Dossier manga - Le Dieselpunk dans les mangas

L’univers Dieselpunk immersif

  
Sur ce point Winged Mermaids faillit puisque son univers est bien moins travaillé en termes d’immersion du fait que l’intrigue se concentre principalement sur les protagonistes et leur course au pouvoir. A coté de cela on peut séparer les œuvres restantes en deux visions, la première soutenue par City Hall est essentiellement cosmétique et on gagne en immersion que d’apparence ; la seconde est galvanisée par Tanya the Evil et Wizard of the battlefield qui apporte un regard réaliste sur la guerre au sens industriel.
  
  

Une immersion d’arrière-plan

  
A quel point on s’immerge dans l’univers d’un manga et par quels moyens ? Déjà par une bonne présentation de ce dernier avec des indications temporelles et des indices quant à son histoire. En prenant City Hall sous ce prisme on découvre d’une part que le duo Lapeyre-Guérin présente efficacement leur univers par son cadre spatio-temporel, dés les premières pages du premier volume on découvre ce Londres rétrofuturiste et sa société gouverné par le progrès technologique mais l’enracinement dans un style désuet. Et lors de moments critiques on en apprend davantage sur l’histoire cet univers ainsi que certains rouages de la société. Déjà la place importante du papier qui a été interdit pour éviter, par crainte, de voir les papercut réduire l’humanité à néant. Cette prohibition amène alors logiquement un marché noir dirigé par des groupuscules mafieux, ce que la série n’omet pas de montrer tôt dans le récit en dévoilant le passé d’Amélia et son altercation avec Al Capone.
  
 
   
  
On peut saluer aussi la création méticuleuse de toutes les sphères de la société de l’univers dans City Hall. Les différentes planches de vue d’ensemble d’une rue londonienne ou parisienne montre la vie grouillante de la société, chapeaux haut-de-forme et melon, les différentes automobiles circulant sur les artères principales nous donnent déjà une belle image de l’univers. Mais à chaque volume les auteurs rajoutent une couche d’arrière-plan ; l’arrivée du jeune reporter George Orwell rappelle ces œuvres de polar où la presse fouine un dossier noir de politiciens ou simplement la bonne affaire ; ce qui fait écho d’ailleurs avec la mise en place de Big Eye par le maire Malcom, véritable essaim de drones. Les différents corps de police, la royauté ou bien l’effervescence parisienne rajoute du menu détail au profit de l’immersion.
  
L’introduction du concept d’Exposition universelle, grands évènements du XIXe siècle et vecteur de soft-power technologique, est fort bien utilisé au cours des deuxièmes et troisièmes volumes de la série tant par la narration qui s’y déroule que par l’éventail de ce que cela permet en terme de dessin. Guillaume Lapeyre ne cache pas de nombreux easter eggs à la Pop culture ainsi que de l’histoire, l’un des projets originaux de la Tour Eiffel et une reconstitution du Grand-Palais sont les plus évocateurs. Tous ces éléments disparates participent alors à la construction d’un univers cohérent qui se fait écho à lui même et donne vie au cadre dans lequel évolue ses personnages.
  
  
  
  

La représentation d’une guerre industrielle

  
Il n’est jamais facile de présenter tous les pans d’une guerre telle que nous la connaissons depuis 1914, entre la difficile représentation de l’horreur de celle-ci ou bien de garder à l’esprit que toute la société était encadrée autour de la propagande militaire d’une nation. Pourtant Tanya the Evil et Wizard of the battlefield parviennent à un résultat satisfaisant quant à leurs propos. Les deux séries présentent un monde en guerre au format de celle qui a terrassé l’Europe entre 1914 et 1918. Le premier conflit où l’humain est devenu un simple chiffre sur des rapports d’états-majors ; vision d’ailleurs adoptée par le personnage de Rerugen dans Tanya the Evil qui voit venir la folie destructrice d’une caste militariste sur l’ensemble de la société. Chika Tojô et Daisuke Hiyama insistent sur la différence subtile entre les décisions prisent par les officiers généraux et la situation au front. Zettour, Rudersdorf ou le général Masaomi Hyakutake prennent peut-être des décisions utiles pour la nation mais c’est davantage pour précipiter leurs avancements dans la hiérarchie et le pouvoir. Ils ne s’apitoient  pas du sort de la simple recrue, qui devient un chiffre, tout en gardant un regard détaché par la protection que confère l’Etat-major, pour eux les pertes sont monnaie courante, il leur suffit de les limiter au possible pour ne pas déclencher la colère du peuple. Pour le coup c’est similaire à notre réalité, cette image du général imbu de sa personne qui se moque des pertes humaines a été massivement relayée après les déboires de nombreux généraux français lors de la Grande Guerre et ses « offensives à outrance ».
  
