L'infirmerie après les cours - Actualité manga
Dossier manga - L'infirmerie après les cours
Lecteurs
19.50/20

Grandir, un combat impitoyable


« C’est en forgeant qu’on devient forgeron », « rien ne vaut l’expérience », autant de mots et d’expressions qui nous poussent à penser que grandir n’est pas chose facile, n’a aucune règle imposée et surtout, ne s’apprend que par l’erreur et la combativité. Grandir, c’est un combat contre soi même, perpétuellement. On rejette l’image que l’on a de soi, se complaisant à la fois dans l’enfance et dans l’âge adulte tout en errant quelque part entre les deux, se sentant mal à l’aise dans une enveloppe qui ne suit pas souvent l’évolution de la pensée, tant et si bien qu’on en vient souvent à les dissocier l’une de l’autre. Mashiro est aux prémices de la névrose quand il passe son temps à combattre son corps et la représentation qu’il en a, ce corps qui n’a pas voulu s’adapter à ce qu’on lui a dit d’être, ce corps qui ne lui permet d’être ni fille ni garçon, ni femme ni homme. Alors Mashiro se cache, fuit le combat qu’il attend, ferme les yeux et attend que ça passe. Voilà le but de l’infirmerie, pour lui. Combattre cette dislocation entre corps et esprit, entre corps et sentiments. Réunir ce qui a été séparé, en quelque sorte. Mashiro ne peut plus se cacher dès le moment où il est entraîné dans le rêve. Car celui-ci révèle la nature profonde des participants, mettant en forme leurs préoccupations et leurs vices. Dans le rêve, notre héros se retrouve à peu près normal, excepté son uniforme de fille. Ainsi, tous les participants du rêve peuvent voir qui il est et l’identifier dans la réalité, ce qui n’est pas vraiment le cas pour les autres. Mis à nu au regard des autres mais également à son propre jugement, Mashiro refuse en bloc cette apparence qui est supposée être sa véritable forme. En niant, dans la réalité comme dans le rêve, son apparence, Mashiro stagne, n’approche en aucun cas le travail qu’il doit faire pour quitter le lycée en tant qu’adulte. Lui qui a passé son temps à se dissimuler, le voilà incapable de se cacher aux yeux de qui que ce soit, et il en vient à redouter la réalité, sachant très bien que certaines personnes du rêve s’y trouvent et connaissent le secret qu’il a tant cherché à préserver.

Si l’on aborde le thème de la fameuse clé permettant de quitter le lycée, il est vrai qu’elle est accessible, théoriquement, à tous. Mais seul quelqu’un d’assez fort et d’assez déterminé pourra quitter l’établissement sans regret, sûr d’avoir fait le bon choix. Une fois, Mashiro hésitera puis rebroussera chemin, convaincu qu’il n’est pas encore arrivé au bout du chemin. S’il faut, pour l’obtenir, combattre les autres et on en reparlera, il faut avant tout parvenir à triompher de ses propres démons et chimères, être capable de se regarder en face sans mentir. Et la double identité de Mashiro ne lui offre pas ce privilège, d’autant plus que d’être exposé aux yeux de tous et d’être harcelé par l’armure n’arrange pas les choses. A chaque fois qu’il croit toucher un élément de réponse ou d’apaisement, Mashiro retombe encore plus bas, sans parvenir à concilier les deux parties de lui-même, sans toucher du doigt son identité entière et non pas tronquée. S’accepter n’est pas chose facile pour un adolescent qui ne sait déjà pas se définir, et c’est sur ces deux notions, la détermination et l’acceptation, que joue perpétuellement la mangaka, à travers un personnage principal façonné sur mesure pour un rôle torturé et en plein conflit intérieur. Le passage à l’âge adulte est vécu comme un deuil, et les différentes étapes se doivent d’être franchies, par un combat acharné contre une faille, contre un élément de faiblesse extrême, par le simple fait de faire un travail personnel. Grandir ce n’est pas s’appuyer sur les autres, c’est être apte à en effectuer seul la démarche. D’ailleurs, une fois le combat achevé, les personnages perdent de leurs intérêts ; les adultes sont oubliés par les jeunes, qui ne leur accordent plus aucune attention. Voilà tout l’intérêt d’effacer des esprits restants ceux qui franchissent la porte. On ne sait pas bien ce qu’il y a derrière, et à vrai dire cela importe peu. On se focalise alors sur le monde ici-bas, celui des adolescents, pas celui des grands. Celui du doute et pas celui de la certitude. Un monde bien plus noir et torturé, mais incomparablement plus riche en émotions et en revirements. Grandir n’est cependant pas un remède ou une garantie que tout ira mieux. C’est juste une épreuve à passer pour pouvoir aspirer à continuer.
   
