Riyoko Ikeda - Actualité manga
Dossier manga - Riyoko Ikeda

La fenêtre d’Orphée: une tragédie lyrique

    
           
          
Orufeusu no mado représente cinq forts bottins d'un petit millier de pages chacun, sur la révolution russe. Cela s'ouvre sur Orphée allant chercher son Eurydice dans l'Hadès, tenant sa lyre et son plectre. Nous sommes à Regensburg, dans un conservatoire. Étudiant là, Julius Léonard von Arensmeier (une femme déguisée en homme pour d'obscures raisons familiales. Le complexe du Prince Saphir a encore frappé!), Isaak Gothilf Weischaft et Klaus Schmidt. Une légende veut que si l'on voit une personne à la fenêtre de la tour, on s'en éprenne, mais que l'amour connaisse une fin tragique. Nos héros ne manquent pas de se pencher au fenestron et de s'admirer, de sorte que Julius tombe amoureuse de Klaus, Klaus et Isaak de Julius.
La méchante de l'histoire est la sœur de Julius, Annelotte. Elle veut massacrer toute sa famille pour toucher l'héritage et il faudra finalement la tuer.
Entre-temps, Julius, Claus et Isaak sont séparés par l'Histoire, la grande. Klaus et Julius finiront par se retrouver en Russie. Ils s'aiment, Julius est enceinte. Mais elle perd son enfant. Klaus est tué dans un guet-apens. Julius, amnésique, retourne en Allemagne, et se fait tuer par le domestique de la méchante Annelotte qui n'a pas digéré la mort de sa maîtresse.
N'oublions pas Isaak. Il a fait la grande guerre et a perdu l'usage des mains, de sorte qu'il ne peut plus jouer de piano. Voilà donc une avalanche de malheurs et de décès pour une œuvre qui marque davantage les goûts de R. Ikeda.
     
      

Ikeda et l'art lyrique

        
Tout dans Orpheus no mado signe l'œuvre de maturité. Le dessin est plus lyrique que dans Berusayu no bara. La maturité se marque également dans l’aspect des personnages principaux, d’aspect plus adulte alors même que l’essentiel se déroule dans un collège. Il pleut des roses sur la tête des femmes. Les messieurs font de grands gestes emphatiques. Ikeda use et abuse de plan en plongées et contre-plongées.
        

            
Plus lyrique que dans La Rose de Versailles, le dessin est aussi moins mignard (et donc plus éloigné de Tezuka et Takemiya). Les influences sont multiples. On relèvera en particulier pour les premières pages contant le mythe d’Orphée, celle d'Aubrey Beardsley, mais sans perversité.
          


Curieux malentendu. Les dessins au trait du valétudinaire victorien, inspirés eux-mêmes par les estampes japonaises, sont visiblement apparues aux yeux d'Ikeda comme ce qui se faisait de mieux dans le style occidental! La mise en page d’Orufeusu no mado est une merveille. Les cases s'empilent les unes sur les autres sans que l'ensemble soit jamais déséquilibré. Les noirs sont envahissants. Décors et costumes sont de la plus haute fantaisie mais une moustache gauloise, une liseuse tricotée au crochet, une capeline de zibeline suffisent à donner une ambiance furieusement belle.
A la lecture du seul premier tome, je n’ai pu pour ma part me départir de cette impression de classicisme dans la représentation de décors et de personnages inspirée par les films européens, tel que « Maurice » de James Ivory (postérieur au manga mais avec des thèmes similaires) ainsi qu’à « mort à Venise » de Visconti (film sorti en 1971, antérieur aux œuvres principales de Riyoko Ikeda, dont l’un des personnages principaux ressemble étonnamment à Julius).
     

      
        

L’impératrice Catherine (Jotei Ekaterina)

      
            
      
Toujours poussée par la grande mystique slave, Madame Ikeda se lance en 1982 dans un autre opéra, Jotei Ekaterina (L'impératrice Catherine). L'auteur du livret s'appelle Anri Torowaiya. Sous ce patronyme d'apparence nippone se cache... notre Henri Troyat national (ou international). Madame Ikeda a raffolé de sa Catherine la Grande (Flammarion, 1977), qui a fait un tabac au Japon.
Riyoko Ikeda suit pas à pas le destin de Sophie Annhalt-Zerbst, princesse d'un petit État prussien, qui, hâtivement rebaptisée Catherine, finira sur le trône de Russie.
Décors et personnages penchent de plus en plus, les personnages sont échevelés et le dessin, à force d'être minutieux, devient parfois "gratouillé". Comme dans Orufeusu no mado, il n'y a pas de temps mort. Tout est drame. Il faut dire aussi que Jotei Ekaterina est plus court qu’Orufeusu no mado, donc plus embrouillé. On ne peut se défendre de penser que l'auteur se pastiche un peu.
J’ai pour le moment assez peu d’éléments pour offrir une vision plus large de ce titre mais il place la dessinatrice devant une décision assez importante pour la suite de sa carrière de mangaka…
        