  
  
  
Visuellement, Tanya the Evil et Wizard of the battlefield nous donnent une vision réaliste d’un conflit armé, ou en tout cas une version acceptable sur le plan historique. Déjà l’horreur de la guerre de tranchée marqué par les barrages d’artillerie incessant qui causent la majeure partie des pertes est retranscrit dans toute sa violence. L’image de Visha haletant d’épuisement après son baptême du feu sur le front du Rhin est une belle image des contraintes physiques d’un tel combat. Les réseaux de tranchées sont également bien représentés et lorsque s’ajoute à cela les charges d’infanterie le choc qui va sans suivre démontre la hargne des belligérants. Etre assaillit de toute part par les différentes idéologies en présence nous permet alors de cerner les buts de chaque camp ; que ce soit le zèle religieux opéré, ‘involontairement’ par Tanya, la simple conquête pour satisfaire un ego politique ou tout simplement la survie du fléau de la guerre quand ce n’est pas une vengeance personnelle pour Haru dans Wizard of the battlefield.
  
Enfin dans ces deux œuvres on insiste parfois sur la technologie qui va « changer le visage de la guerre moderne », notion bien présente dans les œuvres Dieselpunk, les auteurs ne manquent pas à cet appel et propose chacun les nouvelles armes qui devront apporter la victoire à leur pays ; l’Elenium 95 chez Tanya the Evil et l’automitrailleuse ainsi que le char d’assaut pour Wizard of the battlefield. Que ce soit de la bouche de leur inventeur qui ne manque pas de glorifier celle-ci comme le Saint-Graal, ou bien par son utilisation qui pour le coup donne un élan à la résolution de certaines intrigues tant la puissance de l’arme permet de balayer toute concurrence ; on divulgue au lecteur les caractéristiques techniques et les possibilités en combat de l’arme présentée. Ainsi nous sommes préparés à voir l’utilisation de l’arme en situation réelle et on attend de voir à quel point celle-ci sera efficace.
  
  
  
  

Commentaires

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chevaliershakka

De chevaliershakka [215 Pts], le 28 Janvier 2019 à 15h50

D'un autre côté, pour avoir un débat il faut bien commencer par en parler ! Donc ton dossier est en soi une première pierre à peut-être un plus grand édifice ! En tout cas ça m'a permis de découvrir un genre que je ne connaissais pas.

Après recherche j'ai vu que c'était effectivement considéré comme un sous-genre du Steampunk, mais je ne comprends franchement pas pourquoi. Certes les deux périodes son proches, ce qui explique un cousinage au niveau esthétique (là ou le cyberpunk est clairement plus détaché), mais ça ne se nourrit pas du tout des mêmes éléments et ne couvre pas la même époque.

En tout cas merci pour toutes ces réponses fort intéressantes. Je pense me pencher sérieusement sur sur Wizard of the Battlefield. Winged Mermaids m'inspire moins. Mais l'illustration Lolis en maillot le graphisme me donne envie d'y jeter un oeil !

SerGalaad

De SerGalaad, le 28 Janvier 2019 à 15h22

Il est vrai que la plupart du temps c'est un hasard heureux de pondre une oeuvre qui embrasse des codes d'un mouvement précis. Les auteurs ont seulement dessinés un sujet qui leur tenaient à coeur et le hasard fait que ce soit la période clé du mouvement Dieselpunk. 

Bien sûr que les séries citées ne se renvendiquent pas du courant, peu de personnes, et en particulier les grands pontes du mouvement ne débatent pas des mangas/animés. Le mouvement reste ancré sur le cinéma et les comics américains. Pourtant, comme je l'ai présenté dans mon dossier, les mangas et animés offrent des similitudes au cahier des charges Dieselpunk. Personnellement je considère tout ce que j'ai cité comme appartenant au Dieselpunk grâce à l'esthétisme, le cadre spatio-temporel et à leurs intrigues. 

Mais objectivement, je ne fais qu'analyser les oeuvres par le prisme du courant, sur ce plan elles apparaisent comme Dieselpunk mais je suis certain que ce n'était pas le choix directeur de Daisuke HIYAMA ou de Shino ETOROUJI dans la création de leurs mangas. Le duo LAPEYRE-GUERIN en revanche qui ont baignés dans le Steampunk ont une connaissance du mouvement j'imagine au vu des easter-eggs tel celui sur Rocketeer. Pour Carlo ZEN c'est très ambigu, je doute qu'il connaisse le mouvement mais il rassemble beaucoup d'éléments véhiculés par le mouvement. 

