ce qu'ils veulent. D'ailleurs, l'initiative ne s'arrêtera pas là, car une fois les titres de l'auteure choisis, de nouvelles sollicitations naîtront pour en définir l'ordre de publication, ainsi que les titres utilisés sur notre territoire.

Mais surtout, l'année de Tonkam aura été marquée par une autre initiative d'une ampleur plus grande encore : la Jojo Experience. Préparant depuis plus d'un an la réédition des anciennes saisons de Jojo's Bizarre Adventure, et sachant que cette série s'adresse à une communauté de passionnés relativement réduite, l'éditeur a décidé de faire plaisir aux dits passionnés en leur laissant les commandes du projet sur bien des aspects. Cela débuta par un sondage de grande envergure, relayé également sur notre site, pour définir le format de cette réédition, mais les résultats furent plus que divisés. En avril, l'éditeur joua la transparence sur ses futurs plannings, en annonçant que la réédition commencerait par la saison 3. Puis, à la rentrée, la Jojo Experience reprit de plus belle avec des sollicitations de plus en plus poussées, comme le choix technique entre un blanc tournant ou un fond perdu pour les planches de la réédition, le tout sous un ton de plus en plus tranché, "n'en déplaisent aux journalistes qui se plaignent", rassemblant ainsi les fans de la série face aux quelques détracteurs de l'initiative. Aussi, lorsqu'un concours autour du logo de Stardust Crusaders fut lancé, et que quelques inquiétudes furent émises quant à la non-rémunération du gagnant qui verrait sa création affichée sur les futurs volumes, une levée de boucliers surgit de la fanbase, insultant copieusement les détracteurs. Sur ces échauffourées, l'éditeur décida de stopper l'aventure participative, tout en donnant raison à son public. Mais finalement, l'initiative reprit avec de nouvelles suggestions et surtout une série de futures opérations de communication autour de la série, réalisées par les fans eux-mêmes. Flashmob, concours de poses, évènement au Manga Café,... des idées sympathiques, accompagnées d'autres beaucoup plus discutables d'un point de vue éditorial comme la rédaction de dossiers de presse ou d'un site internet dédié : des outils capitaux dans la communication autour d'une série, destinés en partie au monde professionnel, et qui seront de toute façon soumis à l'aval de l'éditeur et de son équivalent japonais. Le tout, avec le même mépris pour les idées contraires à leur ambition. De leurs propres dires, Jojo sera : "le premier manga fait par des fans, pour des fans"... au risque d'exclure les néophytes ? Rien n'est moins sûr, surtout lorsque certains volumes des saisons plus récentes sont depuis tombés en arrêt de commercialisation. Toutefois, même si l'on peut émettre des désaccords avec la forme, cet exemple observé tout au long de l'année nous aura montré à quel point la communication peut être puissante, l'éditeur pouvant à présent compter sur une immense communauté pour le soutenir. Mais n'oublions pas que ce public peut être volatile, comme en témoignent les quelques réactions devant les nouvelles traductions de cette réédition...