Sangsues - Actualité manga
Dossier manga - Sangsues
Lecteurs
18/20

Portrait de société



Aux côtés des exclus de la société


L'auteur ne tarde pas à mieux présenter le concept de Sangsues, celui d'un monde où l'exclusion sociale, l'anonymat des gigantesques cités grouillantes et les maux familiaux et personnels poussent les marginaux à vouloir disparaître sans mourir. Mais ce que l'on y retient surtout, c'est l'efficace portrait de ces personnages véhiculant discrètement des maux bien présents de l'étouffante société.

Ainsi, le mangaka prend notamment tout le tome 2 pour évoquer une triste réalité qu'il s'applique à mettre en exergue, et qui montre la portée universelle de son portrait sociétal qui est loin de se limiter au Japon et est commun à nombre de pays. Ici, il aborde le drame des "enfants noirs" (ou heihaizi). Victimes collatérales de la politique chinoise de l'enfant unique, il s'agit des deuxièmes enfants des familles de Chine, mis au monde secrètement, illégalement, et donc voués à une vie peu envieuse : revendus par leurs parents, immigrés clandestins, ils ne pourront être maîtres de leur vie, simplement parce qu'ils ne sont pas nés où il fallait. Dans Sangsues, les jumeaux Wei et Rin symbolisent cela. Wei a connu 18 années heureuses. Rin, lui, n'a connu qu'une vie loin de tout amour familial, entre trafic d'êtres humains et prostitution. Et c'est précisément ce manque de repères familiaux et sentimentaux qui le font commettre le pire quand réapparaît devant lui ce frère qui a eu plus de chance que lui.
Si la politique chinoise de l'enfant unique est bien connue, ses conséquences le sont moins chez nous, et le mangaka a donc le grand mérite de mettre en lumière une triste réalité... bien qu'il ne fasse que survoler la chose en entrant peu dans les détails, et en se focalisant plutôt sur l'intrigue qui se dessine autour des jumeaux.
Notons que le mangaka Eiji Otsuka a lui aussi brièvement évoqué le drame des heihaizi, dans l'une des histoires du tome 17 de Kurosagi – Livraison de cadavres.

Le cas de Makoto Tsukinuma, distillé tout au long de la série, est lui aussi intéressant. Marginalisé dans la société, n'ayant pas réussi à trouver sa place, il a fait son nid dans le monde des sangsues, certes... mais à quel prix ? Poursuivant une quête vengeresse, à la recherche d'une "sangsue aux cheveux rouges" qu'il veut abattre pour des raisons précises, il semble insaisissable et ne paraît finalement pas si bien installé que ça dans un monde où il ne fait que fuir la réalité via cette quête de vengeance. Ce qui ressort alors surtout, c'est l'aspect vide de ce jeune homme ayant surtout perdu confiance en lui et s'étant dès lors rabattu sur d'autres personnes qu'il suivait sans plus chercher à penser par lui-même... Une véritable « karapace vide », comme l'affirme son surnom.

Les autres exemples des raisons de cette exclusion sociétale, de cette marginalisation, sont nombreuses dans la série, car Imai s'applique à en offrir des différentes à chaque personnage. Le passé de la belle blonde qui colle Kara permet d'aborder le dénigrement et les brimades envers les personnes n'entrant pas dans les moules de beauté physique. Nanashi laisse entrevoir toute la solitude qu'il peut ressentir. Et même le si effrayant Tetris a ses tourments, liés à un fort sentiment d'abandon.
 
Il peut être extrêmement difficile de trouver sa place et de s'intégrer en société sans se sentir de trop ou sans aliéner sa pensée, et les sangsues de la série ne sont alors simplement que des exemples de personnes marginales, n'entrant pas dans le moule ou n'ayant pas pu y entrer.





Trouver sa place


A travers le récit de thriller qu'il distille et de son portrait de « marginaux », Daisuke Imai tisse alors une toile permettant aux personnages de reconsidérer ce qu'ils sont... pour peut-être enfin trouver leur place ou, en tout cas, ce qu'ils veulent être.

L'intrigue a en effet le mérite d'interroger doucement les personnages sur leur statut et sur leur vie dans cette société où ils n'ont pas trouvé leur place. Yoko, Tsukinuma, Rin et les autres n'ont-ils réellement plus nulle part où aller ? Rin ne peut-il se reconstruire ? Yoko doit-elle tenter de revoir cette famille qui semble ne rien avoir à fiche d'elle ?

Le destin des jumeaux chinois Rin et Wei a replongé Yoko dans une phase de doute. Devenir une sangsue, est-ce vraiment la meilleure solution pour continuer de vivre dans une société qui semble l'avoir rejetée ? Est-elle vraiment capable de vivre en parasite en acceptant les règles établies ? Pour mieux le savoir, il lui faudra retourner affronter ce qu'elle a fui : sa famille, qui ne semble pas inquiète quant à sa mort. Et, surtout, ce père qui lui a fait vivre l'enfer. On ne peut pas rattraper le passé... mais doit-on le fuir pour autant ?
Puis suite aux événements dramatiques auxquels elle a assisté en retournant dans la demeure familiale, elle revient à Tôkyô changée, décidée à retrouver la trace de Makoto et à lui faire quitter le monde des sangsues.
On ne peut que constater tout le changement qui s'est opéré en Yoko. De jeune fille au regard hésitant et perdu qui semblait se laisser ballotter par la vie et la société sur le premier tome, elle passe peu à peu dans la série, et surtout dans le dernier tome, à demoiselle plus vive et vivante, dotée d'un regard plus perçant et déterminé. Cette détermination, c'est celle de retrouver et sauver Kara, la "karapace vide", ou plus précisément Tsukinuma. Et en cherchant à sauver ce jeune homme dont elle s'est éprise, c'est elle-même qu'elle risque fort de sauver également.
Au fil de la série, au contact de Tsukinuma, de ses parents qu'elle a observés, et de bien d'autres personnages, elle a appris à gagner en volonté, à affronter la vie en face et à se faire entendre, au point de bouleverser quelque peu le monde des sangsues... mais aussi ses habitants, comme Tetris.
 
Les ultimes preuves de son changement ? Evidemment, la façon dont elle prend les choses en main dans le dernier tome, et la manière dont elle s'impose à Tsukinuma dans les dernières pages. Mais aussi, sans doute, la manière dont évolue la considération que lui porte le flic Satô, preuve parfaite qu'il y aura toujours dans cette société des personnes lui montrant de l'intérêt. Même quand la société nous rejette, tout n'est pas forcément perdu.
  
  
  


HIRU © Daisuke Imai 2011 / SHINCHOSHA PUBLISHING CO.

Commentaires

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jeankevin1er

De jeankevin1er, le 27 Avril 2016 à 19h23

Un très bon dossier pour une série qu'on peut en effet conseillé et un auteur à suivre.

Karakuri

De Karakuri [3196 Pts], le 16 Avril 2016 à 11h37

18/20

J'ignorais que les couv' jp et fr étaient différentes, dans les deux cas elles ont du style.

Je trouvais déjà les dessins assez géniaux en regardant les tomes en magasin, et ce dossier me l'a confirmé.

Bref merci pour ce dossier intéressant ! Cette série était sur ma longue liste d'achats et elle vient de passer tout au dessus ! Mélange équilibré de thriller divertissant et de portrait de société avec des dessins léchés c'est exactement ce que je recherche en ce moment !

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