         

Eroïka (Eroïkou no Napoleon)

  
         
          

Un souffle du passé et un soupçon de rigueur historique

            
Nouvelle orientation en 1988 et retour à la claire source française. Riyoko Ikeda se lance dans l'épopée napoléonienne, avec Eroïka. (D’après le titre La symphonie héroïque que Beethoven voulait dédier à Napoléon.)
Ikeda est confrontée ici au problème de tous les artistes ayant achevé de belles choses: Comment continuer? Elle a le choix entre continuer à se parodier elle-même pour le restant de ses jours ou passer à autre chose. Victime de son propre succès, elle se trouve dans la même impasse que ses propres imitatrices. Comment renouveler le genre qu'elle a elle-même créé?
      
Ikeda ne peut dépasser le canevas de ses œuvres précédentes, qui est le romantisme. Il ne lui reste plus que l’autre pan de la narration a développer: Les faits historiques en eux-mêmes. Faire carrément une biographie romancée.
Le cadre historique dans Orpheus no mado et dans Jotei Ekaterina, avait fondamentalement la même utilité que dans Berusayu no bara: confronter les personnages dans leurs conflits sentimentaux à un drame ou une fatalité historique qui les dépassait et, par là même, les mettait en valeur.
Dans Berusayu no bara, l'orage n'éclatait vraiment qu'avec la Révolution française. Les personnages s'y perdaient et s'y retrouvaient. Dans Orpheus no mado, l'effet était accentué. L'Histoire (la grande) devenait un maelström qui jetait les personnages de droite et de gauche, avant de les broyer. Dans Jotei Ekaterina, les choses étaient encore plus embrouillées, si c'est possible. Mais dans les trois cas, les événements servaient de toile de fond.
Dans Eroïka, la grande histoire devient le propos principal. Cette orientation correspond au changement d'éditeur. La maison Chuôkoronsha International est spécialisée dans les mangas historiques, avec une visée didactique, façon "l'Histoire de l'Humanité en bande dessinée".
          
       

Le corse a le nez long et le vent dans les cheveux

     
Ce changement de stratégie signifie aussi que, pour la première fois, Ikeda nous raconte une histoire d'hommes.
Dans ce contexte, le choix de Bonaparte est logique. On retourne en France, qu'Ikeda commence à bien connaitre. Les guerres révolutionnaires contre sept coalisés, les conquêtes de l'Empire, nous mèneront aux quatre coins de l'Europe et en Orient, ce qui suffira à étancher la soif d'exotisme de la lectrice.
Napoléon se transforme facilement en héros romantique sous le pinceau d’Ikeda. Il suffit de lui faire un grand nez pointu (tous les occidentaux ont des longs nez) et l'air songeur (ça donne l’air plus intelligent). Et c’est réussi puisque ce Napoléon efflanqué aux yeux embués finit par ressembler effectivement à l'imagerie impériale, peinte par Louis David et toute la vague d’artistes néo-classiques.
       

             

