Dossier manga - Le tombeau des lucioles
Lecteurs
20/20

Rouge, couleur des larmes

     
Si les larmes des spectateurs sont essentiellement dues à notre impuissance, notre colère face au sacrifice de ces enfants, les larmes de Seita et Setsuko sont évidemment liées au contexte de guerre qui les entoure. Il faut dire qu’il ne faisait pas bon vivre au Japon, au début de l’année 1945. Cet été là, la guerre continue de ravager les pays asiatiques, où se déroulent la majorité des affrontements. Le Japon est au bord du gouffre, et de longs moments de désespoir sont prêts à s’abattre sur les habitants déjà ravagés. L’Amérique est en pleine reconquête, avançant petit à petit dans l’ensemble des îles asiatiques, malgré l’opposition rencontrée. Evidemment, les moments les plus sombres de l’histoire japonaise ne s’arrêtent pas à cet élan, mais fera entrer en jeu des bombardements meurtriers et destructeurs. Ceux-ci ont été favorisés par le comportement extrémiste des habitants de l’archipel qui, ne supportant pas la présence ennemie, n’hésitaient pas à mettre fin à leur jours plutôt que de se retrouver prisonniers. Les bombes se sont alors étendues sur le Japon, détruisant des vies directement ou non. Seita et Setsuko sont dans ce cas de figure : obligés de fuir leur maison si fragile, ils perdent leur foyer, la sécurité mais surtout leur mère, ce qui sera le début de la déchéance. Isao Takahata a donc, tout comme Miyazaki, un rapport particulier à la guerre. Il en montre les horreurs et les répercussions, les déchirements particuliers et les retentissements globaux sur toute une population. Seulement, cette mise en scène est plus violente, plus crue et moins masquée que celle de son collègue qui y ajoute toujours de l’imaginaire, voire de la magie. En ce sens, le Tombeau des lucioles se rapproche d’avantage d’un documentaire sur l’état de guerre au Japon. Mais heureusement pour nous, le film ne s’arrête pas là. Le contexte historique ne suffit pas à plaire aux spectateurs, et grâce à l’importance de ses héros, le réalisateur parvient à éclipser la guerre même et son côté réducteur pour en montrer les bassesses et les conséquences quotidiennes. Il faut voir ce film comme un périple contre la précarité, et s’imaginer que la situation de ces deux enfants n’a pas été un comportement isolé. En multipliant leur cas par un nombre toujours trop important, on pourra se faire une idée concrète de ce qu’apporte un temps que nous n’avons pas connu.

Quelque peu moralisateur dans son message de paix sous jacent, Takahata ne pousse cependant pas son film dans l’image réduite d’un pays attaquant et des victimes. L’Amérique est d’avantage vue comme une entité impersonnelle, mais elle n’est jamais mise en tord ou accusée. Le pays offensif pourrait tout aussi bien représenter le Mal que cela aurait les mêmes répercussions. De plus, le patriotisme et le comportement japonais ne sont en aucun cas glorifiés, et c’est seulement les conséquences directes des affrontements qui sont mises en valeur. Là, il rejoint son ami pour exposer aux yeux de tous la stupidité humaine, par un réalisme sans faille, qui permet d’aller plus droit au but que Miyazaki. Cette réalité exposée sans tabou ni censure permet alors de voir d’un autre œil la guerre pourtant tant de fois mise en scène. Avec son film animé et son ton oscillant entre deux registres, Takahata nous fait redécouvrir cette seconde guerre mondiale tant et tant connue. Pas vraiment dans l’action guerrière, mais surtout par les dégâts sociaux titanesques qu’elle laisse derrière elle, dommages collatéraux désastreux et trop souvent minimisés. La réalisation du long métrage est d’autant plus poignante que l’on sait qu’Isao s’est inspiré d’une histoire vraie, confiée dans un roman par un auteur encore bouleversé de la violence es évènements. On a précédemment évoqué le caractère sous jacent du conflit : celui-ci est alors présent à chaque instant du film, dans la mort de la mère, le bombardement de Kobe mais aussi dans le vol de nourriture, la famine, la solidarité qui disparait au profit de l’individualisation d’une population, … Tout laisse filtrer une violence, une méfiance constante, un combat de chacun pour soi, en dehors même des champs de bataille. La guerre amène l’opposition, et les conflits internes au sein de chaque village voire famille se développent, grandissant insidieusement et faisant encore plus de mal que quelques bombes. Takahata nous montre les répercussions sociales prenant une ampleur démesurée, sans s’attarder sur les offensives aériennes ou autres. Ce sont les relations humaines qui sont ici mises en avant, de celles qui naissent dans l’opulence et se désagrègent une fois le bonheur passé.
  
