Dossier manga - Lady Snowblood

Choc artistique entre deux Kazuo



Koike et les scénarios musclés


Lady Snowblood est donc intéressant car il marque la rencontre de deux auteurs radicalement différents. On doit à Kazuo Koike des œuvres violentes et sans concession telles que Lone Wolf & Cub ou Crying Freeman, séries qui ont été adaptées au cinéma, au Japon et à l’international. Koike décrit des mondes désespéré et fatalistes, où la voie de la violence est inévitable et acceptée par des personnages résignés. Dans Lone Wolf & Cub, il s’agit d’un homme détruit par le meurtre de sa femme qui accepte de devenir tueur à gages, accompagné de son fils en bas-âge. Dans Crying Freeman, le héros est tueur à gage malgré lui, puisqu’il est manipulé physiquement. Lorsqu’on regarde ces œuvres, on peut facilement les comparer à Lady Snowblood sur le principe. La seule différence réside donc dans l’absence d’un héros masculin, viril et/ou crasseux…





La sociologie de Kamimura


Kazuo Kamimura a quant à lui plus souvent versé dans le manga dit « d’auteur », en dépeignant des portraits d’une jeunesse perdue avec les thématiques de son époque. Il n’a pas manqué le long de sa carrière de portraire les femmes avec un soin particulier, son style graphique permettant de valoriser la féminité avec finesse. Les œuvres de Kamimura sont d’ailleurs souvent choquantes dans leurs scénarios, même si ce n’est pas de la même manière que celle décrite dans Lady Snowblood. Par exemple, dans Lorsque nous vivions ensembles, Kamimura décrit un couple paumé, mais en profite aussi pour mettre en lumière toutes les personnes qu’il rencontre, avec un regard désabusé sur la condition humaine. Ses œuvres ont une vraie force psychologique et sociologique.


Deux visions du manga, une cohérence


Finalement, le principal choc entre les deux auteurs réside dans la description de la féminité de Lady Snowblood. Koike l’a peu fait dans sa carrière, privilégiant la description d’un monde d’hommes, alors que cela a tenu à cœur à Kamimura dans toutes ses œuvres. Le plus étonnant dans Lady Snowblood est que cette différence sert d’articulation à la rencontre des thèmes de Kamimura et Koike : si la féminité de Lady Snowblood sert de pivot à l’intrigue et au style, la violence physique et psychologique du manga sied parfaitement aux deux auteurs, ce qui fait que le manga s’intègre parfaitement dans leur oeuvre respective. C’est un mélange étonnamment cohérent, pour des auteurs qui ont gagné à se rencontrer. On peut toutefois noter que, malgré que Kamimura ne soit crédité que dessinateur, l’importance de la féminité dans le manga laisse supposer qu’il a eu un petit ascendant sur Koike dans le scénario.


  
  
  


© by KAMIMURA Kazuo

Commentaires

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Forevermanga

De Forevermanga [613 Pts], le 25 Mars 2016 à 21h42

c'est un très bon dossier qui m'a convaincue de commencer Lady Snow Blood

Alphonse

De Alphonse [421 Pts], le 25 Mars 2016 à 18h37

Lady Snow Blood !

 

Je trouve que tu as particulièrement bien mis en exergue le différentiel de sensibilité entre les deux Kazuo : parce que, clairement, de manière générale, et tout d’abord, il convient sans doute de faire une première << summa divisio >> entre les œuvres de Kamimura, ès qualité d’auteur complet, de celles en partenariat.

 

Puis, en ce qui concerne la place de la femme dans l’œuvre de celui-ci – ou comme tu pu l’évoquer par terminologie d’une branche du féminisme – il y a chez lui un relatif paradigme de la femme faisant face à un monde empli de défectuosités sociales, morales voire métaphysiques.

 

Néanmoins, s’il pourra être évoqué un paradoxe entre cette association de la femme-forte (ou surhumain féminin) à un environnement néfaste, hostile et déliquescent ; il est aussi pertinent, à mon sens, d’appuyer une volonté, voire un postulat de l’auteur, à faire un effort quant à traiter le réel dans sa complexité. Et ce prisme qui porte contraste entre le statut de la femme et l’état de la société à un moment donné est bien évidemment empreint du vécu de l’auteur (relation avec sa mère, maturation dans un environnement féminin, son rapport avec les femmes de manière plus générale ou, encore, rejet du père) ; même si, Lady Snow Blood, sera manifestement moins emprunt de cela à raison, d’une part, comme tu pu très justement le soulever, de la collaboration avec Koike et, d’autre part, en ce que cette production est également moindrement autobiographique que d’autres prestations, notamment Kantö Heiya ou Rikon Club.

 

Aussi, à la marge et pour d’autres aspects, il sera toujours difficile de se prononcer sur sa vision exacte de la femme, eu égard au encore trop faible volume d’œuvres de celui-ci éditées en France à ce jour ; j’attend notamment l’édition du sulfureux << Les fleurs du mal >> à cette fin. Cependant, et à ce stade, toujours selon moi, il y a un parti pris de l’auteur à restaurer la condition de la femme et de dresser un portrait acerbe de l’homme, sans pour autant essentialiser ce dernier.

 

Lady Snow Blood, si elle pu être assez populaire comparativement à certaines autres productions de Kamimura, divisera probablement toujours autant son lectorat.

 

Il me semble que tu es parvenu à un bon équilibre entre, d’une part, la canalisation des éléments essentiels – en substance – et, d’autre part, la pédagogie à l’attention d’un lectorat novice, pour ne point trop l’enfumer. Peut-être aurais-je davantage développé les particularités du trait de Kamimura (notamment son évolution ou encore le rapport avec ses assistants) ou approfondi la coloration de sa conception de la femme par son propre vécu, mais cela n’est qu’une différence de point de vue, en sus d’alourdir, sans doute, l’ensemble.


 Super dossier ; merci bien Raimaru. 

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