L'infirmerie après les cours - Actualité manga
Dossier manga - L'infirmerie après les cours
Lecteurs
19.50/20

Grandir, un phénomène de société rondement mené


On a bien l’habitude des shojos prenant pour cadre un lycée japonais à priori ordinaire. On pourrait alors naïvement croire que l’Infirmerie après les cours n’est qu’un manga de plus dans cette longue liste, abordant encore et encore le thème de l’amour vu et revu. Cependant, on est loin du shojo de base avec Mizushiro, et ceux qui connaissant X-Day appréhenderont plus facilement ce titre, qui s’en rapproche d’avantage que d’une quelconque ressemblance avec la pléiade de titres que l’on peut trouver dans les magasins. Un lycée, des élèves qui y vivent ensemble chaque jour que Dieu fait, entre amitiés et amours incessants, mais avec une grosse dose de fine psychologie, de personnages torturés sur les bords et de questions à fort caractère existentiel. Bien sûr, tout l’aspect de l’adolescence est développé mais avec bien plus de rigueur que prévu. L’auteur se base sur un mal être assez commun qu’est la vie en groupe, mais va plus loin en ébauchant différents problèmes selon les jeunes qu’elle met en scène, peignant peu à peu un portrait, s’il n’est pas exhaustif, plutôt pertinent de cet âge difficile de la vie. Au lieu de se focaliser sur une quête aveugle de l’amour, Mizushiro l’aborde comme un réel parcours de vie, au même titre que la recherche d’identité, la confusion des genres ou le traumatisme.

Dans un premier temps, il faut reconnaitre aux personnages une certaine (in)capacité à se libérer des préjugés et de la bienséance. Le héros, Mashiro, illustre parfaitement cet aspect prédominant du récit, de par son existence même. En effet, nous parlions de confusion des genres, et bien ce protagoniste en est le parfait représentant. En étant à moitié fille, à moitié garçon -prenons pour l’instant le postulat du « il », comme le début du manga le suggère-, il se perd complètement. S’il était facile de dissimuler son secret en cachant sous ses traits féminins un regard qu’il veut dur, une attitude qu’il veut virile, il ne pourra plus se cacher devant un miroir. Ses premières règles arrivant, Mashiro ne peut plus affirmer avec autant de véhémence son statut d’homme. Tout cela lui apporte des préoccupations bien plus embêtantes qu’à la majorité des lycéens, du moins le pense-t-il. La question de son sexe est une chose, mais ce qui le perturbe pendant une bonne partie de la série, c’est le problème de l’amour. Sans savoir ce qu’il est, comment affirmer clairement qui il peut aimer ? Doit-il rester homme et protéger Kuréha ou alors céder à une part de lui et se couler dans l’étreinte de So ? D’une manière plus générale, a-t-il réellement le droit d’éprouver des sentiments, de par son hermaphrodisme ? Peut-on aimer quand on ne s’accepte pas soi même ? C’est toute la thématique de la vision des autres et de la morale qui est alors engagée, sans jamais vraiment parler d’homosexualité, qui n’est qu’un détail de la chose. Le trio amoureux se forme donc avec Mashiro au centre, un Mashiro perdu et incrédule. Tout serait tellement plus simple si l’amour n’était qu’une affaire de sexe ? Pas vraiment. Car notre héros n’est pas clairement identifié comme une fille malgré ses organes génitaux, et les sentiments ne sont en aucun cas déterminés par l’artillerie donnée à la naissance. Mashiro n’a donc aucune aide dans sa recherche de lui et de ses émotions, si ce n’est le rêve. L’auteur soulève alors, plus globalement, la nature même de l’homme et de la femme, révélant quelques stéréotypes bien sentis, critiqués allégrement. Car Mashiro se réfère à l’image de la femme pour tout d’abord dénigrer ce statut. La femme serait fragile et faible, nécessitant une protection. En basant sa réflexion sur les images standardisées de Kuréha, la parfaite demoiselle et So, l’homme viril et décidé, Mashiro ne peut s’identifier ni à l’un ni à l’autre, perdant toute notion d’identité. Il ne peut qu’avoir envie de préserver Kuréha et que céder face à So, et donc errer constamment de l’un à l’autre. Voilà toute la justification d’un être qui ne peut décider de ce qu’il est autrement que par une conception binaire stricte. Et se déterminer en fonction de l’autre n’est-ce pas pour se voiler la face et éviter la douleur d’un choix ? Enfin, la question même du sexe est soulevée : est-ce défini par une carte chromosomique ou par l’apparence ? La biologie et la physiologie ne sont pas toujours compatibles, faut-il en souffrir pour autant ? Autant de questions sans réponses, puisque chacun doit effectuer le chemin emprunté par l’auteur et son héros afin de se faire une idée de la chose.
     