En clair, visuellement c'est Dieselpunk, mais dans l'esprit de l'auteur, c'est uniquement un hasard de circonstance qui fait que l'oeuvre s'est imprégnée de l'époque clée. Si un jour le mouvement s'ancre davantage en France et qu'il y a un réel débat sur telle ou telle oeuvre pour lui donner le label Dieselpunk alors se sera réglé. Mais bien évidemment, le mouvement est encore inconnu en France, relégué en tant que 'sous-courant' du Steampunk ; dans ce cas précis on ne peut que faire des analyses et prétendre d'avoir sous les yeux un manga Dieselpunk par la présence d'éléments qui fait l'essence du mouvement. 

chevaliershakka

De chevaliershakka [215 Pts], le 28 Janvier 2019 à 14h48

Oula ! je crois qu'on diverge dangereusement, car je n'ai pas dit ça non plus !

Tu as dit, je cite : « D'ailleurs s'agissant de Tanya, il n'y a pas de Dieselpunk technologique mais bien un Dieselpunk uchronique car Dieselpunk ne veut pas forcément dire Technologie ».

Ce à quoi j'ai répondu que je n'arrivais pas à concevoir qu'on puisse cataloguer une œuvre comme du Dieselpunk si on se contente d'appliquer l'aspect sociologique (ou politique) du genre et qu'on lui retire l'aspect technologique et donc l'esthétique qui va avec. Sans ça, on peut commencer à y mettre tout et n'importe-quoi.

D'autant qu'à fortiori, Tanya a effectivement des attraits visuellement communs avec le genre.



Après je pense que la phrase citée était involontairement catégorique de ta part, puisque dans ton dossier tu abordes bel et bien les aspects esthétique « Diesel » de l’œuvre.

Je pense que tu voulais dire que le Dieselpunk était ici d'abord sociopolitique avant d'être esthétique. Point sur lequel je suis assez d'accord puisqu'à mon sens, l'esthétique commune avec le genre est surtout dû au choix de la période dont s'inspire la série, qui se veut assez proche de la réalité. Il n'y a rien de vraiment fantaisiste d'un point de vue technologique dans l’œuvre (plus dans le Manga et l'Anime cela-dit). Même la magie se fait plutôt sobre et discrète, ne nourrissant pas vraiment d'inventions visuelle farfelues. Elle est uniquement là pour justifier certains éléments narratifs.

Mais je digresse !



Mon interrogation était surtout que bien qu'effectivement on ne peut pas nier un attrait social et esthétique communs avec le genre Dieselpunk, est-ce que l'addition des deux suffit vraiment à classer l’œuvre en tant que telle ? Car en dehors de City Hall qui semble effectivement embrasser le genre sans qu'on ait trop à en douter, le reste de ta sélection semble plus dû au hasard qu'à un vrai choix de s'inscrire dans le genre.



Néanmoins en disant cela, j'ai conscience également que la naissance d'un courant Artistique passe aussi par une part de hasard. Et que c'est seulement à posteriori qu'on intégrera certaines œuvres dedans, que ce fût volontaire de la part de l'Artiste/Auteur ou non. D'où l'aspect personnel que tu abordes dans ta conclusion.



Voilà ! En espérant avoir été un peu plus clair dans mon propos ! Je confirme être parfaitement néophyte dans le genre, n'ayant jamais entendu parler du terme avant de lire ton dossier (ou alors sans le retenir). Je m'interroge donc plus que je ne cherche à affirmer quoique ce soit.

SerGalaad

De SerGalaad, le 28 Janvier 2019 à 12h56

Je ne dis pas que Youjo Senki n'est pas associé au Dieselpunk! Esthétiquement c'est bien du Dieselpunk par la période et l'équipement militaire ainsi que les sujets abordés, mais il propose aussi une lecture sociopolitique en phase avec les problèmes de la période comme l'hypernationalisme, le zèle religieux et l'expansionisme.

Mais oui je t'avoue que pour un néophyte du courant ça peut être dur à digérer..

chevaliershakka

De chevaliershakka [215 Pts], le 28 Janvier 2019 à 11h48

Haha ! Je crois que je comprends encore moins !

Pour moi les termes Steampunk; Cyberpunk; Dieselpunk; Whateverpunk... sont d'abord associés à des ères technologiques, donc avec un parti pris esthétique.

Que ce soit technologiquement uchronique (je mets des guillemets, car on travestit un peu le terme ici) me semble globalement compréhensible. Mais si l'on y rajoute une couche de sociopolitique... ça commence à faire un brin fourre-tout, non ? Tout du moins si derrière on retire l'attrait esthétique.

Du Dieselpunk uchronique sans l'aspect graphique.... je pige pas. Surtout que la période dans laquelle s'inscrit le mouvement est quand même plutôt large.

Une oeuvre Dieselpunk ET uchronique, là je comprendrai un peu mieux !

