Le furyo par Ken Wakui
Le furyo, kesako ? La question est légitime, tant le genre n'a finalement connu que peu de représentants dans nos contrées, quand bien même il perdure au Japon, notamment chez l'éditeur Akita Shoten. En français, les principaux titres à nous avoir été proposés sont Racailles Blues / Rokudenashi Blues de Masanori Morita (qui reviendra prochainement chez Pika), Rookies de ce même artiste, Shonan Junai Gumi – Young GTO de Tôru Fujisawa, ou encore Bakuon Rettô de Tsutomu Takahashi. Tous ces titres, même s'ils brillent d'un succès d'estime, n'ont pas toujours connu le succès commercial. Shonen Junai Gumi a beau être l'histoire narrant la jeunesse de l'éternel Eikichi Onizuka, son succès reste tiède, si bien que certains volumes ne sont actuellement plus disponibles (quand bien même une réimpression est prévue chez Pika). Un autre exemple marquant est la parution interrompue de Worst de Hiroshi Takahashi aux éditions Panini, après 16 volumes. La série, suite de Crows, appartenant à l'une des sagas les plus emblématiques du genre au Japon, le constat est douloureux. De ce fait, le lectorat français n'était que peu familiarisé au manga furyo avec Tokyo Revengers, mastodonte qui est devenu l'un des titres les plus populaires de nos librairies en 2021, succès que l'on doit en partie à son adaptation animée.





Il convient alors de redéfinir le genre, de manière simple et directe. Le furyo est un type de récit mettant en scènes des délinquants, jeunes et parfois ancrés dans un milieu scolaire. Rassemblés en gangs, ceux-ci sont régulièrement confronté à des groupes rivaux et font pleuvoir les coups au nom de valeurs qui leurs sont propres. Sans aller jusqu'à parler de Robin des Bois de la rue, ces marginaux ne sont pas représentés comme de mauvais bougres, du moins en ce qui concerne les protagonistes de leurs histoires. Et c'est ce qui fait le sel d'un manga comme Tokyo Revengers : C'est parce que ces racailles luttent contre des gangs moralement mauvais que l'adrénaline nous prend nous aussi, et que nous aimons suivre ces graines de délinquants, dans leurs bastons comme dans leurs moments d'amitié virile. Ethnologiquement, le terme furyo (俘虜 ) signifie un prisonnier de guerre. De là à faire le rapprochement pour symboliser les marginaux que sont les personnages de ce genre de mangas, il n'y a peut-être qu'un pas.
Il est alors intéressant de voir ce que Ken Wakui fait de la figure du furyo. Pour quelqu'un qui aurait lu Rokudenashi Blues ou Shonan Junai Gumi, les personnages de ces "mangas de racailles" ont des airs bourrus et paraissent souvent bien plus âgés que ce qu'ils semblent être, à savoir des collégiens ou des lycéens. Un auteur comme Tôru Fujisawa va même renforcer cette sensation de "trop vieux" en greffant à ses intrigues des dimensions matures ou dures, comme le sexe ou le meurtre. Si ces enfants de cœur ont parfois la clope au bec ou chevauchent fièrement des deux roues qui ont belle allure, on observe dans Tokyo Revengers un parti-pris un poil différent, celui d'édulcorer un peu cette figure furyo et de lui donner un air plus juvénile.

