Children - Actualité manga
Dossier manga - Children
Lecteurs
11/20

Derrière l'horreur, des discours


Une remise en question du normal

Nous l'avons évoqué, Children est un manga qui a le mérite de ne pas se contenter d'un climat horrifique pour garnir son récit, et cherche à amener quelques petites réflexions de fond qui ne sauraient être ignorées. Celle qui semble le moins évidente, et qu'il est le plus délicat de traiter, est le rapport qu'entretiennent les personnages à la notion de "normalité". Difficile d'ailleurs de définir ce terme objectivement, puisque les normes de la société évoluent. Ce qui était pointé du doigt il y a des siècles, voire simplement il y a des années, s'est ancré dans nos mœurs, là où certains frontières resteront infranchissable de par l'aspect morale de nos us et coutumes.

Mais loin de nous l'envie de faire un cour de sociologie, nous n'en n'aurions de toute façon ni les compétences ni les connaissances, et donc aucune légitimité. Mais en tant que lecteur parmi tant d'autres, on peut se questionner sur la manière dont l'autrice aborde cette fameuse question de la normalité dans Children. Pour voir ce concept briller dans l’œuvre, il faut attendre le second opus qui va amener un basculement soudain chez Tôru. Jeune adulte candide, celui-ci devient un parfait psychopathe s'adonnant à des loisirs peut-être pire que ceux de Sakurako, dans le sens où il ne se questionne jamais sur l'immoralité de ses actions. Un basculement qui amène d'autres personnages à remettre en question leurs propres actions, aussi pouvons-nous considérer que cette "anormalité" du personnage est avant tout un levier scénaristique pour mener l'histoire vers sa résolution. Et en ce sens, cela fonctionne, car il fallait au récit un véritable électrochoc pour qu'une conclusion logique soit trouvée, une fin dans laquelle les actions barbares des pensionnaires de l'orphelinat ne pourraient être approuvées.

Pourtant, on est tentés de regarder au-delà, et se questionner sur ce que l'artiste cherche à dire avec ce concept de normalité. Lorsque Tôru est montré comme anormal et que son enfance est montrée, un risque s'opère : Celui de justifier son comportement, aboutissant à la non existence d'une normalité (au sens humanité) dans nos modes de vie. Une vision qui, fort heureusement, est détournée par la suite puisque les actions du héros seront remises en question. S'il est accepté, son sort semble résonner avec le discours du titre : Une civilisation moderne ne peut s’accommoder d'une barbarie en guise de routine. Une lecture qui permet de sauver les meubles donc, car Miu Miura s'était bel et bien aventurée en terrain glissant.


Une réflexion sur la transidentité ?

Puisqu'on parle des thématiques fortes véhiculées par l’œuvre, difficile de ne pas évoquer la question de la transidentité fortement suggérée par le personnage de Rinko. Né avec un sexe masculin, son identité de genre ne correspondait pas à sa biologie, puisqu'elle s'est rapidement affirmée comme une fille. Une nature qu'elle exprime notamment par son nom différent de son "deadname", et par une coquetterie totalement assumée.

Il est alors dommage que Miu Miura ne donne pas davantage de visibilité au personnage, celui-ci devant une part de sa présence à l'orphelinat pour le rejet qu'il a subi. Néanmoins, l'auteur traite Rinko avec beaucoup de respect et a priori peu de cafouillage. Ne pas s'attarder sur sa condition a aussi un effet certain : On ne s'attache par à Rinko pour sa transidentité, mais pour sa psychologie au milieu de ce théâtre sanguinaire, et le poids de ses actions au cours de l'histoire.

Mais en creusant plus loin, peut-être que cette idée de la transidentité prend plus de poids quand on l'associe à certaines répercussions du scénario. Cela nous amène à parler du climax, aussi nous entrons en zone spoiler. Dans les derniers instants de Children, nombre d'enfants sont morts, de même pour Sakurako, et c'est à un Tôru psychopathe que se confronte la petite fille. Le jeune adulte, sur le point de trépasser, tombe devant elle, et Rinko lui permet de partir en paix en l'acceptant tel qu'il est, lui et ses obsessions macabres (ce qui ne veut pas dire qu'elle lui pardonne, attention). Il est alors censé que le personnage qui accorde le salut au sanguinaire protagoniste soit celui qui a subi l'exclusion de par son identité. On peut y voir un dernier message fort de Children : L'acceptation de nos différences respectives, celles qui nous façonnent en tant qu'individus.