Pour mystifier tout cela, Takahata instaure une nouveauté par rapport au roman. Dans certains passages, il personnifie la couleur rouge afin de lui faire dire tant de choses … Et malgré qu’elle soit relativement peu présente (on la trouve essentiellement au début), celle-ci est perpétuellement dans les esprits et elle se trouve sous entendue dans de nombreuses situations, induisant la souffrance. Cependant, les premières minutes du film sont sublimées par cet effet de style qui permet de symboliser toute cette scène qui nous annonce la couleur et nous raconte d’ores et déjà la fin de l’histoire. En effet, la silhouette rougeoyante du fantôme de Seita nous raconte l’histoire et c’est cette image de jeune homme auréolé de rouge qui nous suivra tout le long du film comme fidèle narrateur. Le contraste entre la nuit noire et le rouge des souvenirs, des fantômes, de la mort et de l’enfance permet de faire ressortir de manière particulièrement importante ce début de visionnage : un changement, une originalité qui attire l’attention et la concentration du spectateur sur les images introduisant l’histoire. Ainsi, la couleur du sang, de la violence et du drame met en scène un cimetière pour enfants, beaucoup de nostalgie et nous plonge dans une ambiance bien plus sinistre que la suite. Pourtant, tout n’est pas que malheur dans ce prélude à l’histoire, puisque c’est là que l’on fait connaissance avec une certaine boite à bonbons et avec les lucioles qui illuminent à leur tour la nuit trop sombre. Ces deux éléments sont les deux images les plus importantes et les plus marquantes du récit, puisque les bonbons accompagneront Setsuko tout le long de sa vie, et que les lucioles viennent mourir là où les deux enfants font leur vie. Les bonbons et les lucioles échappent à la mort, tout comme les fantômes des deux petits êtres qui semblent plein de vie. Et alors, le rouge qu’on pensait menaçant vient nous colorer ce tableau de vie, de mouvement et de joie éphémère. C’est sans doute cette insouciance qui nous marque le plus … Ce rouge, si contradictoire par la joie et la menace qu’il amène, se fond dans un titre qui exprime à la fois la vie et le trépas. Sur ces quelques minutes, l’enjeu du film se met en place et il faudra s’en imprégner pour la suite du récit.
   
  
              
                             

©1988 Akiyuki Nosaka / Shinchosha Company

Commentaires

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snoupiD

De snoupiD, le 10 Mars 2012 à 17h25

20/20

normalement j'aime pas les film d'animation japonais mais celuis là c'est un chef d'oeuvre

Tianjun

De Tianjun [5081 Pts], le 12 Janvier 2010 à 12h20

20/20

Un film magistral, je n'ai jamais autant pleuré devant un film, qui n'use pourtant pas d'artifice pour provoquer cette émotion grandissante. Et merci pour ce dossier, sublime, qui va au delà de l'émotion suscitée par le film pour l'explorer dans toute sa profondeur. Tout y est, et même plus encore. Peut-être ton meilleur dossier jusque là NiD =)

ZoroKurosaki

De ZoroKurosaki [557 Pts], le 08 Janvier 2010 à 20h37

Bravo pour ce dossier, j'espère qu'il va inciter beaucoup de gens à foncer acheter l'une des oeuvres les plus marquantes de ces dernières années ! ! !

kimhy

De kimhy [574 Pts], le 08 Janvier 2010 à 20h34

20/20

Magnifique film, réaliste mais sublime. Emouvant, qui donne au moins les larmes aux yeux. Du grand art ...

NiDNiM

De NiDNiM [912 Pts], le 08 Janvier 2010 à 20h14

Merci :D Et pour ceux qui passeraient par là et qui n'auraient pas vu le film, un seul ordre : REGARDEZ LE !

Le dossier n'est pas assez subjectif pour dire à quel point j'ai adoré ce film ...

MaTriX91

De MaTriX91 [407 Pts], le 08 Janvier 2010 à 19h58

20/20

Concernant le dossier : c'est un très beau travail. C'est ce qui fait que j'aime ce site (ainsi que les interviews et les critiques).

Concernant le film : c'est en effet une oeuvre majeure de l'animation. Elle happe le spectateur car elle narre une histoire des plus poignante qui ne tombe jamais dans le pathos. De plus, le tout est magnifiquement mis en valeur par une narration irréprochable qui capte et captive du début à la fin.

choopers

De choopers [242 Pts], le 08 Janvier 2010 à 19h31

20/20

un film très beau et triste, on verses au moins une larme. magnifique 

Yuukii-Chaan

De Yuukii-Chaan, le 08 Janvier 2010 à 18h18

20/20

Un film unique j'ai adorer (a en pleurer) c'est trop triste sachan que c'est vraimen arriveer 2o

Koiwai

De Koiwai [13035 Pts], le 08 Janvier 2010 à 16h12

20/20

Superbe dossier, qui analyse en profondeur un film qui le vaut bien ! Une fois de plus, chapeau Nid ^^

ZoroKurosaki

De ZoroKurosaki [557 Pts], le 08 Janvier 2010 à 14h47

20/20

Le film le plus bouleversant que j'ai vu, un chef d'oeuvre à voir au moins une fois dans sa vie...

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