Dossier Bilan Manga-News 2013 - Partie 2 - - Partie 3

Nouveaux rapports, nouvelles visions

Mouvements éditoriaux

L'année 2013 fut également le théâtre de plusieurs bouleversements dans le monde éditorial, à commencer par une annonce très redoutée qui finit par tomber en mars. Après deux ans d'existence, la collection Kuri de la maison d'édition Ankama, destinée à la publication de manga japonais, s'arrêta, faute d'avoir rencontre le succès avec son catalogue, où seule la série Soil rencontra véritablement un certain succès. Cette décision signa l'arrêt de plusieurs titres en cours, à savoir Hitman – Part Time Killer, Black Joke, Togainu no Chi et La Paire et le Sabre. Ankama reste cependant le plus important producteur de global manga, avec des titres comme City Hall ou Radiant, ce dernier ayant été lancé dans l'année, sans oublier les nombreuses séries dérivées de ses licences Dofus et Wakfu.

En janvier 2013, nous apprenions également des changements importants du côté de Kazé Manga, avec le départ de Raphaël Pennes du poste de directeur éditorial de la maison d'édition, qu'il occupait depuis la fondation de la maison d'édition Asuka huit années plus tôt. Raphaël Pennes ne quitta pas le groupe pour autant, en devenant le directeur du pôle éditorial de l'ensemble du Groupe VIZ Media Europe. Il fut remplacé par Josselin Moneyron, ex-responsable éditorial de Kazé Manga, mais ce dernier finit par quitter le poste un an plus tard. Aujourd'hui, le nouveau directeur éditorial de Kazé Manga est Mehdi Benrabah, ancien assistant éditorial free-lance pour le label Sakka (Casterman).

Cependant, l'évènement éditorial le plus important de 2013 reste la programmation de la séparation entre l'éditeur Delcourt et Akata, prestataire de la société d'édition en tant que directeur de collection externe pendant douze ans. Plus concrètement, cela signifie qu'Akata était chargé de la prospection et de la négociation des licences au Japon, ainsi que de leur gestion et promotion sur notre territoire, mais que les droits des séries ont toujours appartenu et appartiennent encore au groupe Delcourt. Aussi, pas d'inquiétudes à avoir : les nombreuses séries acquises durant ces années de collaboration perdureront chez ce dernier.

Annoncée en mai cette scission ne prit acte qu'au 31 décembre 2013. Mais Akata n'a pas attendu la fin de ce contrat pour afficher ses nouvelles ambitions, en se lançant en tant qu'éditeur indépendant ! Menés depuis toujours par un certain sens des valeurs très marquées, les responsables du label ont ainsi décider de jouer une carte inattendue pour leur premier titre, Seediq Bale, paru en septembre. Titre originaire de Taiwan, cette histoire très engagée nous parle de l'oppression subie par les habitant de ce pays lors de l'occupation nippone à la fin du XIXème siècle. Bien décidé à aller là où on ne l'attend pas, le jeune éditeur a par la suite présenté une autre série, provenant cette fois de Corée, pour le tout début de l'année 2014 : Moi, Jardinier Citadin.

De son côté, le groupe Delcourt, pour pallier au départ de Dominique Véret et des autres employés d'Akata, engage comme nouveau directeur éditorial Pierre Valls, qui occupa ce même poste pour les éditions Pika de 2000 à 2012. Pour l'heure, cette nouvelle direction n'a encore annoncée aucune acquisition de nouvelle licence en son nom propre. Cependant, rappelons que la maison Delcourt, plus grande société indépendante de bande-dessinée en France, détient également les éditions Soleil et Tonkam. Or, nous pouvons déjà noter quelques signes avant-coureurs d'un rapprochement entre Delcourt et Tonkam, ne serait-ce que par la présentation commune de leurs catalogues en librairie. Au vu des difficultés qu'a connu Tonkam au cours des dernières années, peut-on imaginer que cet éditeur historique se fasse finalement absorber, d'une manière où d'une autre ? L'avenir nous le dire, et nous ne manquerons pas de suivre avec attention les nouveaux itinéraires empruntés par ce groupe en 2014....

