Le nid et sa reine
Après avoir posé les bases de toute espèce, Setona Mizushiro n’aura pas son pareil pour aborder la reproduction naturelle des vampires, base fondamentale à toute perpétuation et survivance vivante. Cette dimension de l’œuvre de la mangaka apparaîtra dans toute sa splendeur avec l’arrivée d’ « Alice », le nom à l’origine même du titre. Tout commence à Tokyo en 2008, lorsqu’une jeune professeure japonaise d’une trentaine d’années, Azusa Kikukawa, a un accident de voiture, alors qu’au même moment elle mettait fin à une relation amoureuse avec l’un de ses étudiants, Koya. A l’hôpital, Dimitri fait un marché avec la femme accidentée. Au prix de son âme, le vampire sauve Koya. Sans hésiter, Azusa accepte. Ainsi, Dimitri possède enfin une âme pour faire revivre la magnifique poupée blonde immortalisée qu’est devenu le corps sans vie d’Agnieszka.

Pendant la centaine d’années écoulées, Dimitri a eu le temps de former un nid. Un nid composé par les descendants de Maximilien, assurant dès à présent leur loyauté envers leur maître à la place du défunt. Ainsi, trois mâles entourent Dimitri, Léo et les jumeaux, Kaï et Reiji. Néanmoins, le nid est sur le point de vivre un événement de taille. En effet, le nid est dès à présent en pleine effervescence et attend de pied ferme le réveil de la belle au bois dormant. Amené de cette manière-là, le lecteur aura de quoi avoir des yeux de merlan frit, mais, heureusement, l’auteure n’a pas son pareil pour réussir à diluer ses idées audacieuses au travers d’une narration rondement bien exploitée et mise en place. Toute la logique se situe dans le fait que chaque vampire mâle espère construire un nouveau nid avec un nouveau maître. C’est ainsi qu’à la mort de son maître, comme tout nid avait disparu, Maximilien en avait cherché après les graines de son maître, Sir Bradley. C’est par l’intermédiaire de ce périple qu’il a trouvé Dimitri, qu’il a considéré dès le départ comme un hôte excellent quant à la descendance de son ancien maître et pour former ainsi un nouveau nid potentiel. Mais, dans ce type de configuration, il est fort probable que les conflits d’ordre hiérarchique soient possibles. Surtout dans une société composée de plusieurs mâles, et surtout lorsqu’une femme en est l’enjeu. C’est ainsi que le maître de Maximilien, apposant son autorité, a pris la femme que Maximilien aimait en échange de quoi, il lui a donné en récompense une tige de rosier capable de rendre un corps immortel (c’est pour permettre au vampire de garder l’élue de son cœur pendant tout le temps où il vit et avant la reproduction à proprement dite). Réellement charmant. On craint dès lors qu’avec le réveil d’Azusa dans son nouveau corps, les choses au sein du nid ne se complexifient quelque peu. Peut-être pas sur le court terme, mais sur le long terme, certainement...
Après avoir passé le marché avec Dimitri, on se demande exactement ce que va bien devenir Azusa dans son nouveau corps sorti tout droit d’un conte de fée. La chose est simple et elle lui sera expliquée assez rapidement par les quatre vampires l’entourant. « Nous désirons nous accoupler avec toi... Emplir ton utérus de nos graines pour donner naissance à des vampires de qualité. Voilà ce que nous te demandons. As-tu des questions ? » Quelle plus belle manière que de se déclarer de façon aussi sincère et séduisante. C’est donc avec cette pensée graveleuse, mais non moins des plus naturelles lorsque l’on prend les choses de manière la plus animale possible (ce n’est pas comme si l’Homme pouvait en réchapper lui aussi) qu’Azusa sera cantonnée à la magnifique place de reine de leur nid. En d’autres termes, les vampires attendent d’elle qu’elle détermine qui d’entre eux est le meilleur vampire, qui possède le plus de qualités à transmettre à ses descendants, et ce nid fonctionnera selon ses ordres. Tous ces rôles peuvent prêter à sourire, tellement les choses pourraient nous paraître tirées par les cheveux. Néanmoins, les choses paraîtront moins drôle une fois que l’on est directement concerné et lorsque sa propre espèce, dans le cas présent les vampires, est déclinante. A cet instant précis, le rôle conféré à Azusa devient dès lors des plus cruciaux, surtout lorsqu’elle aurait la capacité avec son nouveau corps d’offrir aux vampires une grande lignée et ainsi de sauver la race en elle-même. C’est dans ce contexte qu’Azusa décidera de changer de prénom pour celui-ci d’Alice.

