Strange fruit
Développer une histoire qui se déroule dans le Mississippi des années 30, c'est aussi l'occasion d'aborder un sujet inhérent à cette époque et à ce lieu, à savoir le racisme qui anime le peuple blanc à l'égard de son homologue noir. Chose loin d'être inintéressante, le problème sera ici abordé de chaque côté de la frontière. D'une part via un RJ terrorisé lorsqu'il voit pour la première fois Clyde, d'autre part grâce aux différents habitants de la ville de MacDonald et au traitement qu'ils réservent à RJ.
Tout d'abord, examinons la vision des choses du principal protagoniste de la série. Comme je le disais, il est extrémement méfiant à l'égard de son futur compagnon de route. Il s'imagine déjà subir un lynchage, déjà laissé pour mort pendu à un arbre tout comme l'ont été nombre de ses congénères par le passé. Pourtant, à ce moment là, RJ est en ce que l'on pourrait appeller "territoire ami" puisque Clyde est apparement le seul homme de race blanche dans les environs. Mais, à l'image d'Ike qui disparait au moment opportun, il semblerait que la loi en vigueur soit celle du chacun pour soi. Par la suite, lorsqu'il est enfermé dans sa cellule, RJ aurait longuement l'occasion de réfléchir à sa condition, notamment lors de sa discussion avec Ike. Par ailleurs, l'interprétation que l'on peut faire de ce passage diffère suivant notre vision de ce dernier. Si on le considère comme un individu externe à RJ, on pourra simplement penser qu'il adopte un point de vue plus moderé sur les tortionnaires du héros ou, en tous cas, plus distant. A contrario, si l'on le prend comme étant la conscience matérialisée d'RJ, on peut alors considérer le fait que, malgré une colère extérieure virulente, il est au fond de lui parfaitement conscient des motivations des blancs, et de son acceptation du statut qui lui est conferé.
Ensuite, passons de l'autre côté de la barrière. Bien qu'à l'époque où se déroule l'action l'esclavage ait été aboli, cela n'a pas vraiment eu d'impact sur l'opinion des blancs à l'égard des noirs. Pour ces derniers, le simple fait d'être né signifie qu'ils méritent d'être lynchés et torturés, traités comme du bétail, que dis-je, le bétail est nettement mieux traité. Une scène qui résume superbement bien l'opinion publique se retrouve d'ailleurs en fin de troisième tome. Elle met en avant Roland, occupé à sermoner son fils qui, avec quelques copains, a donné une raclée à un autre garçon. Roland lui explique qu'un véritable américain doit régler ses problèmes en homme, à un contre un. Afin de motiver son fils à promettre de ne plus recommencer, il l'invite, s'il tient parole, à l'autoriser à participer au lynchage de RJ qui doit avoir lieu le lendemain. Horrifiant. Mais terriblement fort.
Enfin, il est également amusant, excusez le terme peu approprié, de constater la différence de comportement d'une éthnie à l'autre. Les fermiers se jettent sur RJ alors que celui-ci se trouve relativement éloigné de leur champ. Tandis que du côté noir, lorsque Clyde se jette dans le juke joint afin de demander de l'aide, les personnes présentes prennent le temps d'écouter ce qu'il a à dire. Voila encore un exemple particulièrement représentatif de la mentalité qui règnait en ces temps là.

If I had possession over judgement day
Dans la postface du premier volume, Takashi "Hotoke" Nagai, superviseur de la série, évoque un thème qu'il est intéressant d'approfondir. Il parle, entre autre, du vagabondage comme d'un désir naturel de l'homme. Les destins croisés que l'on retrouve dans Me and the devil Blues ainsi que les différents choix auxquels sont confrontés leur propriaitaire permettent d'aborder cela sous différents angles de vue.