Penser l'édition autrement ?

En marge du jeu de chaises musicales qui a animé les plus grandes maisons d'édition, de nouveaux acteurs ont également pointé le bout de leur nez en 2013. Mais nous avons constaté à maintes reprises qu'il était très difficile pour un nouvel arrivant de parvenir à faire son trou. Aussi, deux recettes semblent avoir fait leur preuve cette année : s'inspirer des succès précédents de petites maisons devenues grandes aujourd'hui, ou proposer audacieusement une nouvelle façon de faire, de penser le manga.

Lancée fin 2012, la maison d'édition Komikku semble s'inscrire dans la première catégorie, en suivant le sillage d'une des plus grandes réussites des années passées : l'ascension de Ki-oon ! On retrouve en effet dans cette première année d'existence les valeurs des débuts de son modèle. Les sorties se sont faites rares, avec cinq séries manga pour une dizaine de volumes, mais l'éditeur-libraire a poussé chacun de ses titres avec attention, mettant en avant chacun d'eux comme un événement à part entière. Le parallèle avec Ki-oon fut d'autant plus frappant à Japan Expo : les deux stands se côtoyant, il était aisé d'en apprécier les similitudes, que ce soit dans la disposition, la présentation des exposition ou la mise en avant d'un mangaka invité (en l’occurrence Masahiro Ikeno, auteur de Malicious Code).

(Le stand Komikku à Japan Expo 2013)

De son côté, l'éditeur Isan Manga propose quant à lui un concept très particulier, se rapprochant de l'optique de quelques maisons d'éditions indépendantes comme Le Lézard Noir ou Cornelius, mais avec une mouvance plus patrimoniale, comme évoquée lors de notre tour d'horizon des nouveautés. L'objectif d'Isan Manga est de mettre ses productions en valeur par l'attrait du beau livre, avec une qualité d'édition de très haute volée mais à des prix loin d'être à la portée de toutes les bourses. Le manga prend ainsi un attrait de luxe, d'un objet culturel pouvant attirer les plus réfractaires à la bande-dessinée nippone. Les tirages sont plus limités, mais l'éditeur semble avoir réussi son pari sur cette première année d'existence.

(Karim Talbi, cofondateur d'Isan Manga, accompagné de la maquette de Romeo et Juliette, début 2013)

Les deux autres « rookies » de 2013, à savoir IDP et Black Box, ne sont quant à eux pas des débutants en terme de stratégies éditoriales, appliquant sur le manga des techniques propres au dvd. Que ce soit avec son système d'abonnement pour le premier (comme nous l'avons décrit dans notre revue des sorties yaoi) ou par un système exclusif de vente en ligne pour le second, les deux groupes contournent le circuit habituel de production en se passant d'un distributeur. Leur visibilité est donc très faible en librairie (voire complètement absente pour IDP), mais les deux maisons d'éditions compensent par d'autres stratégies. IDP cherche de son côté à fidéliser les lectrices de yaoi à son système d'abonnement par l'apport de contenus exclusifs, tandis que Black Box joue à fond la carte de la communication autour de chacun de ses titres, avec quelques offres limitées comprenant des dédicaces de ses auteurs.

Dans le même ordre d'idées, notons que Taïfu Comics a également lancé début 2013 son propre site de vente par correspondance, Pointmanga.com, avec là encore quelques exclusivités.

Parmi les stratégies déjà observées auparavant, nous noterons également la propension des maisons d'édition à proposer des séries conçues par elles-mêmes, par opposition aux nombreuses acquisitions de titres existants. Il s'agira pour la plupart de faire (re)découvrir de nouveaux talents français, comme l'a fait Ankama avec Radiant de Tony Valente , Asuka avec Sweet Desire d'Eternal S, mais aussi Pika avec Lords of Chaos, titre qui signe le retour du talentueux duo Shonen/Izu.