Mais bien que l’espoir soit bel et bien là pour nos vampires composant le nid de Dimitri, les choses ne sont pas aussi simples. Chasser la nature par la porte, celle-ci revient immanquablement par la fenêtre. En effet, Alice ne pourra choisir qu’un partenaire, car, comme nous l’avions déjà précisé précédemment, elle mourra avec, une fois qu’ils se seront accouplés. Un partenaire qu’elle devra choisir parmi les hommes du nid. Sinon, elle pourrait éventuellement vivre éternellement sous sa nouvelle apparence si aucun ne lui plaît. A côté des possibilités qui s’offrent à la reine, dès le départ, l’avertissement est là. La solution sine qua non pour que l’espèce soit sauvée par l’intermédiaire de son intervention est qu’il appartienne à la femelle d’être sage. Or, on ne peut pas dire qu’Alice est des plus réfléchies, surtout lorsque celle-ci est bien souvent malgré elle émotive et capricieuse. On ne peut cependant ne pas lui en vouloir, surtout quand on sait la drôle de destinée qui l’attend. Mais bien plus fondamentalement que cela, Alice devra ressentir de l’amour tout court à l’égard des vampires, sous peine de ne pas produire une bonne semence, selon les dires mêmes de Dimitri. Il est évident que les choses ne sont d’ores et déjà plus aussi candides qu’au départ.
Et ce n’est pas la rivalité entre les différents mâles du nid qui risque de simplifier les choses. Dès le début, Dimitri se mettra hors course de la compétition (afin notamment d’expier sa faute passée) pour conquérir la belle, mais, à la place, il favorisera Léo au détriment des jumeaux, Kaï et Reiji. Léo, un personnage aussi serviable, sympathique, amusant que profondément seul et triste, qui va très vite s’avérer devenir le principal prétendant de la belle. Peu importe comment les choses peuvent se présenter et /ou qu’on vous présente le mâle le plus parfait possible, il faut se méfier du cœur d’une femme, surtout lorsqu’on essaie de lui imposer un choix. Et les choses vont rapidement se confirmer. Alors que Léo se bornait à ne pas dévoiler sa mort prochaine à Alice, celle-ci continuera à se borner à le considérer comme un ami, même s’il faisait un géniteur idéal. Finalement, la dure loi de la nature reprendra implacablement ses droits.

A la mort de Léo, l’ambiance au nid sera tendue et mélancolique. C’est d’ailleurs à sa mort qu’Alice se rendra compte qu’elle ne connaissait en réalité rien des vampires avec qui elle vivait. C’est à sa mort également qu’Alice s’apercevra enfin des défauts de Léo, il faisait trop attention aux autres, c’était un poseur. C’est cela qui a eu raison de son échec en tant que prétendant. Léo est mort, le vent a tourné. Kaï et Reiji sont dès à présent libérés, c’est enfin à leur tour de passer à l’offensive. La nature est cruelle, mais le cœur d’une femme l’est d’autant plus. Et bien souvent, c’est un état de fait que l’homme oublie, surtout en contemplant l’apparence frêle, faible, et superbe, de la femme. Et souvent, cet oubli lui coûte très cher. Oubliant de quoi est fait son cœur, sa bien-aimée précipite son homme dans l’abysse le plus profond. Mon nom est Alice, je suis une rose noire, une rose aux épines empoisonnées et acérées.
© Setona Mizushiro 2008 (AKITASHOTEN JAPAN)
De myly [80 Pts], le 05 Février 2016 à 10h20
Un excellent manga, comme toujours, on en attendais pas moins de Setona Mizushiro ! j'ai hâte que la série reprenne !
De ichirukia [429 Pts], le 27 Septembre 2014 à 19h53
J'aime beaucoup ce manga ! Vivement que la suite sorte ! ^^