   
   
  
Mashiro n’est ce pendant pas le seul à devoir, durant ces dix tomes, passer outre les visions étriquées imposées par la société. Son entourage aussi. Mais étonnamment, on remarque que Kuréha et So acceptent parfaitement la nature de l’objet de leurs sentiments, y trouvant même leur compte. Reste à savoir s’ils aiment Mashiro malgré ou pour cette différence. Cela leur permet en effet de trouver ce qu’ils cherchent, ce dont ils ont besoin pour se raccrocher à quelque chose, pour cicatriser les blessures que la vie a laissées. Kuréha n’aime pas les hommes, et le fait de sortir avec un adolescent qui n’en est pas vraiment un la rassure, tandis que So n’arrive pas à se défaire de sa sœur en s’appropriant superficiellement d’autres filles, et la spécificité de Mashiro lui permettra de trouver enfin une fille différente, spéciale, aussi intéressante que l’est le culte de sa sœur. Chaque personnage voile donc ce qui le gêne et ne prend que le meilleur, que ce qui lui permettra d’avancer sans avoir à juger ce qui le dérange. Tous sont soumis aux idées préconçues ou aux aveuglements temporaires, malgré l’assurance que les soupirants de Mashiro affichent. De manière plus générale, à part Mashiro qui sort totalement du moule préfabriqué des shojos -et encore, il pourrait très bien rappeler la mode du travestissement-, les personnages eux-mêmes véhiculent de jolis clichés. Entre la poupée fragile traumatisée, l’homme idéal, passionné, amoureux et prêt à tout pour obtenir ce qu’il veut, mais aussi le soupirant éconduit parfait, agissant dans l’ombre et prêtant une oreille attentive, la lycéenne qui se constitue un masque d’hypocrisie, la commère qui compense son peu d’intérêt par des mensonges, le génie manipulateur dont le dédain se retourne contre lui … Ceci dit, ces images un peu rigides permettent à la mangaka d’aborder de manière pertinente la jeunesse actuelle, exposant les problèmes de chacun, les obstacles liés à leur véritable apparence, les psychologies très variables qui prennent chacune leur place dans un groupe où la recherche d’identité est primordiale. Sublimant l’image de l’adolescent classique par ces figures justement très stéréotypées, c’est là tout le génie de l’auteur, qui dépeint avec un brio rarement égalé les relations entre toutes ces représentations de l’adolescence. Torturer les esprits, faire entrer les traumatismes, jongler avec les doutes en se riant des difficultés de ces jeunes, Mizushiro signe alors un récit très juste sur l’adolescence, sujet pourtant maintes et maintes fois abordé. Et l’on verra plus tard que le rêve n’est qu’un déclencheur qui révèle ce même sujet.

