Dossier manga - Levius
Lecteurs
20/20

Le monde visuel de Levius


Levius est une série ayant un fort parti-pris graphique, c'est d'ailleurs sur cela que s'est construite une bonne partie de la réputation de la série. Haruhisa Nakata offre un rendu qui ne plaira pas forcément à tout le monde au premier abord, mais qui pour le coup bénéficie réellement d'une forte identité graphique, et qui s'avère très vite saisissant dans l'univers steampunk rétro-futuriste de l'auteur. Voyons un peu certaines des spécificités visuelle de l'oeuvre.


Une oeuvre pensée pour le monde entier


L'une des ambitions déclarées de Nakata et de son responsable éditorial avec Levius est de concevoir une oeuvre pouvant dépasser très facilement les frontières du Japon et être accessible au plus grand nombre.

De ce fait, l'oeuvre affiche un format assez inhabituel pour un manga. Pas inédit, mais inhabituel. A savoir, le fait qu'elle a dès le départ été étudiée pour avoir un sens de lecture occidental (de gauche à droite). Ne vous offusquez donc pas de ce sens de lecture : c'est un choix délibéré de l'auteur et de son éditeur.

Au-delà de ce changement de sens, un autre choix plus intéressant a été fait : les bulles se lisent de façon linéaire, comprendre par là qu'elles s'étalent souvent à l'horizontale au lieu des traditionnelles bulles verticales (dues au fait que le Japonais se lit traditionnellement du haut vers le bas).


Gestion des cases


Conséquence directe de ce choix de bulles horizontales : une gestion des cases étonnamment renouvelée. Avec des bulles verticales dans un format lui-même vertical (plus en hauteur qu'en largeur), les mangas "classiques" peuvent parfois se conrfonter à des plus grosses limites dans la gestion des cases. Ici, avec des bulles horizontales dans un format verticale, Nakata se libère ainsi de certaines contraintes liées au format pur, et peut s'offrir beaucoup plus de possibilités dans la gestion de l'espace dans ces cases, mais aussi dans la gestion de ses cases sur une page.

Le mangaka ne s'en prive pas, et cela aboutit sur de nombreuses variations : il adore alterner cases tout en horizontalité, un peu plus verticales, ou simplement carré, tout comme il varie beaucoup dans la grandeur de ses cases. On peut ainsi avoir sur une même page des cases grandes et carrées puis plusieurs petites.

Généralement, les plus petites cases permettent à Nakata d'attirer notre attention sur un petit élément en particulier, d'offrir des transitions rapides, ou de présenter des petites choses se déroulant en parallèle de l'action principale : un oiseau qui vole, un chat qui passe, un cri dans la foule...

Concernant les plus grandes cases, elles sont un régal pour la mise en scène des combats, ou simplement pour permettre à l'auteur d'expérimenter nombre d'autres choses que nous allons voir ci-dessous.





Dynamisme, rage, violence


Du côté des scènes de boxe mécanique, Nakata délivre des scènes qui gagnent en lisibilité au fil des tomes, mais qui délivrent d'emblée un fort dynamisme. Ce dynamisme, on le retrouve constamment dans l'oeuvre à vrai dire, et pas uniquement pendant les scènes d'action : une simple course dans la rue parmi la foule peut devenir saisissante. Cela, on le doit à plusieurs choses : il y a évidemment des habituelles lignes de vitesse, mais le dessinateur les utilise avec une certaine parcimonie et ne se repose pas uniquement là dessus. Il faut souligner la réussite de la gestuelle de ses corps, ou aussi la sensation d'actions prises sur le vif qui sont souvent dues aux irrégularités de son travail premier au crayon.

Le dynamisme vient aussi d'angles de vue souvent audacieux et soulignant bien toute la rage des combattants. A titre personnel, certains angles m'ont rappelé le manga Ping Pong de Taiyô Matsumoto, et ce n'est sans doute pas anodin puisque Nakata a avoué être très amateur de cet artiste.

Levius dégage aussi une vraie fureur. Ses combats sont souvent enragés, parfois même un peu crades. Les plans larges stylisés succèdent aux vues rapprochées immersives, souvent agressives et parfois viscérales. Egalement, Nakata n'offre jamais d'inutiles entraînements si propres aux mangas de combat (de toute façon, vu que Levius est dès le départ l'un des meilleurs...). De même, il offre peu de commentaires sur les attaques, pour un tout se focalisant souvent sur l'action pure. Les onomatopées sont rares, et quand elles sont présentes elles sont intelligemment utilisées, car "isolées" dans des cases (une technique que certains autres mangakas, comme Atsushi Kaneko ou Masasumi Kakizaki, apprécient aussi) et servant dès lors le dessin comme un élément à part entière. En somme, avec tout ça, on ressent aisément le bruit et la fureur, les coups qui fusent et les os qui craquent.


