L'auteur, ancien voyou reconverti en mangaka
Si on ne connait pas l'année de naissance de Ken Wakui et par conséquent son âge, le passé du mangaka n'est pas un secret. S'il se livre aujourd'hui à des récits dits "furyo", autrement dit les récits mettant en scène des racailles souvent jeunes (collégiens ou lycéens) et agissant en bandes, c'est parce qu'il en était une lui même. Ken Wakui livre de sa jeunesse insouciante un exemple parlant, son renvoi du lycée à peine seulement un mois après le début des cours. Sans cadre d'études, il empreinte le chemin du monde de la nuit où il devient "hoste", autrement dit un hôte d'un établissement pour femmes du quartier de Shinjuku dont les objectifs sont le plus souvent de pousser la clientèle à la consommation. Une autre expérience qui marquera sa carrière dès ses débuts.
Ken Wakui fait ses débuts de mangaka avec une histoire courte nommée Shinjuku Swan. Celle-ci met en scène Tatsuhiko, un garçon sans le sous qui devient rabatteur pour un café d'hôte, à Shinjuku. Dès lors, il fera connaissance avec l'envers du décor ponctué de violences, mensonges, avarices et rixes avec les yakuzas. Une histoire pour laquelle l'auteur semble avoir puisé dans son propre vécu.
Après avoir soumis ce récit qui remporte le 293e prix du nouvel artiste du Young Magazine, c'est dans la 8e édition du Bessatsu Young Magazine que son travail est publié. Suite au succès de cette histoire, Shinjuku Swan est adapté en série pour une parution hebdomadaire dans le simple Young Magazine, la même année. La parution s'étendra jusqu'à 2013 et la série s'achèvera avec son 38e volume. Le succès du titre permettra la mise en chantier de deux films live réalisés par le talentueux Sono Sion, qui sortiront respectivement 30 mai 2015 et le 21 janvier 2017.
Pendant qu'il dessine Shinjuku Swan, Ken Wakui s'adonne à une nouvelle série qui demeurera courte. Abaddon démarre dans le quinzième édition de 2010 de l'hebdomadaire Young Magazine pour s'achever dans la douzième édition de 2012. L'ensemble des chapitres seront condensés en deux volumes.. Pendant près de deux ans, le mangaka aura donc dû jongler entre deux séries prépubliées chaque semaine. Jouant toujours sur un certain registre de voyous, ou au moins de marginaux, l'histoire se veut cette fois sportive et prend pour thèmes les arts-martiaux. Son protagoniste visera le tournoi de l'UFC (pour Ultimate Fighting Championship).
Fin 2013, Shinjuku Swan est achevé depuis plusieurs semaines. L'auteur rempile sans véritable répit avec Sekisei Inko, série qui débute dans la double édition 4-5 de 2014 du Young Magazine. Dans dans la 16e édition de 2015 que le titre s'achèvera, pour un total de 5 tomes. Véritable thriller teinté de drame, l'histoire met en scène Kaneda, un adolescent qui devient amnésique après avoir découvert le corps sans vie de l'un de ses amis, Hiwako. Alors qu'il tente de se reconstruire et de recouvrer la mémoire, ses souvenirs enfouis lui apparaissent sous forme d'une mystérieuse entité. C'est ensemble qu'ils tenteront de faire la lumière sur le meurtre de Hiwako.
Après Sekisei Inko, c'est dans le registre shônen que Ken Wakui souhaite construire la suite de sa carrière. C'est toujours chez Kôdansha que l'artiste s'essaie à l'exercice, dans l'hebdomadaire Shônen Magazine. Dans la double édition 36-37 de l'année 2015, il entame la parution de Dessert Eagle qui s'achèvera l'année suivante, dans la 25e édition de 2016 de la revue, pour un total de cinq volumes. L'histoire, de nouveau ancrée dans le récit de racailles, est celle de Ringo et Washio, deux délinquants des bas-fonds de Shinjuku qui s'opposeront aux groupes criminels pour venir en aide à autrui.
