Wet Moon - Actualité manga
Dossier manga - Wet Moon
Lecteurs
19/20

Les qualités narratives


La rédaction vous met en garde : dans cette partie, vous trouverez quelques éléments de spoil.


Les techniques d’arts séquentiels


Le scénario de Wet Moon est parfaitement nébuleux. L’auteur a voulu créer une histoire policière énigmatique complexe et pour cela, il a fait appel à plusieurs techniques des arts séquentiels. La première est bien évidemment les nombreux va-et-vient des personnages dans le temps et l’espace. Impossible de dire, aux premières lectures, si certaines séquences ont réellement lieu dans l’intrigue ou si l’esprit de Sata les invente. On peut distinguer ces techniques de flashback en deux temps : ceux présents dans la première moitié du manga, et ceux présents dans la deuxième.

En réalité, le premier volume et une partie du second volume relèvent plutôt d’une ambiance policière. Sata pourchasse Komiyama par obsession, et est victime d’hallucinations à cause de son accident. Les flashbacks narrés à ce moment sont somme toute assez classiques et sont là pour apporter un élément supplémentaire au lecteur.

Mais l’intérêt des va-et-vient est surtout notable dans la deuxième moitié du manga, où l’auteur évoque la possibilité de voyager dans le temps et l’espace grâce à un fameux objet métallique (probablement celui logé dans le crâne de Sata). Le manga prend une tournure plus fantaisiste dès lors qu’il rencontre Tamayama de visu. Par la suite, à certains moments, la foudre frappe le lieu où se trouve Sata et il se retrouve à émerger dans un lieu différent ou à un moment différent de sa vie. Le lecteur doit alors choisir : Sata délire ou Kaneko adopte pleinement une tournure science-fiction ? Dans ce cas, cela signifie que la complexité de l’intrigue est là pour masquer l’idée que le morceau de métal qu’a Sata dans le crâne est en réalité un artefact lui permettant de changer de lieu et d’époque. Cette théorie est annoncée assez clairement dans l’intrigue, mais elle est entourée d’un chaos narratif pour la masquer. Et ce n’est pas un défaut ! C’est un jeu, entre l’auteur qui pose une idée, qui la cache et ses lecteurs qui doivent la retrouver…

Si c’est une explication possible de Wet Moon, nous tenons alors une nouvelle référence cinématographique : dans l’Armée des 12 singes de Terry Gilliam, l’acteur campé par Bruce Willis voyage dans le temps mais cela lui cause de nombreux chocs psychiques, et il ne parvient plus à distinguer si ce qu’il vit est réel ou s’il délire.

Tout cela prouve que Kaneko sait utiliser les codes des arts séquentiels avec talent






Un découpage narratif manga de haut niveau


Si ces techniques de narration, proches du cinéma, sont aussi efficaces, c’est grâce à la maestria de Kaneko dans le média qu’il utilise : la bande dessinée. En réalité, à bien des égards, Atsushi Kaneko se rapproche de son confrère Naoki Urasawa. Par exemple, Billy Bat et Wet Moon sont tous deux des thrillers métaphysiques se déroulant entièrement ou partiellement dans le milieu du XXème siècle, et les deux auteurs sont d’excellents narrateurs dans le domaine du manga.

Dans Wet Moon, l’auteur malmène le lecteur et l’envoie aller et venir entre les lieux, les époques. Le petit plus, c’est l’aspect sensationnel lorsque Sata se voit brutalement sur la Lune. Cet élément arrive plusieurs fois et à chaque utilisation de ce procédé, les quelques cases qui précédent les double-pages de vues sur la Lune sont très dynamiques



Lecture et relectures


Wet Moon est un manga puzzle, qui nécessite plusieurs lectures pour être un temps soit peu compris. En quelque sorte, c’est un challenge pour le lecteur que de comprendre tout ce qu’a voulu dire Kaneko en insérant tel élément à tel endroit. Il est certain que bien des lecteurs n’aiment pas l’idée de devoir « travailler » sur une œuvre pour la comprendre. Mais pourtant, ce genre de récit témoigne de la volonté des auteurs de proposer quelque chose de pensé. La satisfaction d’avoir saisi un élément supplémentaire pendant une relecture est un sentiment plaisant. Pour autant, la première lecture n’est pas désagréable, loin de là, car l’ambiance et les graphismes sont là pour prouver les autres qualités de mangaka de Kaneko. C’est ce procédé et cette portée artistique qui rapproche le manga de grands films comme Il était une fois en Amérique.





Tension visuelle


Comme nous l’avons dit, Wet Moon est un thriller où les personnages sombrent dans la folie. Pour représenter la tension qui règne dans le manga, l’auteur utilise divers outils visuels qui servent le scénario et l’atmosphère.

Lorsque les personnages paniquent, ils transpirent. Le trait de Kaneko rend cet outil graphique différent de ce que des auteurs au trait plus commun pourraient effectuer. Avec ses lignes épaisses, on ressent la moiteur ambiante, et c’est en plus raccord avec le titre du manga (wet moon peut être traduit par « lune moite » ou « lune humide »). Lorsque les protagonistes sont en proie à un sérieux désarroi, leurs yeux sont injectés de sang et on sent qu’ils sont sur le point de devenir fous. Enfin, la vision d’insectes qui envahissent le décor par Sata renforce toute cette atmosphère malsaine.



Un scénario qui surplombe les personnages


Globalement, les personnages du manga subissent l’intrigue plus qu’ils n’en sont acteurs. Sata, par exemple, a beau se démener à la base pour retrouver Komiyama, il en est finalement parfaitement incapable. Et c’est raccord avec la folie ambiante : les protagonistes perdent leurs repères.

En fin de compte, deux protagonistes doivent particulièrement interpeller le lecteur : Tamayama, car il est redouté par les autres comme un dieu cruel pour une raison ignorée du lecteur ; et Komiyama, qui au fur et à mesure du manga, va apparaitre à Sata de manière contrastée tant au niveau psychologique qu’au niveau de son design. La théorie la plus plausible serait que la Komiyama que Sata pourchasse au début est celle de son époque, celle qui vient d’assassiner son collègue et qui est paniquée ; et lorsqu’elle apparait habillée de manière excentrique, elle viendrait du futur, grâce à l’accompagnement de Tamayama.

Il y aurait alors deux catégories de personnages : Sata et ses collègues, et Tamayama et ses associés, les premiers évoluant dans leur présent, et les seconds venant du futur grâce à l’appareil de métal qui permet de voyager dans le temps grâce à la foudre.

  
  
  

© 2012 KANEKO Atsushi by KADOKAWA

Commentaires

DONNER VOTRE AVIS
nolhane

De nolhane [6581 Pts], le 18 Août 2015 à 01h11

19/20

Merci pour ce très bon dossier! je conseil à tous cette série et cet auteur qui valent vraiment la peine d'être plus connu et reconnu ;)

VOTRE AVIS



Si vous voulez créer un compte, c'est ICI et c'est gratuit!

> Conditions d'utilisation