Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 03 Décembre 2025
Au mois de septembre dernier, la collection Moonlight des éditions Delcourt/Tonkam a accueilli le premier volume d'Au bout du chemin, une oeuvre achevée en trois tomes et qui fut la première série de la carrière de Hato Momoyama, mangaka ayant d'abord fait ses premières armes dans quelques histoires courtes pour adultes. De son nom original "Saihate ni Madô", cette série a été prépubliée au Japon sur le site Comiplex de l'éditeur HERO's en 2023-2024.
Tout commence ici par une sortie de prison: celle de Kazuma Waku, qui vient de passer sept années derrière les barreaux pour avoir tué un homme. L'acte meurtrier de Kazuma n'était pas gratuit, bien sûr: Matsumoto, l'homme qu'il a tué dans un accès de rage, sous les yeux de sa toute jeune fille Shîka, a commis la pire chose possible sur sa précieuse petite soeur Yuri, en poussant dès lors cette enfant au suicide. La famille Waku en a été instantanément brisée, Kazuma a lui-même alors brisé la famille Matsumoto... et en retrouvant sa liberté, il n'aspire plus qu'à une chose: mourir. Disparaître, à la fois pour expier son crime et pour préserver sa mère qui, pendant toute ces années, a souffert du regard de la société en tant que "mère de meurtrier". Ce qu'il n'avait pas prévu, au-delà du potentiel chagrin que cela pourrait causer à sa mère qui est si heureuse de le retrouver, c'est que celle-ci, travaillant désormais dans un orphelinat, a sympathisé avec une adolescente orpheline et solitaire qu'elle invite même régulièrement à la maison depuis quelques années, et qu'elle rêve à présent d'adopter pour tâche de reformer une famille heureuse sans pour autant oublier Yuri. Mais face à cette situation étrange, Kazuma est avant tout interpellé par la jeune orpheline en question, qu'il a le sentiment d'avoir déjà vu: prénommée Shîka, tout porte à croire qu'il s'agit de la fille de l'homme qu'il a tué...
Alors, qui est réellement la jeune Shîka ? Est-elle vraiment la fille de Matsumoto, alors même qu'elle dit ne rien savoir de tout ça quand Kazuma lui en parle ? Ment-elle ? Et si c'est le cas, quel est son but ? Se venger à son tour, ou trouver réellement une famille aimante ? Forcément, ces interrogations se font assez présentes au fil de la lecture, en se consolidant petit à petit, jusqu'à prendre une ampleur supplémentaire dans la toute dernière partie du tome. Cette teinte proche du thriller est plutôt bien dosée par l'auteur, qui s'applique à l'immiscer par petites touches jusqu'à lui donner plus de consistance... et, surtout, en entretenant constamment une part de doute liée à l'ambiguïté de cette jeune fille. D'un côté, Shîka se rend elle-même sur la tombe de Yuri pour honorer sa mémoire, empêche ardemment Kazuma d'accomplir son suicide, semble si sincère dans tout ce qu'elle dit et montre que le jeune homme n'a pas envie de douter d'elle. Mais de l'autre côté, certains indices laissent bel et bien penser qu'elle en sait plus qu'elle ne le dit, qu'elle a peut-être même une part sombre au vu de la façon dont certaines de ses camarades d'orphelinat et de classe la traitent, et qu'elle a peut-être une idée en tête.
Si cet aspect-là du récit donne facilement envie d'en savoir plus, il faut néanmoins se dire qu'il ne s'agit pas forcément du principal leitmotiv de ce premier volume, au fil duquel le mangaka a avant tout à coeur de décortiquer tout un drame humain qui, finalement, découle avant tout de l'acte ignoble que le défunt Matsumoto a pu commettre sur sa victime Yuri, enclenchant dès lors un engrenage dont aucun membre de l'entourage de ces deux-là n'est sorti indemne. Entre les sujets éprouvants tels que le viol et le suicide, les violentes émotions qui en ont résulté avec le désir de vengeance intuitif de Kazuma, le très difficile deuil de la petite Yuri dont Kazuma et sa mère honorent toujours la mémoire et qu'ils ne peuvent évidemment pas oublier (chose que l'auteur représente assez bien dans ses planches, le souvenir de Yuri étant régulièrement présent de façon assez concrète auprès de son grand frère), ou encore le regard sévère que la société peut porter sur les familles de criminels, on a un récit déprimant à souhait (au point de frôler parfois le pathos dans les pensées souvent dépressives de Kazuma, mais heureusement l'auteur évite de justesse de tomber dedans), mais au bout duquel la lumière réapparaîtra peut-être, car si les personnages sont à la recherche de rédemption et de reconstruction, il leur reste désormais à trouver la bonne manière d'atteindre cela.
A part ça, on pouvait craindre une chose en particulier de ce début d'histoire: que Shîka soit vue comme une sorte de substitut de Yuri, de fille et de petite soeur de substitution, or ce n'est heureusement pas le cas: la perspective de remplacer purement et simplement la défunte n'est pas là, tant le souvenir de celle-ci est omniprésent.
Sur le plan visuel, enfin, on sent que Hato Momoyama signe là sa première série un peu longue, tant les petites erreurs anatomiques sont régulièrement présentes: genoux bizarrement placés, tailles variables, personnages qui semblent parfois trop jeunes ou trop vieux... Pourtant, si l'on fait fi de ça, le mangaka s'applique beaucoup à retranscrire les émotions communicatives de ses personnages sans en exagérer les traits, et offre des décors, des jeux sur les trames et des jeux d'ombre qui sont à la fois assez réalistes et un brin éthérés, ce qui contribue beaucoup à offrir à l'ensemble une atmosphère douce-amère adéquate.
A l'arrivée, même si la suite devra confirmer via l'orientation que prendra l'histoire, on a un premier tome qui pique à vif la curiosité et qui, surtout, sait toucher grâce au drame humain qui se joue et qui permet au mangaka d'aborder un petit paquet de sujets certes souvent éprouvants (ce n'est pas pour rien que l'éditeur a mis un avertissement en quatrième de couverture) mais peut-être nécessaires.
Et du côté de l'édition française, la copie proposée par Delcourt/Tonkam est très correcte: la jaquette est fidèlement et sobrement adaptée de l'originale japonaise, la traduction d'Anaïs Fourny est claire et sensible sans en faire trop, le lettrage de Kevin Druelle est propre, le papier allie souplesse et opacité, et l'impression effectuée en France chez Aubin est de bonne facture.
10/09/2025
22/01/2026