Une aventure ninja et humaine
Nabari est un récit de ninja, il suffit de lire le premier chapitre pour constater le thème abordé. Pourtant, le parti pris est très différent de ce que nous pouvons trouver par exemple dans Naruto. Le terme ninja renvoie à un Japon ancien, plus précisément jusqu'à l'ère Edo qui se conclut à l'aube du XXème siècle. Ici, nous sommes au début des années 2000, dans un Japon civilisé où les ninjas comme les samouraïs n'ont plus leur place. Pourtant, ces shinobi continuent d'exister. Plus précisément, ils entretiennent une double vie : celle dans le monde « normal » qui implique leur emploi, et leur nature de ninja du monde de Nabari où ils œuvrent pour leurs villages respectifs. Vrai monde et Nabari sont liés intimement, et rares sont ceux qui ont conscience de l'existence des shinobi. Cet aspect conditionne le cadre de Nabari, il n'est donc pas rare de voir un ninja se battre à l'aide d'arme à feu, ou vêtu d'un costard. Cette dimension de l'univers implique que la politique relie les deux mondes, bien que ce soit soit finalement peu exploité et ce surtout par le personnage d'Hattori, l'un des rares personnages à avoir une influence sur les deux univers. Ce cadre permet avant tout au manga de se démarquer et d'obtenir une histoire ninja sortant de l'ordinaire, ni plus ni moins. Tout se passe dans un Japon civilisé, et les shinobi luttent à coups d'armes à feu comme de shuriken ou de techniques ninjutsu.
Mais ce qui nous intéresse ici n'est pas tant le cadre historico-culturel mais la dimension humaine de l'œuvre, basée sur de nombreuses relations et interactions entre personnages. Les quatorze tomes qui composent la série construisent une histoire riche et complète, mais celle-ci est complémentaire avec la galerie de personnages conséquente. Dans Nabari, nous suivons deux clans ninjas qui se livrent bataille pour le Shinrabanshô et au départ, il est vrai qu'il est difficile de ne pas voir les Kairôshû comme des ordures pures et simples. Pourtant, s'il y a bien un mot qui est tabou dans Nabari, c'est le manichéisme. Chaque groupe et chaque personnage dévoileront leurs véritables facettes et les agissements de chacun seront expliqués et justifiés. Cela rappelle des récits comme dans Gundam où rares sont les pourris qui n'agissent que par méchanceté, chacun se révèle particulièrement humain dans ses choix et ses ambitions. Comprendre ceci permet de mieux appréhender la dimension humaine du récit, et le fait que chaque personnage peut se révéler particulièrement attachant. Rares sont ceux qui ne bénéficieront d'aucune évolution le long de l'intrigue, ils se comptent même sur les doigts d'une main et ne concernent que les membres du KASA que nous ne présenterons pas afin de ne pas révéler l'intrigue. Tout au long des quatorze tomes, nous observerons des personnages qui changent, dont le point de vue évolue. Certains alliés deviendront ennemis tandis que des adversaires deviendront alliés. Mais dans tous les cas, les agissements ne seront jamais anodins, et tout retournement de veste ne tombe pas dans la gratuité. Donner des noms et citer des exemples précis serait difficile, une fois encore pour ne pas spoiler. Certaines évolutions sont imprévisibles et souvent contraintes par l'histoire et les révélations qui justifient la psychologie de certains personnages.
Toutefois, nous ne pouvons pas ne pas évoquer certains binômes qui représentent très bien les qualités humaines de la série. Le duo phare de Nabari, c'est bien Miharu et Yoite, une association imprévisible de prime abord mais qui saura se montrer surprenante. Ce binôme, ambigu il en convient, fait la force du premier grand cycle du récit et est celui qui évolue le mieux. Dans ces deux adolescents, nous trouvons deux personnalités différentes mais qui se rejoignent sur leur volonté de ne pas agir avec leurs semblables. Pourtant, chacun trouvera en l'autre un réconfort et petit à petit, leurs comportements changeront. Et pour un Yoite qui souhaite plus que tout disparaître du monde, quel destin plus cruel que rencontrer une personne à laquelle on s'attache et qui nous pousse à aller de l'avant, voir à survivre ? C'est sur ce questionnement que se base tout le dixième volume qui frôle la perfection. Mais Yoite et Miharu ne sont pas les deux seuls personnages marquants du récit. Nous retenons aussi Raimei et Raikô, frère et sœur samouraï dont l'histoire fait écho à la lignée Uchiwa dans Naruto. Mais ici, tout le traitement est différent, de même que le rôle de Raikô qui n'est en rien semblable à celui d'Itachi. Yuki Kamatani opte ici pour un développement optimiste et une volonté de rapprocher ces deux membres d'une même famille frappée par le destin. Là aussi, le développement est à prendre sur l'entièreté de l'œuvre pour apprécier correctement sa beauté et être ému.