Effets de flou


La caractéristique visuelle sautant le plus aux yeux quand on feuillette le premier tome de Levius, c'est sans doute le choix de Nakata de faire des effets de flou numérique, un peu comme on pourrait le faire avec un appareil photo ou dans un film.

En plus de permettre une mise en avant spécifique d'éléments importants en jouant sur la profondeur de champ, ce parti-pris accentue régulièrement une ambiance de perte de repères et, en quelque sorte, de déshumanisation de la terne cité. On ressent notamment très bien cela lors de certaines planches, de certaines cases, par exemple dans le volume 1 quand Levius court dans des rues et une foule troubles. Cette technique de flou peut également permettre au dessinateur d'isoler, de souligner un geste dans les combats.

Il peut être regretté une utilisation assez abondante de ce procédé dans le tome 1, montrant que Nakata se fait plaisir en expérimentant, mais en le faisant parfois un peu trop sans que ce soit utile. Mais très vite, l'artiste apprend à user de cette technique avec plus de parcimonie.





Encrage numérique


Une autre grosse particularité de style de Haruhisa Nakata : pas d'aplats ou d'encrage à proprement parler.

En réalité, l'artiste dessiner d'abord tout au crayon seul (il n'a aucun assistant), puis scanne ensuite ses crayonnés pour les retravailler numériquement. Pour cela, une technique originale : augmenter les contrastes là comme il le souhaite, afin d'accentuer le noir de ses lignes plus ou moins fortement. Le résultat dégage une atmosphère étonnante, souvent presque éthérée.


Manga anatomique


Ce n'est pas forcément quelque chose qui frappe d'emblée par rapport aux autres particularités visuelles plus originales de Levius, mais Haruhisa Nakata possède une certaine science de l'anatomie humaine, qui lui vaut de réaliser certaines prouesses lors des combats où, sans forcément enchaîner les traits, il parvient à faire ressortir des corps en action étonnamment réalistes. Cela s'observe surtout par une gestion des muscles minutieuse, ceux-ci étant souvent placés avec et dessinée précisément de façon à ce qu'on les ressente. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer le haut du corps robuste de Hugo dans la dernière partie du tome 1.

Nakata affiche également une certaine obsession pour les yeux, sur lesquels il se focalise souvent, quitte à parfois même les isoler. Il y dégage beaucoup de choses, des regards profonds où se reflète presque l'état du monde, des regards parfois insondables, ou même une certaine symbolique, comme il le fait avec les yeux d'A.J. témoignant de sa perte d'humanité de plus en plus prononcée pendant son combat.





Manga mécanique


Evidemment, l'ambiance steampunk recherchée par Nakata n'aurait pas été réussie sans une maîtrise  des véhicules d'époque (voiture, locomotive), des décors saisissants quand il le faut et mariant rétro et futur, et surtout de toute la mécanique des boxeurs. Mécanismes, tuyaux... Nakata trouve des designs assez riches et réussis, s'équilibrant bien avec le reste des silhouettes humaines tout en dégageant la puissance suffisante... On a une réelle impression de fusion entre homme et machine.
  
  
  


©2014 Haruhisa NAKATA/SHOGAKUKAN

Commentaires

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As

De As, le 10 Février 2017 à 11h52

20/20

Moi il me fait penser à un mix entre Lastman et Gunnm, j'adore... Ils ont bien continué l'histoire dans le nouveau Levius Est, que de bonnes choses en perspective...

Dharma

De Dharma [1879 Pts], le 05 Février 2017 à 05h32

C'était très intéressant... J'avais déjà vu passer plusieurs fois cette série sous mon nez mais elle ne m'attirait pas. A vrai dire je n'avais même pas bien compris de quoi il s'agissait.

En fait j'ai eu tord de ne pas m'y intéresser, apparemment !

Si l'occasion se présente, je les lirai.

 

Merci pour le dossier !

Karakuri

De Karakuri [3421 Pts], le 04 Février 2017 à 21h53

20/20

Passionnant !

J'ai tout lu mais j'ai pas eu l'impresison de me faire spoiler les grands événements de l'histoire donc ça va, merci d'avoir prévu au début quand même.

L'univers a l'air bien pensé et quand je feuilletais les tomes les dessins étranegs et originaux m'ont toujours attiré, encore plus après cette analyse (et les planches pour illustrer l'analyse des dessins sont magnifiques).

Levius est un manga qui m'attirait depuis longtemps mais que j'ai oublié en route, la piqure de rappel m'a totalement donné envie donc merci !

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