    
  
    
On a donc mis en évidence l’importance primordiale de se battre contre ses démons intérieurs. Mais il n’y a pas que ça comme condition à l’accès au rang « d’adulte ». Il faut aussi, sinon tout serait trop simple, être capable de résister aux autres, de se déchirer en groupe pour affirmer son existence intègre et pour préserver entier son cœur, ses émotions, ses valeurs. Le rêve dans le manga donne un sens et des visages à ce phénomène de société, personnalise les obstacles à franchir en donnant une apparence spécifique à chacun des rêveurs. Un bras, une armure, une gothique lolita, une girafe en carton, une poupée tachée par la pluie et la souillure … Il faudra savoir maîtriser sa peur face aux vices cachés des autres individus, la contrôler et en faire une force de combat. Mashiro se familiarise peu à peu avec les participants au rêve, même si certains lui donnent régulièrement et longtemps du fil à retordre, le jeune homme puisera dans ses ressources afin de savoir instinctivement affronter ses plus grands opposants. C’est là qu’entre en scène la symbolique du collier. Ces trois perles symbolisent le cœur du propriétaire. Chaque attaque, chaque offense, chaque rire est susceptible de briser une des perles, et entrainer peu à peu le participant à échouer dans sa quête de la clé, donc de la maturité. Longtemps, cette clé reste quelque peu secondaire mais lors du dernier rêve de Mashiro, on se rend compte de toute l’importance des objets apportés par l’auteur dans ce rêve aux allures fantastiques. Les perles, donc, sont la condition sine qua non pour passer de l’enfance à l’âge adulte, pour symboliser un cœur fort et résistant, capable de se protéger des attaques extérieures, qu’elles soient physiques ou mentales. Dans le rêve, les participants s’entretuent, se déchirent par des attitudes plus ou moins directes selon les personnes, comme un grand chapiteau de cirque où les fauves seraient lâchés. C’est, une fois encore, le mélange d’un enfant et d’un adulte qu’on retrouve en chacun, cette opposition intérieure ressortant sur leur environnement, symbolisant une société qui par devant s’accepte et qui se déchire dès qu’il est possible de le faire. La réalité décrite par Mizushiro, le rapport au groupe et les notions de place et de statut sont alors subtilement abordés.

Tout cela n’est possible que grâce à des personnages secondaires particulièrement charismatiques, aux vices variés mais au but commun. Face à eux, il n’y a qu’un choix à faire, combattre ou mourir. Tout cela est bien évidemment réservé au rêve, qui est finalement peut être bien la seule réalité telle qu’on la connait, camouflée par l’auteur. Encore une fois, l’infirmerie permet alors de surmonter ses difficultés en regard de soi mais aussi des autres. Et ce qui se passe dans le rêve a beau devoir rester dans le rêve, cela envahit la réalité des adolescents, notamment Mashiro qui, au début, n’a gagné aucun combat, que ce soit contre lui ou contre ses opposants. Il est intéressant de découvrir ces derniers d’abord sous leur véritable apparence avant de les retrouver au sein du lycée, cela permet d’émettre des hypothèses en même temps que ce pauvre Mashiro complètement perdu, de mettre à plat tous les protagonistes afin d’ausculter leurs pensées les plus intimes. Enfin, on notera l’agréable opposition entre la violence des combats et l’oubli total une fois la porte franchie par un des participants. La dureté de cet état de fait révèle avec brio toute l’importance du combat, mais également son aspect temporaire, transitoire. Une fois sa place trouvée, une fois son être accepté, une personne n’a plus aucune raison de lutter. Elle est rentrée dans le moule, s’est appropriée un rôle et un statut en regard des autres. C’est aussi ça, grandir.
   
     

© Setona Mizushiro 2005-2007 (AKITASHOTEN JAPAN)

Commentaires

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maruna

De maruna [920 Pts], le 23 Janvier 2011 à 00h18

20/20

Une série parfaite au scénario des plus recherché ! Bref un petit bijoux. (dossier vraiment exelent ! j'aprouve ♥)

lenalee34750

De lenalee34750, le 26 Septembre 2010 à 00h44

20/20

Génial ! L'infirmerie est mon manga préféré ! Bourré de complexité, il m'a fait extrêmement réfléchir. Les destins de tous les protagonistes s'entrechoquent. On à mal pour eux, on en souffre tant ce qui leurs arrive nous prend du plus profond de notre être. on s'y retrouve tous un peu, finalement. Que se soit l'histoire de celle qui s'est toujours donner à fond pour arriver à un but précis, sans jamais l'atteindre, ou encore celui que ses parents forment pour qu'il rentre dans le moule, pour soulever des questions telles que : est-ce qu'on même pour ce que je suis, ou qui je suis ?", on à tous une petite part de nous. C'est vraiment une série géniale, bouleversant, et criante de vérité. Chaque personnage à un réalisme sidérant, et même le héros à des défauts désagréable et flagrant. dans tous les cas : un grand merci d'avoir fait la description !