L'éternelle défiance de l'enfant à l'adulte

Le thème du conflit générationnel n'est pas rare dans les œuvres qui mettent en avant des personnages enfants ou adolescents. C'est une idée qu'on trouve énormément dans la tranche de vie, mais pas que. Côté horreur, Le Perce Neige de Rensuke Oshikiri a abordé cette idée sans mettre de gants et pour aboutir à un constat tragique. En ce sens, on peut affirmer qu'il y a un véritable catalogue thématique chez Omaké Manga qui ne publie pas des titres simplements horrifiques, mais surtout des mangas qui ont quelque chose à raconter sur notre société, ou un avis d'auteur à exprimer.

Alors, Children traite lui aussi du fossé qui sépare les générations. Dans cette histoire, l'innocent Tôru découvre un orphelinat dans lequel les pensionnaires s'adonnent à des actes sanguinolents et immoraux, un petit foyer qui s'est réuni pour fuir les adultes qu'ils méprisent. Et à raison, puisque la suite de la série va nous montrer que chacun a une bonne raison d'en vouloir aux adultes qui les ont maltraités ou abandonnés.

Ces adultes, eux, ne sont pas des saints. Parfois conscients des événements qui se trament au pensionnat, ils les approuvent ou se servent d'eux, comme le montreront certaines révélations. En somme, au fil du récit, une véritable empathie pour les jeunes personnages se créé, quand bien même ces derniers auraient commis un ou plusieurs meurtres de sang froid. Il faut dire que l'écriture de Miu Miura favorise toujours cette compassion de notre part, puisque bon nombre de ces jeunes gens vont montrer des troubles psychologiques, véritables cicatrices de sévices subies autrefois. Dans ce contexte, comment jeter totalement la pierre à une jeunesse délaissée par des adultes orgueilleux ?

Mais si la réflexion va dans ce sens dans le pur cercle du récit, il ne va pas forcément aussi loin qu'aurait pu le faire Le Perce Neige, manga de Rensuke Oshikiri dans lequel l'auteur pointe du doigts l'absence de communication entre les générations, qui creusent un fossé qui ne saurait être rebouché. Concernant Children, le propos sert une intrigue, mais ne semble pas mener à de plus denses réflexions. En tout cas, la mangaka ne condamne pas fermement les adultes dans le sens où ces derniers ne constituent pas une masse uniforme mais bien des disparités d'individus, dont certains sont emplis d'humanité. Il sera donc "amusant" d'observer, en deuxième partie de récit, un fossé entre le véritable Tôru, effrayant et démuni de toute moralité, et son père qui le poussait vers la voie de l'humanité. Les rôles sont donc inversés, peut-être une manière de montrer que cet état de fait n'est pas gravé dans le marbre, et qu'il faut voir ses concepts au cas par cas.

Et si on pourrait regretter le fond un peu plus abstrait de ce développement (peut-être par manque de temps, le récit semblant condenser tout son climax en peu de chapitres ?), on apprécie qu'un deuxième degré de lecture soit apporté. Children n'est donc pas qu'un manga violent et gore, voué à satisfaire les esprits les plus macabres comme le font certains films du cinéma d'horreur, mais cherche parfois à aller plus loin. C'est peut-être imparfait, mais la tentative d'écriture est bien présente et atteste une volonté d'auteur.



  

CHILDREN © 2018 Miu Miura / SQUARE ENIX

Commentaires

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grumpykuro

De grumpykuro [201 Pts], le 23 Janvier 2021 à 10h09

10/20

le tome 1 était sympa, même si je l'ai trouvé un peu gratuit, autant le 2ème était archi confus et pas très intéressant avec un twist tiré par les cheveux...

 

et je confirme que le lettrage est vraiment hideux... les espèces de typo fleuri sont horribles et c'est écrit bien trop gros..

cti

De cti, le 13 Janvier 2021 à 11h25

J'aurais peut-être rapproché aussi Children du Perce-neige, dont les thématiques sont très proches et évitent de lorgner du côté du fantastique. J'ai trouvé le second plus fort d'ailleurs, car il n'isole pas les enfants dans une communauté à part. Pour moi, la précipitation du premier tome de children aurait pu lui être préjudiciable si le second n'avait pas plus posé l'action en plus d'offrir une construction narrative plus poussée.

Et pour revenir sur le lettrage, s'il n'est pas des plus beaux,  je trouve néanmoins qu'il s'intègre bien avec le trait assez gras de l'auteur et avec la violence du récit.

Takato

De Takato [1931 Pts], le 10 Janvier 2021 à 18h04

C'est vraiment un plaisir quand un avis sur un travail qui a demandé pas mal de temps est un reproche pour ne pas avoir abordé tel élément.

Sinon non, j'ai ici analysé l'oeuvre uniquement.

Ploup

De Ploup, le 10 Janvier 2021 à 13h07

12/20

et pas un mot sur le lettrage parfaitement hideux de cette série?

 

manga sympatoche sinon, sans plus.

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