On ne manquera pas de montrer Bonaparte jaloux de Talleyrand, faisant les yeux doux à Josephine tandis que le pauvre général ira soumettre les mamelouks dans les sables d'Égypte. Mais l'essentiel, ce seront les campagnes. On les fera toutes, bataille après bataille, à la suite des troupiers Bernard et Alain.
Certes, la matière ne manquera pas. Ikeda traite en longueur la série. Plus grand le succès, plus longue la série, et inversement, par un effet de synergie (chaque nouveau volume fait vendre tous les autres). On passera donc en revue les différents régimes, du Directoire au Consulat, en attendant l'Empire, et, tout au bout, les deux abdications.
Le dessin, dans Eroïka, devient nettement plus fade, moins précis et plus éloigné du shôjo manga. Il est moins joli que dans Versailles no bara et moins lyrique que dans Orpheus no mado et Jotei Ekaterina. La raison en est probablement un début de désintérêt et un renfort d’assistants pour aider Ikeda.
Reste un gros problème pour Ikeda, dessiner des soldats qui n’ont pas l’air de simples soldats de plomb. Dans Eroïka, les portraits en pied de grenadiers en uniforme qui ornent les têtes de chapitres, ressemblent à des jouets d'enfants. Les vues très martiales ne cadrent pas du tout avec le style de Riyoko Ikeda. La grande armée de Napoléon n’a l’air que d’une armée de mannequins endimanchés et ne reflète pas du tout les horreurs des campagnes napoléoniennes, longues et pénibles.
Les scènes de bataille sont lamentablement ratées. Le dessin essaye de se viriliser en changeant le rythme du cadrage et la construction narrative, qui devraient être totalement contraire aux lois du shôjo que Riyoko Ikeda elle-même a contribué à établir. La bataille des Pyramides ne peut évidemment pas être décomposée selon les lois du shôjo manga. On contemple des planches qui semblent inspirées par des dessinateurs européens comme Guido Crepax, quand il donne dans le genre historique. Partout flotte un remugle du Napoléon d'Abel Gance, quand on ne sombre pas dans la métonymie et la facilité, en remplaçant une scène de bataille par une roue de canon vue en amorce et beaucoup de fumée.
Paradoxalement, tout rappelle le style d'Ikeda. Le studio d’Ikeda est la cause de déformations systématiques comme les vues en plongée toutes inexactes du point de vue de la perspective.  Au total, on a la même impression de décalage qu'en contemplant des estampes japonaises du dix-neuvième siècle montrant des personnages ou des costumes européens. C’est faux et très conventionnel.
Eroïka est difficilement acceptable pour un français. L’image idéalisée et fantasmée de l’empereur est déjà ancrée dans notre inconscient collectif et même s’il en est pour continuer à le glorifier, on ne peut pas oublier à quel prix cet ambitieux personnage s’est hissé sur le trône et a bataillé sans se soucier des pertes humaines. La réinterprétation de l'artiste japonaise nous paraît forcément naïve. Le noir et blanc donne l’impression d’un épisode de Thierry la fronde ou d’un autre feuilleton des années 60, prenant place dans un pays vaguement familier qui s'appellerait la France.
Encore une série qui manque d’humour et se révèle assez pénible à lire de bout en bout. La chronologie historique est respectée pour ce que j’en sais, mais la vérité ou la réalité de l’époque échapperont toujours à un mangaka, qu’il s’agisse d’un auteur de shojo ou de shonen.
         
          

Très cher frère (Onnisama e)

      
        

Oniisama He... (série en trois tomes datant de 1974) raconte la vie d’une lycéenne nommée Nanako à travers les lettres qu’elle écrit à son correspondant, qu’elle considère comme un «frère» confident.
L’histoire débute par une rentrée des classes, celle de Nanako et de son amie d’enfance Tomoko, dans le prestigieux lycée pour filles Seiran. Nanako se retrouve dans une classe différente de Tomoko, et va rapidement faire la connaissance de Mariko, une des plus belles élèves de Seiran. Elles deviennent très vite amies, ce qui va provoquer une jalousie de Tomoko, qui ne cessera d’empirer à cause de l’extrême possessivité de Mariko.
Une grande place est donnée dans l’histoire à la  «Sorority», un cercle des filles les plus élégantes et cultivées. Toutes convoitent une place dans le « Sorority », sauf Kaoru Orihara, la capitaine du club de basket, qui n’y voit que source de disputes et de jalousies. Elle entretient une forte amitié avec Rei Asaka, surnommée « Saint-Juste », qui ne semble pas toujours très équilibrée mentalement. Nanako, qui y est admise à son grand étonnement, va devoir affronter jalousies et vengeances perverses, découvrant peu à peu l’ambiance malsaine du « Sorority », ainsi que les terribles secrets liant les différents protagonistes. Le mot sororité désigne une fraternité (ou fratrie) exclusivement féminine  mais on peut aussi y voir ici sa connotation affective, comme dans l’expression «âme sœur».
      

                                
La série animée tirée du manga, mise en scène par le célèbre duo Akio Sugino et Osamu Dezaki, bénéficie d’une réalisation superbe et dramatique à souhait, avec de nombreuses esquisses crayonnées donnant une atmosphère lugubre et unique. On y retrouve l’ambiance sombre des premières œuvres comme « Rémi, sans famille» ou la seconde partie de la série animée de «Lady oscar» mais également l’emphase de leurs films sur « black jack ». La France a découvert la version animée en 1993 lors de son passage sur TF1 dans le Club Dorothée. Abordant des thèmes tabous tels que l’homosexualité, l’inceste et le sadisme, la réaction ne se fit pas attendre longtemps et elle fut retirée de l’antenne au bout du septième épisode. L'intégrale est sortie en DVD chez Kaze en février 2004 pour le plus grand bonheur des fans. Enfin, le manga Très Cher Frère sera quant à lui retranscrit dans un épais one-shot regroupant les trois volumes originaux, édité par Asuka en septembre 2009.
                   