Les mois s'écoulent avant que Ken Wakui n'entame son nouveau projet, toujours dans l'hebdomadaire Shônen Magazine. Si Dessert Eagle n'a pas tenu plus d'une année, le mangaka ne renoncer par au récit furyo et compte porter sa nouvelle histoire en la mêlant avec des concepts fantastiques. Ainsi, c'est dans le 13e numéro de l'année 2017 de la revue que démarre Tokyo Revengers, un récit qui, il ne le sait pas encore, deviendra un véritable blockbuster. A l'heure où ce premier dossier est écrit, c'est à dire novembre 2021, 24 volumes sont parus au Japon, tandis que l'histoire semble atteindre son arc final. Durant l'année 2021, le manga connaîtra deux adaptations : La première est une série animée de 24 épisodes produite par le studio Liden et réalisée par Koichi Hatsumi, couvrant les deux premiers grands arcs du manga. La seconde prend forme d'un film live réalisé par Tsutomu Hanabusa qui atteint les cinémas japonais le 9 juillet 2021, une production devenant le long-métrage le plus rentable aux box-offices nippons.
Le cas du svastika
Le point le plus délicat et l'un des plus importants à aborder quand on parle de Tokyo Revengers, c'est celui de l'emblème que portent les membres du Tokyo Manji sur ses uniformes. La croix gammée affichée fièrement par le gang a pu surprendre, à tel point qu'une version dite "occidentale" de l'adaptation animée existe, gommant cet aspect visuel par différents jeux de lumière (plus ou moins subtils) tandis que certains produits dérivés tels que les figurines existent aussi en deux versions, l'une avec la croix gammée pour le marché nippon, et l'autre sans l'emblème pour le marché occidental.
Les lecteurs et spectateurs un poil renseignés connaissent le développement qui suivra dans les prochaines lignes. La croix gammée, aussi nommée svastika, est un symbole qui se distingue en de multiples formes et a marqué différents types de cultures à travers les âges. Présente depuis des millénaires en occident comme en orient, ses déclinaisons sont aussi multiples que leurs sens. Ainsi existe-t-il un svastika basque quand l'un des plus reconnus est celui des cultures bouddhistes et hindoues, symbolisant des valeurs positives telles que la paix, l'intelligence et le bonne fortune, tant de valeurs qui façonnent le Tokyo Manji au sein du manga de Ken Wakui. D'ailleurs, "Manji" est le terme désignant ce svastika, au Japon. C'est ainsi que l'appellation nippone Tokyo Manjikai (東京卍會 ) pourrait aussi se lire Gang Tokyo 卍 .
L'amalgame fait avec cet emblème vient évidemment de ce qu'Adolf Hitler en a fait avec son parti nazi au cours du Xxe siècle, menant aux atrocités ayant eu lieu avant et pendant la Seconde Guerre Mondiale. Hitler s'est approprié un svastika en le modifiant pour symboliser son parti, notamment en l'inclinant à 45° et en présentant cette croix gammée sur fond blanc. Aucun rapport avec l'emblème positif qu'arbore le Tokyo Manji donc, ne serait-ce parce que les branches ne sont pas tournées vers la même direction. Deux svastika opposées en tous points donc, mais qui peut facilement prêter à confusion, d'autant plus que le choix de couleur rouge pour le manji de Tokyo Revengers peut renforcer ce trouble, le rouge ayant été une couleur forte de l'emblème nazi.
En France, la justice est plutôt ambiguë sur le sujet. Si présenter des svastika est autorisé dans le cadre de l'art (pour la réalisation d'une œuvre audiovisuelle par exemple en tant qu'écho à l'histoire) ou pour représenter des symboles religieux tels qu'on les voit dans les cultures hindoues ou bouddhistes, le code pénal prévoit des punitions contre quiconque exhiberait ces symboles pour revendiquer des intentions criminelles. Tokyo Revengers présentant des jeunes marginaux et parce que le grand public n'est pas forcément aux fait de la grande histoire du svastika, on peut comprendre que certains ayant-droits préfèrent masquer le symbole. Si Glénat fait le choix de conserver le manji, Crunchyroll diffuse la version amputée de cet emblème. De son côté, Kôdansha et Ken Wakui changeront totalement le style des couvertures, mais moins dans cette idée de controverse et davantage dans une optique marketing, avant de présenter Tokyo Revengers comme un manga grand public et non un titre furyo ciblant un lectorat restreint.
TOKYO REVENGERS © 2017 Ken Wakui / Kodansha Ltd.
De erui56waifu [1 Pts], le 28 Septembre 2023 à 22h07
izana devrait avoir aussi son histoire plz
💓