Sayuri - Actualité manga
Dossier manga - Sayuri

Un récit aux deux ambiances


Évoquer l'horreur dans la fiction japonaise renvoie à une ambiance qui se dégage régulièrement dans les œuvres du pays, entre le mystique et l'épouvante, cristallisée de diverses manières selon le médium. Du côté du cinéma, les sagas Ring et Ju-On (ou The Grudge, nom donné aux versions occidentales) sont des titres qui viennent le plus rapidement en tête. Concernant le manga, on se rappelle sans mal les histoires de Junji Itô, toujours variées en terme d'idées et d'ambiances, et dans d'autres optiques Kazuo Umezu et Suehiro Maruo, grande figure de l'ero-guro. On notera que le jeu-vidéo a développé une image un peu à part avec des licences comme Silent Hill et surtout Resident Evil / Biohazard, abordant davantage l'horreur sous l'angle de la survie, moyen efficace d'inclure directement le joueur dans des climats terrifiants.

Ce très rapide topo a pour but de montrer, en partie, ce dans quoi Rensuke Oshikiri a puisé pour écrire et dessiner Saiyuri, un récit horrifique prenant l'idée de la maison hantée, pour en faire une œuvre qui lui est propre (et l'une de ses préférées parmi celles de sa carrière). A noter au passage que le mangaka a toujours été friand du genre horrifique pour nourrir ses œuvres. On lui connait certes ce talent pour pour les comédies, notamment avec Hi Score Girl et Bip-Bip Boy, mais ce n'est pas la direction favorite du maître pour ses œuvres, preuve en est un certain Le Perce Neige.

Sayuri est clairement composée de deux parties distinctes, quand bien même l'auteur aime considérer sa série comme un tout (nous y reviendrons). Les 7 premiers chapitres installent l'intrigue et l'ambiance, nous plonges aux côtés de la famille du jeune Norio tout en dépeignant peu à peu le cauchemar qui va les frapper. Les chapitres 8 à 15, eux, développent la partie finale de l’œuvre en narrant une véritable lutte contre la menace qui hante les lieux, avec des zestes d'action et les révélations qui mèneront l'histoire à son dénouement. Ce sont deux parties qui décortiquent très clairement des ambiances différentes, chose dont l'auteur a conscience comme l'atteste la postface présente en fin d'ouvrage. Il est donc intéressant de mettre ces deux climats en perspective et les comparer à ce qui se fait dans l'horreur du côté du Japon, puisque chacune d'elle renvoie à une optique différente du genre.


Le début de la série est considérée comme une "introduction de l'histoire qui fait grimper l'horreur" par le mangaka. A très juste titre puisque l'idée est d'introduire les personnages et de leur imposer le cauchemar de Sayuri. Dans cette phase, nous sommes très clairement dans un registre de maison hantée, très cinématographique dans certaines idées et dans la mise en scène, moment où la menace s’abat sur les personnages, un à un. Le lecteur est un prisonnier condamné à être témoin du funeste sort de certains membres de la famille, ce dans une atmosphère étrange et inquiétante. L'artiste ne donne pas toujours de sens particulier à certains trépas, par exemple lorsque certains protagonistes disparaissent purement. Mais c'est aussi ce rend qui le tout particulièrement effrayant : Les actions de Sayuri sont inexplicables, quand bien même de menus indices serait distillés ci et là. Et en parlant de ces pistes, difficile de ne pas y voir des clins d’œil au cinéma. Nous n'évoquions pas Ring par hasard puisque la présence d'un téléviseur (que certain jugeront finalement obsolète) associée à l'apparence terrifiante mais marquée de l'antagoniste spectrale sont tant de références visuelles à des œuvres bien connues. Il y a donc le récit terrifiant d'une part, mais aussi peut-être l'hommage au cinéma nippon de l'autre, ce qui donne un certain cachet au titre.

La seconde partie de l’œuvre, elle, change nettement de cap. Norio est au bord de la rupture mentale à cause du cauchemar éveillé qu'il vit, quand un certain personnage le sort de sa torpeur pour l'inciter à combattre la menace qui le guette. Outre les interprétations que l'on pourra faire de ce message, ceci donne une autre optique à la série de Rensuke Oshikiri. Sur les débuts, la menace paraissait abstraite et saisissait les membres de la petite famille sans qu'on la voit venir. Ici, elle est évidente et nos quelques personnages encore en vie doivent y faire face, et la combattre. Pour pousser l'interprétation plus loin, il faut rappeler que l'auteur est un grand amateur de jeux-vidéo. Aussi, il n'est pas étonnant de voir un rapport se nouer entre cette deuxième partie et le genre du survival horror dans l'art vidéoludique. Si on s'appuie sur une licence telle que Resident Evil, cette deuxième moitié de Sayuri en respecte totalement les codes et le cheminement. Un peu comme le joueur, Norio comprend le danger qu'il a face à lui et doit lui faire face, malgré la terreur que cela lui procure. Quitte à aller un peu loin dans la seconde lecture, pourquoi ne pas y voir l'avatar du joueur qui, comme le héros, doit parfois prendre son courage en main pour affronter des hordes de zombies ou autres entités infectées, des adversaires terrifiants et clairement établis qui ne peuvent être vaincus qu'avec une arme : Du courage (et un bel arsenal explosif, certes). La finalité du récit va dans le sens de ce rapport : Le moment des révélations coïncide souvent avec le climax, aussi voir les révélations résoudre le problème central est tout à fait logique. Concernant ce cheminement, c'est peut-être plus le cinéma qui nous vient en tête, puisque comprendre l'entité ennemie est souvent salvateur pour déjouer la menace. Alors, de bout en bout, c'est l'amour de l'auteur pour l'horreur qui aura marqué son récit. Et si Sayuri peut donner des impressions de déjà vu dans certains de ses éléments, ce cri d'amour au genre, associée à la démarque digne d'Oshikiri, en fait une œuvre personnelle.

Car si nous avons insisté sur les rapports entre le présent manga et ce qui se fait globalement dans le genre, il convient d'évoquer une autre volonté de l'artiste : Déjouer certains codes. Frustré de voir, dans le cinéma notamment, des menaces abstraites et une entité malveillante toujours dominante, Rensuke Oshikiri fait l'inverse sur la toute fin. C'est aussi ce qui donnera à titre une aura assez particulière puisque, loin de développer une fin où l'ennemi est plus monstrueux que jamais, il en est l'exact contraire : Frêle et fragile, afin de monter des héros qui parviennent tout de même à dominer la menace, ce qui permet à Sayuri de s'éloigner de quelques clichés.

SAYURI KANZERBAN @ 2015 OSHIKIRI RENSUKE / GENTOSHA COMICS INC.

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