Sayuri - Actualité manga
Dossier manga - Sayuri

Manga d'épouvante... et fable sociale ?


Quelque chose n'a peut-être pas échappé aux lecteurs de Rensuke Oshikiri, avec plusieurs de ses titres parus dans nos contrées. Quand bien même l'auteur a une histoire à raconter, dans une ambiance toujours bien fixée, il développe des thèmes sous-jacents, en rapport direct avec son récit. Ainsi, Le Perce Neige narrait une histoire sanglante et soumettant le lecteur à des sensations fortes, tout en parlant de manière tragique du rapport entre les générations, et l'incompréhension qui peut exister entre eux. De manière très différente, Hi Score Girl finissait par parler de jeu-vidéo et de joueurs, mal vus par la société, mais qui ne sont pas voués à être les marginaux que le monde tend à pointer du doigt. Au contraire, Haruo finira par prendre son destin en main, au nom de ses responsabilités mais aussi au nom de l'amour. Sayuri n'est pas exempt de cette écriture, au contraire puisque certaines de ses idées rappellent celles de Le Perce Neige, mais nous y reviendrons.

Lors d'une première lecture, difficile d'ignorer le fait que le mangaka a sans doute des choses à dire, en dehors d'une volonté de faire frissonner le lecteur avec cette histoire d'horreur. Certaines idées se dégagent donc du titre, comme la nécessité de se confronter à ce qui nous menace. Une question vient alors en tête : Que peut symboliser cette menace présente dans l’œuvre, en guise de second degré de lecture ?


Et de réponse claire, il ne peut y en avoir. D'abord parce qu'une interprétation est toujours subjective, mais aussi parce que l'auteur rend l'ennemi si imperceptible qu'on ne peut tirer une incarnation claire représentée. Ce qui est une force, puisque chacun verra dans le fantôme qu'est Sayuri une représentation de ses propres démons. Pour Norio, Sayuri est cette entité qui lui a tout pris et contre laquelle il doit lutter pour ne pas perdre ceux qui lui restent. On pourrait alors imaginer que le spectre représente la société, ou le monde. Celui-ci est injuste, calculateur, nous arrache de force celles et ceux auxquels on s'attache, y compris notre famille. L'idée de la deuxième partie de tome est alors forte puisque face à un mal qui nous mènerait au fond du trou, l'auteur parle d'un combat qu'on doit mener, quand bien même il mettrait nos nerfs à la plus rude des épreuves.

Et de manière plus rationnelle, Rensuke Oshikiri profite de son histoire pour parler de la famille, d'un point de vue assez tragique pour le récit nous montre le déclin d'un foyer, meurtri par les drames qu'engendrera l'entité ennemie. Et c'est en ce point que le discours du récit rejoint, en partie, celui du Perce Neige. Car du côté de la famille Kamiki comme celle d'une autre famille (nous n'en dirons pas plus), la problématique du conflit générationnel subsiste. Et tout comme dans Le Perce Neige, le message est le même dans son aboutissement : Cette opposition est l'un des plus grands maux de notre société tant il peut détruire une humanité, et avoir un réel effet de ricochet en affectant nos semblables. C'est pourquoi la conclusion de Sayuri, paradoxalement en plus d'être jouissive puisqu'on y voit les protagonistes prendre le dessus sur leur adversaire, a aussi quelque chose de profondément mélancolique. L'histoire n'est plus celle d'un simple esprit frappeur, mais celle d'une enfant délaissée, partagée entre amour de sa famille et haine du reste du monde.

Avec cette écriture, l'auteur confirme que les sentiments sont une chose importante pour lui, et la famille aussi. Ce sont des idées déjà brassées dans ses autres œuvres, Hi Score Girl notamment. Et tout comme Le Perce Neige qui se dotait d'une conclusion vraiment triste, la fin de Sayuri conserve une certaine mélancolie, mais propose aussi un espoir. Alors, face aux maux que le destin nous impose, l'amour et la famille nous permettent de sortir grandis de ces épreuves. Avec du recul, cette jolie fin conne encore plus de force à l'ensemble du récit, celui d'un adolescent qui s'est vu privé de sa famille, dans des circonstances tragiques et terrifiantes.


La construction scénaristique de Sayuri

Plus tôt dans ce dossier, nous avons évoqué la construction narrative de Sayuri, et le fait que la série s'articule autour de deux grands axes. Mais ceci n'étant pas le sujet propre de notre première partie, voilà l'occasion de revenir dessus.

Sayuri se construit donc sur deux parties : La première est couverte par les chapitres 1 à 7 et installe le scénario tout en faisant monter l'horreur, tandis que la seconde est développée par les chapitres 8 à 15 (incluant le chapitre 12,5, inédit à la version intégrale du récit) et oppose purement notre héros à la menace, façon survival horror. Ce découpage amenant deux ambiances différentes, il sera sans doute fréquent de voir un lectorat s'opposer dans ses préférences. Il faut dire que la première moitié narre une horreur plus classique et mystique, jouant sur une atmosphère pesante, tandis que la seconde joue énormément sur une Sayuri montrée visuellement terrifiante. De l'aveu même de l'auteur, cette différence a créé une scission chez le lectorat japonais qui a préféré la seconde moitié pour ses séquences choquantes.


Une frustration pour Rensuke Oshikiri qui, en tant qu'auteur, considère forcément son œuvre comme un tout. Et on peut comprendre cela tant Sayuri, dans son ensemble, réunit tous les éléments que l'artiste semble choyer dans le genre, et délaisser une partie au détriment de l'autre n'a finalement pas grand sens sur les plans narratifs et artistiques. Chaque moitié complète l'autre, ce qui se ressent dans une lecture marathon de l'ensemble de l'opus, ce que ne permettait peut-être pas de voir le découpage classique, en deux tomes, la parution des opus ayant été séparée de 8 mois. La forme d'une intégrale semble donc légitime pour Sayuri, en plus de respecter la volonté de l'auteur. En ce sens, on salue le choix d'Omaké d'avoir sélectionné cette édition, un moyen de respecter le mangaka tout en honorant le lectorat puisque seule cette mouture incluse le chapitre 12,5, particulièrement intense puisqu'il narre un élément plus orienté action (et assez étonnant si on met en rapport l’œuvre et sa vraisemblance).

SAYURI KANZERBAN @ 2015 OSHIKIRI RENSUKE / GENTOSHA COMICS INC.

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