Si l’on voit bien que les jeunes sont représentés de manière tout à fait pertinente, dans le contexte de leurs souffrances et de leurs doutes, il n’y a pas d’adolescence sans amour. Et de l’amour, il y en a ! Ne serait-ce qu’à travers le très agréable trio amoureux, constitué d’un représentant de chaque sexe et de Mashiro, qui n’est pleinement ni l’un ni l’autre. Cependant, et on insistera sur ce point là, il n’est pas cas de l’homosexualité, simplement de la recherche d’identification dans l’amour. So et Kuréha pourraient très bien n’être que des symboles vers lesquels le héros devrait ou pas se tourner, ils ne sont pas là pour faire allusion à du yuri ou du yaoi, bien que les fans ne puissent s’empêcher d’en voir … Mais il faut bien comprendre que ce n’est pas l’amour particulier qui importe mais l’amour dans son sens général et élargi. Celui qui marque le passage à l’âge adulte, celui qui permet de s’affirmer et de se définir à travers l’autre, celui qui rend à la fois heureux et triste, celui qui n’a de sens que dans la symbolique. C’est là toute la beauté du récit qui, très pragmatique, jette son intrigue au sein d’un lycé rempli de jeunes en mal d’attention ou d’amour, et au milieu de tout ça, ce sentiment n’est abordé que comme une entité séparée des préoccupations quotidiennes, présente uniquement pour accompagner le thème de l’identitaire. Celui-ci se décline d’ailleurs en plusieurs groupuscules, que ce soit dans le trio principal ou avec d’autres acteurs, participants au rêve eux aussi. Entre la passion et le désir de possessivité, l’inceste, le platonique, le thérapeutique ou l’hypocrite, les différentes dimensions s’incarnent en chaque personnage, qui s’approprie totalement, en fonction de son histoire, chaque image d’un amour adolescent. La représentation la plus intéressante n’est d’ailleurs sans doute pas celle que l’on croit, puisque la relation entre Kuréha et Shinbashi est tout simplement superbe. Typique d’une jeunesse en mal de vivre, ce lien qui les unit est instable et fort à la fois. Leur amour n’a pas vraiment lieu d’être, et c’est plus un sens unique totalement platonique auquel on a accès. Plus encore, c’est la découverte du sacrifice et du bien de l’autre qui prime sur tout le reste. C’est l’intégration, par Shinbashi, d’un sentiment extrêmement complexe qui n’a de raison d’être qu’en souhaitant le bonheur de l’autre. La communication, enfin, est assez représentative de ce qui se fait actuellement : les deux jeunes gens apprennent à se connaitre par téléphone et pas « en vrai », puisque Kuréha ne peut supporter la vision ou la proximité d’un homme. Façon originale et pleine de sens de se rapprocher, c’est avec une tendresse indéniable que l’on assiste à cette relation qui ne verra jamais le jour. Et on en vient à se demander ce qu’il se serait passé, « si jamais … ». C’est l’opposition même de la confiance et de l’amour, de l’amitié et de la passion, qui ne sont ici pas compatibles entre deux êtres qui pourtant pourraient parfaitement vivre leur vie à deux. Comme quoi, il y a un décalage entre ce qu’on croit être bon pour une personne et ce qu’elle sait être pour elle.

Les premières impressions du manga se portent indéniablement vers les tourments amoureux de l’adolescence, dans un cadre de jeunes gens s’épanouissant vers le futur, intégrant les dimensions des relations, faisant leurs propres expériences. Le lycée est alors un lieu d’apprentissage de la vie, malgré les obstacles, les doutes, et les choses à comprendre pour pouvoir grandir. Une vision très adulte de l’adolescence, qui va continuer à toujours plus se différencier des habitudes.
     
   
         
            
              

© Setona Mizushiro 2005-2007 (AKITASHOTEN JAPAN)

Commentaires

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maruna

De maruna [920 Pts], le 23 Janvier 2011 à 00h18

20/20

Une série parfaite au scénario des plus recherché ! Bref un petit bijoux. (dossier vraiment exelent ! j'aprouve ♥)

lenalee34750

De lenalee34750, le 26 Septembre 2010 à 00h44

20/20

Génial ! L'infirmerie est mon manga préféré ! Bourré de complexité, il m'a fait extrêmement réfléchir. Les destins de tous les protagonistes s'entrechoquent. On à mal pour eux, on en souffre tant ce qui leurs arrive nous prend du plus profond de notre être. on s'y retrouve tous un peu, finalement. Que se soit l'histoire de celle qui s'est toujours donner à fond pour arriver à un but précis, sans jamais l'atteindre, ou encore celui que ses parents forment pour qu'il rentre dans le moule, pour soulever des questions telles que : est-ce qu'on même pour ce que je suis, ou qui je suis ?", on à tous une petite part de nous. C'est vraiment une série géniale, bouleversant, et criante de vérité. Chaque personnage à un réalisme sidérant, et même le héros à des défauts désagréable et flagrant. dans tous les cas : un grand merci d'avoir fait la description !