Pour trois des oeuvres que tu cites par exemple, c'est vraiment l'aspect visuel qui m'apparaissait commun : récits militaires; technologie et univers fortement inspirés par les deux grandes guerres...

Du coup si tu me dis que Youjo Senki n'est pas associé au genre Dieselpunk par son approche graphique mais pour son aspect social, j'avoue planer un peu.

Bref ! Comme tu le conclues, le mouvement est sans doute encore trop jeune pour être proprement défini. D'où la part de ressenti personnel j'imagine.

En tout cas merci beaucoup pour ta réponse !

SerGalaad

De SerGalaad, le 27 Janvier 2019 à 16h41

A moins de demander directement à M. Carlo Zen l'origine de ses références pour la création de l'univers de Tanya, nous ne serons pas si oui ou non il a voulu en faire une oeuvre Dieselpunk mais au vue de ses goûts historiques et de ses récits uchroniques, Baikoku Kikan notamment, on peut sérieusement penser qu'il a eu vent de l'existention de ce courant. 

Mais à part quelques oeuvres qui se revendiquent clairement du Dieselpunk, le cas de Captaine Sky ou de The Rocketeer, il n'y a pas un réel consensus dans la communauté Dieselpunk sur le label des oeuvres qui prennent leurs sources dans la période du courant, raison pour laquelle je parle d'expérience personnelle; chacun peut se forger sa propre idée de ce qu'il considère comme Dieselpunk. 

J'ai choisi de parler de ces quatre séries par leur ressemblance en terme d'uchronie et d'époque technologique. D'ailleurs s'agissant de Tanya, il n'y a pas de Dieselpunk technologique mais bien un Dieselpunk uchronique car Dieselpunk ne veut pas forcément dire Technologie, un terme polysémique qui regroupe certes la Technologie mais aussi le Politique, le Social, l'Uchronie ou tout simplement l'Esthétisme de l'époque du courant. C'est à cause de cette polysémie du courant qui empêche un consensus général chez les Dieselpunker ; le courant est encore jeune et moins bien connu que son grand-frère Steampunk. 

chevaliershakka

De chevaliershakka [215 Pts], le 27 Janvier 2019 à 11h27

Durant toute la lecture il y a un point sur lequel je me suis retenu de commenter avant d'avoir terminé l'intégralité du dossier.

Et lorsque j'allais bondir sur mon clavier pour en parler, la conclusion a pris un malin plaisir de balayer ça d'un revers de main. Du coup, était un véritable coup de maitre ou juste grosse roublardise ?

Car le point qui m'a taraudé le plus tandis que je parcourais cet très bon papier virtuel, c'est à quel point le genre Dieselpunk paraissait flou, voire un peu fourre-tout. Du moins dans le choix des œuvres choisies ici.

Entre City Hall qui a l'air de manger un peu à toutes les gamelles (Steam et Diesel) ; Youjo Senki qui est d'abord une uchronie ; Wizard of the Battlefield et Winged Mermaids qui s'apparentent à de la Fantasy... on à l'impression qu'en dehors du premier titre, on a juste à prendre quelques choix esthétique communs pour estampiller ça Dieselpunk.

A l'origine, j'avais pour idée que le genre « Steampunk » - et donc par association « Dieselpunk » - signifiait « Et si notre monde avait évolué avec telle technologie plutôt que celle-là ? ». Or dans le cas de Youjo Senki (vu que c'est le titre que je connais le mieux des quatre, on ne va pas bluffer), nous sommes dans un monde parallèle époque 1ere guerre Mondiale. La vraie différence technologique se situe dans l'usage de la magie, pas la révolution industrielle, puisque nous l'avons également vécu. Esthétiquement ça colle grandement à la réalité Historique.

Wizard of the Battlefield me donne un peu la même impression, voire pire vu qu'il s'agit d'un monde totalement Fantastique.

Je ne dis pas que c'est absurde de mettre ces titres en parallèle. Ce dossier met clairement en lumière une inspiration commune. Mais s'agit-il d'une volonté de s'inscrire dans un véritable courant esthétique ou d'une simple coïncidence dûe aux thématiques respectives desdites œuvres ? Esthetique à laquelle on aurait collé une jolie étiquette « Dieselpunk » qui n'existe pas vraiment. Le fait que la conclusion soit « le Dieselpunk c'est d'abord une expérience personnelle », me fait me poser la question.

A moins que tout simplement ce genre soit encore trop jeune pour se voir clairement défini ?

 

En tous les cas ce fut une lecture passionnante et incroyablement bien documentée, me faisant au passage découvrir des titres qui ne m'auraient pas tenté de prime-abord.

Un dossier extrêmement bien foutu. Chapeau.

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