Nous n'allons pas faire du cas par cas pour chaque personnage, mais il convient tout de même de citer Yukimi, acolyte de Yoite, qui ne manquera pas de panache passés les débuts de la série. La recette du bourrin ému par son camarade fait mouche et donne lieu à l'un des personnages les plus attachants du récit. Mais après tout, difficile de décider de la figure la plus marquante tant chacun se montre particulier à sa manière. Trop en dire reviendrait à révéler l'intrigue, le mieux est encore de déguster un à un les quatorze tomes du manga.

Graphismes et adaptation
Nabari est un shônen sur l'univers ninja atypique ? Le style graphique l'est tout autant pour une œuvre de ce type. La patte graphique de Yuki Kamatani flirte entre le style shônen et le style shôjo, nous trouvons de nombreux indicateurs pour chacun des genres. D'abord, les visages arrondis et les grands yeux dessinés sur de nombreux personnages rappellent bien sûr le shônen, tandis que les silhouettes longilignes et la galerie de personnages androgynes viennent confirmer des influences shôjo.
C'est chose commune dans un manga, le style graphique d'un auteur évolue, et Yuki Kamatani ne déroge pas à la règle. Nous constatons au fur et à mesure une nette amélioration dans la maitrise des silhouettes mais aussi dans la précision des détails graphiques sur les personnages. Sur les derniers volumes, le style fait bien plus shônen, tant le trait se fait moins fin que sur les débuts. Ouvrez le premier et dernier volume, la différence est flagrante. On notera aussi les nombreuses tentatives de styles de dessin différents sur certaines illustrations. Quelques-unes d'entre-elles sont semblables à des effets d'aquarelles tandis que d'autres insistent sur les effets de noir, comme si le temps se figeait. Ceux qui ont lu le manga se souviennent de cette séquence mentalement violente du dixième volume dans lequel quelques pages de ce style frappent le lecteur suite à une scène poignante dont la mise en page ne laisse pas indifférent.
Du côté de l'adaptation d'Asuka, puis Kazé, peu de reproches sont à faire. Les volumes ne souffrent pas de traduction bancale, de même que la qualité du papier utilisé pour les pages et les couvertures donnent lieu à de très beaux ouvrages. Seulement, les puristes pourraient reprocher à Asuka certains partis pris pour la série. D'abord, « Nabari no Ô » devient simplement Nabari, pour des raisons obscures. Aussi, les tranches à l'allure traditionnelle japonaise aux coloris unis et bénéficiant de dorure laissent place à à des tranches aux coloris différents à chaque opus. Non pas que le résultat soit déplaisant, le contraste entre la version d'origine et la nôtre est cependant curieuse.
Comme dit au début de ce dossier, Nabari a bénéficié d'une adaptation animée en 26 épisodes par le studio J. C. Staff. Cet anime est mis à notre disposition grâce à l'éditeur Kazé depuis 2009. Comme la plupart du temps pour ce genre de série qui adapte un manga alors que la parution de celui-ci n’est pas achevée, le récit finit par différer de celui du support d'origine. L'anime Nabari fait ainsi partie de ces œuvres suivant leur propre chemin, ce qui ne sera pas du goût de tous, d'autant plus que la fameuse scène bouleversante du tome 10 se trouve simplement supprimée. Comme pour le manga, l'anime prit le nom de Nabari. L'intégrale est disponible en VF et VOSTFR via des coffrets deux DVD ou par le biais d'une intégrale. On remarquera un doublage pas toujours satisfaisant, notamment en ce qui concerne les voix sélectionnées pour les personnages, ainsi qu'une adaptation parfois bancale. Par exemple, les Kairôshô deviennent la « meute des loups cendrés », une traduction littérale dont on se serait bien passé, surtout qu'il s'agit d'un nom propre.
NABARI NO OU © by Yuhki Kamatani / SQUARE ENIX CO.,LTD. All rights reserved.
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