Animé visuellement de très bonne qualité, il attire surtout l’attention par la profondeur psychologique des personnages. Le lancement de la série fait penser à la littérature enfantine du début du 20ème siècle. L’animé y ajoute une dimension malsaine et continuellement paroxysmique.  Les principales héroïnes sont très tourmentées, et certaines comme Fukiko, Rei, et Mariko ont déjà commencé à sombrer dans la folie. Rei en est le meilleur exemple: plongée dans ces recueils de poèmes, elle est passionnée par la littérature romantique française et représente le personnage suicidaire de l’histoire. Droguée par les médicaments qu’elle consomme abusivement, elle fume et s’absente souvent de  l’école.
Fukiko sous son apparence angélique, est une furieuse hystérique, qui reporte ses frustrations et sa haine sur Rei, qu’elle torture tant mentalement que physiquement. Pour parvenir à ses fins elle n’hésite pas à employer des moyens sanglants comme dans le cinquième épisode où elle transperce la main de Rei ou bien lorsqu’elle se jette sur Nanako telle une furie, pour mordre son oreille.
Bref, c’est une histoire redoutable et très dérangeante par sa cruauté formelle bien loin des sempiternelles affaires de cœur estudiantines dont les animés shojo regorgent encore aujourd’hui.
                  





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Commentaires

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TEC

De TEC, le 23 Octobre 2008 à 18h01

Mes remarques ne constituaient en rien une attaque, juste un ras le bol de voir ressortir les mêmes idées reçues depuis 18 ans, époque où le manga de versailles no bara n'était même pas traduit en français et où le shojo était encore taxé de (japo)mièvrerie. Jacques Demy n'a après tout pas eu besoin d'accéder au texte du manga pour faire son film (mais là au moins, tout le monde est d'accord pour le qualifier de navet).

Mariko

De Mariko [55 Pts], le 16 Octobre 2008 à 20h29

ben je vois qu`au moins ya des braves gens qui s`emploie a faire connaitre ikeda!!!

Et puis j`ai vu que mon site tres cher frere etait ds les liens. Contente d`avoir pu aider!!

neun11septembre

De neun11septembre [311 Pts], le 16 Octobre 2008 à 16h49

il est vrai que je ne suis pas un specialiste du shojo, moi non plus, mais le seul chroniqueur qui était prêt à se plonger profondément dans l'oeuvre de Riyoko Ikeda. J'ai utilisé pour la rose de versailles les passages de mangazone que j'approuvais aprés ma relecture personnelle de la rose de versailles. Je me suis aussi appuyé sur d'autres sources qui sont citées à la fin de ce dossier.
Mon travail à essentiellement consisté à reparcourir d'autres sources du web ou de mes referenciels manga, relire le plus d'oeuvre d'Ikeda que possible (en utilisant le plus souvent des traductions non-officielles de la plupart de ses oeuvres, puisque je ne lis toujours pas le japonais couramment) et tenter d'en donner un aperçu assez dense et une opinion qui est uniquement la mienne. J'ai écris ce dossier sans la moindre contrainte éditoriale et en mon ame et conscience.
Je n'ai pas cherché à comparer la rose de versailles au reste de la litterature autrichienne du debut du 20ème siècle (et à fortiori a l'ouvrage sur marie antoinette que Zweig à écrit dans les années 30) pas plus qu'a du Henri Troyat (pourtant trés réputé au Japon) pour Catherine la grande.

Pour ce qui est de l'opinion émise sur la revolution, toile de fond ou pas c'est une opinion qui est aussi la mienne et vous êtes libre de venir en débattre sur le forum lui-même.

TEC

De TEC, le 15 Octobre 2008 à 14h36

Ce qui me gêne dans cet article, ce sont les passages directement piochés dans un numéro spécial shojo d'un Mangazone du début des années 90 (et repris ensuite dans de nombreuses sources ultérieures). Ce fanzine qui était le pendant d'animeland à ses débuts était consacré au manga. Or il n'était pas fan de shojo et son article sur Ikeda est bourré de clichés et de contre-vérités (Ex: Versailles no bara est un Dumas nippon, il n'y a aucune recherche psy des personnages etc.). Or depuis, on a fait du chemin et découvert qu'Ikeda s'était inspiré de Zweig (bien plus que de Dumas) bien connu pour la profondeur de ses analyses psy. Quant à l'histoire, elle est loin de n'être qu'une toile de fond...
Attention donc aux sources!

neun11septembre

De neun11septembre [311 Pts], le 08 Octobre 2008 à 15h15

de rien, le dossier n'est pas exhaustif mais j'ai essayé d'être aussi complet que les sources disponibles le permettait. ^^

Min

De Min [182 Pts], le 29 Septembre 2008 à 16h18

Bravo pour cet excellent dossier, très complet et qui fait vraiment le tour de tout ce qui touche cet auteur. J'ai appris plein de choses, merci ! ^^

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