De leur côté, après Prophecy et Rôji, les éditions Ki-oon ont une nouvelle fois collaboré directement avec un auteur japonais en 2013 en retrouvant Mamiya Takizaki, auteure d'Element Line, tout premier titre de l'éditeur. Il résulta de cette nouvelle association Ash & Eli, un titre d'heroic fantasy mis en évidence à l'occasion de Japan Expo, avec l'invitation de la mangaka.

Pour finir sur ces quelques tendances, citons également, dans un registre un peu plus excentré, la collection Black Moon Graphics, lancée par Pika début 2013. Cette collection, qui a pour but de présenter des adaptations d’œuvres fantastiques classiques comme modernes en romans graphiques, a ainsi accueilli l'adaptation « manga » de Twilight sortie quelques années plus tôt, ainsi que de nouveaux titres comme Sublimes Créatures ou encore Entretien avec un Vampire. Le label accueille également des créations étrangères atypiques, comme Infinite Kung-fu en novembre 2013.

Le manga numérique : vers une concrétisation ?

Faisant l'objet de nombreuses rumeurs, d'annonces ambitieuses comme de nombreux faux départs, le manga numérique reste au cœur des perspectives d'avenir du monde éditorial. Le retrait de Square Enix dans ce secteur, annoncé en mai, pouvait nous laisser penser que cette vieille chimère allait finir par être oublié, pourtant les éditeurs français continuent à s'intéresser de près à ce marché en devenir.

Pour en savoir plus, il faut jeter un coup d’œil aux sociétés internationales du secteur de la BD numérique. Le groupe européen Iznéo, disposant d'un catalogue de 6000 titres pour plus d'un million de visiteurs, a ainsi lancé une nouvelle offre numérique pour le manga en novembre 2013. Son service permet de découvrir les derniers chapitres en date de nombreuses séries, en accord avec les ayant-droits français et japonais, et comporte dans son catalogue de gros titres comme Naruto, Fairy Tail ou Bakuman.

La firme américaine Comixology a de son côté réuni de nombreuses maison d'éditions à l'internationale, dont trois groupes français, à savoir Delcourt (le groupe s'en félicitant au festival d'Angoulême, cf news), Glénat et plus récemment Kazé Manga. Chez ce dernier, l'application permit de découvrir en version numérique à partir d'octobre des titres comme Gate 7, Tensai Family Company ou Summer Wars, rapidement rejoints par d'autres licences de l'éditeur (cf news).

En marge de ces quelques rapprochements, nous pouvons également espérer d'ici quelques temps des nouvelles de la simulpubli, permettant, à l'instar du simulcast pour les animes, de retrouver les derniers chapitres des plus grandes séries en prépublication, avec quelques jours de décalage. Outre l'espoir latent d'une version européenne du site web du Shônen Jump, une inititative importante a surgi en novembre avec le rapprochement de deux géants : la maison d'édition japonais Kôdansha et la plateforme américaine Crunchyroll. Les deux firmes ont ainsi lancé la simulpubli sur une douzaine de titres à son lancement (dont L'Attaque des Titans, Fairy Tail ou Space Brothers), à destination de 170 pays différents. Hélas, la France n'en fait pas encore partie, mais l'installation de Crunchyroll sur le sol français du côté du simulcast peut nous laisser quelques bons espoirs...

Des tarifs encore trop élevés, une sélection encore trop restrictive, l'attachement au format papier,... tous ces éléments nous laissent croire que l'offre numérique n'est pas encore prête de fonctionner en France. Cependant, au vu des rapprochement précités, le monde éditorial croit en cette nouvelle manière de consommer le manga. Et l'émergence future de la simulpubli pourrait également offrir une alternative légale au fléau du scantrad. En effet, parmi ces offres, Crunchyroll propose un accès gratuit au dernier chapitre en date de chaque série. Si ces offres venaient à arriver en France, les lecteurs impatients n'auront plus aucune excuse !