NiDNiM

De NiDNiM [912 Pts], le 14 Mars 2010 à 13h30

*Ouvre les bras* D'acco Oscar, j'obéis :D Contente que ça plaise. Et je le dédicace à Loli dont c'était l'anniversaire le jour de la publication de ce dossier ^^'

Dam : Jette toi dessus !

OscarFrancois

De OscarFrancois [111 Pts], le 13 Mars 2010 à 16h36

20/20

Dans mes bras, Nid ! Ton dossier est excellent, complet, parfait !

Je mets 20 à l'Infirmerie; pour moi, c'est une oeuvre qui parle. Qui crie, même. Et qui crie fort ! Qui pleure parfois. Qui secoue beaucoup.

On plonge dans le monde lycéen, mais effectivement, on est bien loin des shojos classiques. Ici, le lycée, c'est la jungle, c'est l'oubli, la torture, et tous ces regards aujourd'hui connus, et anonymes demain. La violence est partout; dans les regards, les paroles, les non-dits. Mizushiro traite ça de manière très adulte. Elle a, d'ailleurs, une manière toute particulière de parler du Moi. J'aime vraiment sa manière de raconter, et de dessiner n_n ! Perfecto !!!

sakurai

De sakurai [24 Pts], le 13 Mars 2010 à 14h05

je les ai tous et je m'en lasse jamais de les lire . pour ce qui ne connaissent pas c'est à lire imperatif

 

Yoyo1

De Yoyo1 [0 Pts], le 13 Mars 2010 à 00h02

Je suis totalement d'accord avec ce dossier,  L'Infirmerie après les Cours est un manga exceptionnel, fouillé, complèxe, au sujet pertinent, sérieux, profond et original. Et pourtant, je garde quand même pas un souvenir impérissable de ma lecture. Pourtant, j'aime beaucoup les shôjo d'habitude, mais là l'ambiance est très différente. C'est peut-être un thème trop sérieux et abordé de manière trop sombre pour moi. Ne vous méprenez pas, j'ai quand même beaucoup apprécier ce manga, mais disons qu'il ne reste pas comme un de mes mangas préférés, malgré qu'objectivement, je ne peux que dire qu'il s'agit d'un chef d'oeuvre. Pour cette raison, je conseille évidemment cette lecture à n'importe qui. Excellent dossier par ailleurs !

Blacksheep

De Blacksheep [535 Pts], le 12 Mars 2010 à 21h23

Bon dossier.

Koiwai

De Koiwai [12693 Pts], le 12 Mars 2010 à 17h49

19/20

Excellent dossier ! Pas encore tout lu, mais le début est sacrément intéressant et pertinent :)

Glacia

De Glacia, le 12 Mars 2010 à 15h59

19/20

Si je devrai faire une thèse d'examen ayant pour thème un manga se serait celui-ci^_^

Il est d'une profondeur et d'une complexité sans nul autre pareil.

Les thèmes abordés, les personnages, les actions qui s'y déroulent, les subtils détails qui nous échappent à la première lecture, que se soit au niveau du dessin, des tournures de phrases, des pensées, des visions des protagonistes...tout cela est mené de main de maître par l'auteur qui a eu des idées, qui pour moi, sont absolument géniales et uniques.

Une grande découverte manga qui ne peut décevoir (à mon sens :-D)

Et un dossier de bonne facture (je craignais qu'il en révèle trop ou se perdent dans les méandres de cet univers si particulier), j'en suis véritablement ravie.

L'infirmerie ne pourra que conquérir encore plus de coeusr^^

LIN

De LIN [235 Pts], le 12 Mars 2010 à 14h21

19/20

Ce dossier est bien expliquer moi qui connait bien se titre et qui l'ai déjà lu, je trouve que tu fais tu bon boulot, continu. L'infirmerie aprés les cours et sensasionel.

Dam

De Dam [637 Pts], le 12 Mars 2010 à 13h46

19/20

Excellent dossier. Tu as vraiment fait un travail formidable NiDNiM. Cela me donne très envie de lire ce titre, de toute façon j'acheterai tous les titres de Setona Mizushiro. =D

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