NiDNiM

De NiDNiM [912 Pts], le 14 Mars 2010 à 13h30

*Ouvre les bras* D'acco Oscar, j'obéis :D Contente que ça plaise. Et je le dédicace à Loli dont c'était l'anniversaire le jour de la publication de ce dossier ^^'

Dam : Jette toi dessus !

OscarFrancois

De OscarFrancois [111 Pts], le 13 Mars 2010 à 16h36

20/20

Dans mes bras, Nid ! Ton dossier est excellent, complet, parfait !

Je mets 20 à l'Infirmerie; pour moi, c'est une oeuvre qui parle. Qui crie, même. Et qui crie fort ! Qui pleure parfois. Qui secoue beaucoup.

On plonge dans le monde lycéen, mais effectivement, on est bien loin des shojos classiques. Ici, le lycée, c'est la jungle, c'est l'oubli, la torture, et tous ces regards aujourd'hui connus, et anonymes demain. La violence est partout; dans les regards, les paroles, les non-dits. Mizushiro traite ça de manière très adulte. Elle a, d'ailleurs, une manière toute particulière de parler du Moi. J'aime vraiment sa manière de raconter, et de dessiner n_n ! Perfecto !!!

sakurai

De sakurai [24 Pts], le 13 Mars 2010 à 14h05

je les ai tous et je m'en lasse jamais de les lire . pour ce qui ne connaissent pas c'est à lire imperatif

 

Yoyo1

De Yoyo1 [0 Pts], le 13 Mars 2010 à 00h02

Je suis totalement d'accord avec ce dossier,  L'Infirmerie après les Cours est un manga exceptionnel, fouillé, complèxe, au sujet pertinent, sérieux, profond et original. Et pourtant, je garde quand même pas un souvenir impérissable de ma lecture. Pourtant, j'aime beaucoup les shôjo d'habitude, mais là l'ambiance est très différente. C'est peut-être un thème trop sérieux et abordé de manière trop sombre pour moi. Ne vous méprenez pas, j'ai quand même beaucoup apprécier ce manga, mais disons qu'il ne reste pas comme un de mes mangas préférés, malgré qu'objectivement, je ne peux que dire qu'il s'agit d'un chef d'oeuvre. Pour cette raison, je conseille évidemment cette lecture à n'importe qui. Excellent dossier par ailleurs !

Blacksheep

De Blacksheep [535 Pts], le 12 Mars 2010 à 21h23

Bon dossier.

Koiwai

De Koiwai [12683 Pts], le 12 Mars 2010 à 17h49

19/20

Excellent dossier ! Pas encore tout lu, mais le début est sacrément intéressant et pertinent :)

Glacia

De Glacia, le 12 Mars 2010 à 15h59

19/20

Si je devrai faire une thèse d'examen ayant pour thème un manga se serait celui-ci^_^

Il est d'une profondeur et d'une complexité sans nul autre pareil.

Les thèmes abordés, les personnages, les actions qui s'y déroulent, les subtils détails qui nous échappent à la première lecture, que se soit au niveau du dessin, des tournures de phrases, des pensées, des visions des protagonistes...tout cela est mené de main de maître par l'auteur qui a eu des idées, qui pour moi, sont absolument géniales et uniques.

Une grande découverte manga qui ne peut décevoir (à mon sens :-D)

Et un dossier de bonne facture (je craignais qu'il en révèle trop ou se perdent dans les méandres de cet univers si particulier), j'en suis véritablement ravie.

L'infirmerie ne pourra que conquérir encore plus de coeusr^^

LIN

De LIN [235 Pts], le 12 Mars 2010 à 14h21

19/20

Ce dossier est bien expliquer moi qui connait bien se titre et qui l'ai déjà lu, je trouve que tu fais tu bon boulot, continu. L'infirmerie aprés les cours et sensasionel.

Dam

De Dam [637 Pts], le 12 Mars 2010 à 13h46

19/20

Excellent dossier. Tu as vraiment fait un travail formidable NiDNiM. Cela me donne très envie de lire ce titre, de toute façon j'acheterai tous les titres de Setona Mizushiro. =D

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