On peut considérer RJ comme un vagabond, c'est indéniable. Par contre, cela resulte-t-il vraiment d'un désir de sa part ? Si, dans la réalité, Robert Johnson correspondait à ce profil, c'est nettement moins le cas du RJ que l'on a pu connaitre au travers des 4 tomes de la série. En y regardant de plus prêt, on se rend rapidement compte que s'il parcourt les grands chemins en chantant son blues à qui veut l'entendre, c'est avant tout parce qu'il a été chassé de chez lui par sa soeur et son beau-frère. Certes, il souhaitait faire de la musique, mais sans en mesurer toutes les conséquences. Et comme je l'avais rapidement évoqué dans la présentation du personnage, RJ ne décide que très rarement de ce qu'il va faire dans un futur proche. Il ne le fait que lorsque son instinct de survie reprend le dessus. Le reste du temps, il réfléchit, pèse le pour et le contre, mais ne va pas au bout des choses. Quelque part, le fait que son but ultime se soit réalisé sans qu'il n'ait quoi que ce soit à faire lui a brisé les ailes. Le voila qui vagabonde à travers le pays, mais sans éprouver le plaisir qui devrait aller avec.
Clyde, lui, fonctionne autrement. Il fait ses propres choix et n'hésite pas lorsque l'occasion se présente. Par contre, il laisse par la même occasion des regrets derrière lui, à commencer par le fait d'être séparé de Bonnie. De plus, certaines décisions lui attirent moults problèmes. Par exemple lorsqu'il décide de venir en aide à RJ, ou encore lorsqu'il fouine dans les affaires de MacDonald. A ce niveau là, on peut faire un parallèle avec RJ. Leur vagabondage les entraine chacun vers une mort déjà toute dessinée. Cela peut amener à une réflexion assez poussée sur la bonne attitude à adopter face aux décisions que l'on doit ou ne doit pas prendre. Doit-on pour conclure s'abandonner à la constatation que, quelque soit la motivation ou la méthode, atteindre son but, c'est mettre fin à sa vie?

ORE TO AKUMA NO BLUES © 2005 Akira Hiramoto / KODANSHA Ltd.
De jojo81 [7395 Pts], le 28 Octobre 2010 à 19h02
Super dossier sur l'un des tout meilleurs manga parus en France. Je VEUX la suite !!! c'est trop dur...
De Koiwai [13041 Pts], le 23 Octobre 2010 à 13h20
Je garde un excellent souvenir de ce manga, unique en son genre ! Mais quel dommage qu'elle soit à l'abandon au Japon !
Je n'ai pas encore lu le dossier en entier, mais ça ne saurait tarder ^_^
De le gritche, le 22 Octobre 2010 à 15h59
Il y a donc un 4ème tome, je sne savais pas...et j'ignorais d'autant plus que c'était le dernier ! Rien ajouter au dossier, que je n'ai pas lu, étant déjà un admirateur convaincu de ce manga.
De Kakunoshin [551 Pts], le 22 Octobre 2010 à 11h48
Comment résumé ce manga ? Une claque ! c'est tout.Je connaissais déjà un peu la légende R.L.Johnson avant et je me souviens avoir commencé la lecture un peu à reculons me demandant comment un Japonais pourrait retranscrire l'ambiance de l'Amérique de ces années la... Le résultat ? Une ambiance qui prend aux tripes ! Des bars crasseux aux grandes routes la nuit.La légende pouvait se suffire à elle même tant le vaudou et le mysticisme se mélange à cet univers.L'auteur évidemment va s'en servir et ajouter à cela d'autres pistes avec la rencontre de Bonnie Parker et Clyde Barrows.Le tout servit par un graphisme de malade ! Photo réaliste dans les décors, des visages criants de vérité parfait pour nous faire ressentir l'oeuvre et les affres de la vie du Bluesman.Hélas, mille fois hélas les bonnes choses ont une fin mais la c'est beaucoup trop tôt ! Pourquoi la série à fut-elle interrompue si précipitamment ? Manque de succès ? Problème de droits ? Un nouveau mystère qui mériterait d'être éclaircit tant cette oeuvre mérite un suite !