Black Rose Alice

Le mythe du vampire revisité par Setona Mizushiro

Setona Mizushiro s’est fait connaître dans nos contrées par l’intermédiaire de plusieurs œuvres. Pour toute personne ayant lu la plupart de ses titres, on peut remarquer qu’à chacune de ses séries, elle aborde une thématique en particulier. Dans Black Rose Alice, elle revisite le mythe du vampire selon sa propre version, il en va de soi. Tout débute le jour où Dimitri, jeune ténor d’origine rom qui ne rêve que de faire jeu égal avec la haute société viennoise, même si cela paraît insensé, se retrouve écrasé par un cheval, en 1908. En toute logique, on devrait se retrouver face à un cadavre. Et pourtant, Dimitri est bel et bien en vie. Tout devrait rentrer dans l’ordre, mais c’est là que les gens commencent à mourir tout autour du jeune homme. Mais ce n’est pas tout. Ses sens s’aiguisent, le troublent de plus en plus et, depuis le jour de son accident, une étrange marque en forme de rose est apparue à la base de l’arrière de son cou, qui ne donne pas l’impression de vouloir partir. Peu de temps après, il rencontre un homme, disant se prénommer Maximilien, et qui lui révèle de but en blanc qu’il est devenu un vampire...
  
  
  
  
  
Voilà une première introduction avec la mythique espèce vampirique qui continue, encore aujourd’hui, à fasciner bon nombre de gens. Et peut-être que ce qui fait la force de cette créature fantasmatique est que chacun d’entre nous peut se créer sa propre version de ce qu’est un vampire, de ce qu’il représente. Et Setona Mizushiro n’échappe à aucun moment à cette règle. Aussi, au fur et à mesure que le lecteur suit les aventures de Black Rose Alice, il sera amené à découvrir l’illustration que se fait l’auteure de cette race mystique. Première chose à savoir, les vampires version Mizushiro peuvent être à la lumière du jour, sans pour autant disparaître sous un tas de cendres, ils adorent même faire la sieste au soleil, se reflètent dans les miroirs et ne craignent pas les croix. Mais ils dorment bien le jour et se lèvent à la tombée de la nuit. Leurs sens sont plus aiguisés, ils sont plus actifs la nuit et ils vivent en aspirant les nutriments nécessaires dans le sang de cadavres frais. Et ainsi de suite, l’auteure confirme ou non certains éléments classiques qui sont généralement véhiculés dans le folklore que l’on se fait de cette créature de l’obscur. Mais ce n’est pas en soi cela que nous retiendrons spécifiquement vis-à-vis des vampires que nous serons amenés à découvrir tout le long de l’œuvre.

Toute la force du titre réside dans le fait que la mangaka ne se limite pas à confirmer ou non certains éléments du mythe. Non, tout va bien au-delà de tout cela. L’auteure bouscule nos repères en imposant une version vampirique des plus innovante et audacieuse. Adieu les morsures, l’humain bêtement immortalisé ou autre. Dans Black Rose Alice, il n’existe que des vampires mâles qui, à la fin de leur vie, procréent (s’ils en ont en tout cas la possibilité) avec une femme humaine. Le mâle meurt peu après s’être reproduit. Du côté de la femme, celle-ci devient exceptionnellement vampire pendant un mois après avoir été ensemencée et avant de mourir ensuite. A la pleine lune et au moment où la femelle se meurt, les graines détenues dans son utérus se dispersent, se transformant en forme de papillons, tout aussi magnifiques que glauques. C’est à ce moment-là que les papillons sillonnent les airs à la recherche d’un cadavre mâle, compétent, jeune, fort et vivace, les suicidés étant exclus. Ils ensemencent le corps en laissant une marque de rose sur la nuque. Et s’est fécondé par l’une de ses graines que le mort revient à la vie, transformé en vampire. Et c’est justement dans ce tableau cruel et pourtant tout simplement biologique, dont la sélection naturelle est le maître mot, que Dimitri a reçu la graine du maître de Maximilien, Sir Bradley, le jour même de son décès. On peut dire après tout cela que Setona Mizushiro n’y a donc pas été de main morte. Elle ne se limite pas à revisiter le mythe du vampire, elle donne même l’impression de vouloir en donner une image révolutionnaire et tout à fait inédite. Et c’est sans aucun doute là quelque chose que l’on se doit de saluer.
  
  
  
  
  
C’est ainsi que Dimitri se retrouve à continuer sa vie sous l’apparence d’un vampire. Est-ce une chance ou un malheur ? Une chose est néanmoins sûre, notre jeune vampire a hérité d’un pouvoir aussi beau que mortel. Sa voix, à une certaine hauteur, s’empare du cœur des humains et les force à se sacrifier pour lui. Un pouvoir qu’il a directement hérité de son père vampirique. D’ailleurs, les vampires fécondés par une graine, de manière générale, gardent leur mémoire, leur personnalité et leurs spécificités d’origine, mais héritent également des pouvoirs et des traits de caractère de leur géniteur. Le degré de transfert et ses conséquences dépendront des cas d’espèce. Vu tout cela de cette manière, on aura la sensation de retrouver le mythe du vampire sous un aspect assez cru, fondé dans la nature même et pas des plus séduisants, surtout lorsque nous devons imaginer les vampires comme des arbres buveurs de sang, ayant parasité des cadavres humains, abritant en eux des serviteurs insectes et vivant de sang et de chair humaine. Néanmoins, ne dit-on pas que c’est au sein même de l’horreur et de la cruauté de la nature que nous retrouvons les plus belles choses, un peu comme à l’image de l’humain, un être imparfait tout aussi angélique que diabolique. Ainsi, l’une des plus belles choses que nous retiendrons du vampire façon Mizushiro sera qu’il finira sa vie en consommant son amour pour une seule femme, élue de son cœur. Bienvenus chez les vampires, bienvenus tout simplement dans l’univers de Black Rose Alice.