Ainsi, Mikey et Draken sont des figures bien plus convaincantes en tant qu'adolescents, tandis que le héros qu'est Takemichi atteste bien son âge dans l'époque passée. Le protagoniste profite (ou souffre, selon les points de vue) d'un effet inverse, tant il paraît presque trop jeune dans l'époque présente, où il a plus de la vingtaine. Aussi, quand bien même des personnages arborent une facette plus sombre ou présenteraient des ambitions meurtrières, Wakui ne va que rarement aborder le cas de la sexualité chez les personnages, ou les faire combattre des personnages trop adultes. Cette facette, que certains pourraient trouver édulcorer, correspond peut-être à la politique actuelle du Shônen Magazine qui, comme d'autres revues, lisse certains éléments narratifs ou esthétiques par rapport à autrefois, comme peut aussi le faire la concurrence. Car Shonan Junai Gumi était lui aussi publié dans l'hebdomadaire shônen de la maison Kôdansha, mais Tokyo Revengers présente des éléments graphiques plus propres et douillet, sans pour autant en faire un titre naïf.
Alors, ces loubards paraissent plus jeune que ce qu'on peut voir ailleurs. Certains affichent même des allures de jolis minets, ce qui correspond aussi à une tendance moderne de faire correspondre des personnages à d'autres codes de beaux garçons. Les colosses d'autrefois ont laissé place à des protagonistes plus fins et élégants, et ce constat ne s'applique pas qu'à Tokyo Revengers. Par ces choix, Ken Wakui fait clairement une autre proposition du furyo, si on compare aux titres que nous avons eu le loisir de lire en France. Et peut-être est-ce par cette esthétique plus élégante que le titre est un furyo qui a séduit le lectorat dès ses premiers tomes, avant même qu'une production de l'anime soit confirmée. Sans considérer l'aspect fantastique du récit, Tokyo Revengers est un manga aux codes graphiques alléchants, dans l'air du temps, sans parler de l'exercice de narration visuel qui répond aussi à une manière actuelle de montrer des combats. Les membres du Tokyo Manji sont jeunes et paraissent jeunes, ils sont même séduisants, et la correspondance entre leurs âges et leurs apparences permettent possiblement une meilleure identification pour le lectorat adolescents. Tant d'éléments qui donnent un indice de ce que Ken Wakui, ancien voyou lui-même, fait de ce genre. Il sera intéressant de voir, à termes, si d'autres auteurs de furyo s'inspirent de ses choix, que ce soit par cette esthétique ou par la combinaison entre le manga de racaille et des éléments surnaturels.
Retour vers le passé
Ce qui différencie Tokyo Revengers de furyo plus conventionnels, c'est aussi sa dimension fantastique. Le cœur de l'intrigue n'est pas tant l'évolution du héros dans un groupe de voyous adolescent (bien qu'elle constitue un point fort de l'histoire en plus de lui donner toute une esthétique), mais bien la manière dont le héros jonglera entre deux époques afin de changer le cours de l'histoire.
Mais Ken Wakui joue d'une astuce bien particulière. Si l'enjeu reste commun, à savoir faire basculer le cours de l'histoire pour aboutir au meilleur avenir possible, l'évolution de la trame ne fera que complexifier les choses. Si Takemichi a un impact sur les différents événements menant aux désastres de l'avenir, les issues ne sont pas toujours positives, au contraire même. Quelque part, le mangaka prend à contre-pied la structure classique d'arcs narratifs de shônen d'action : Si un manga découpé en chapitres distincts débouche régulièrement sur une issue chaleureuse avant de passer à l'acte suivant, Tokyo Revengers a pour lui de faire de ces fins d'arc des transitions funestes vers l'intrigue suivante. L'auteur joue alors avec nos nerfs et nos émotions, nous fait croire au bonheur mérité du héros avant de chambouler les choses pour nous rappeler que rien n'a finalement changé, et qu'un rouage supplémentaire vient se greffer au mécanisme pour laisser la situation intacte, quand elle n'empire simplement pas. Une grosse part de l'intensité du récit vient de sa dimension fantastique, le lecteur ayant toujours la curiosité de découvrir le futur qu'a façonné le protagoniste par ses actions. Cette curiosité laisse vite place à la stupéfaction, une émotion suffisamment efficace pour laisser au récit le loisir de réutiliser chaque fois le même schéma narratif. Car à chaque fin d'arc, on se doute un peu de ce qui nous attend, du fait que rien ne soit totalement résolu. Là où Ken Wakui finit par surprendre, c'est dans la surenchère de la gravité qui nous attend à chaque fois. La transition entre l'arc du Valhalla et celle du Black Dragon faisait assez fort avec un délice de désespoir, mais ce sentiment se trouve encore poussé vers son paroxysme avant le démarrage de l'arc du Tenjiku et sa manière d'aborder le chaos qu'est Manjiro « Mikey » Sano, une figure sur laquelle nous nous pencherons dans la partie suivante et qui constitue à elle seule l'un des intérêts majeurs de Tokyo Revengers.

TOKYO REVENGERS © 2017 Ken Wakui / Kodansha Ltd.
De STANLEY, le 19 Juillet 2024 à 01h55
TRès bon
De erui56waifu [1 Pts], le 28 Septembre 2023 à 22h07
izana devrait avoir aussi son histoire plz
💓