La Mosca

Un trait de caractère

 
Pour aborder son univers décalé et détonnant, Kang Hyung-Kyu s'offre un graphisme particulièrement adapté. Dans la grande lignée de la production coréenne récente, La Mosca possède un dessin à la fois très détaillé et tout en rondeurs. Ce mélange donne un résultat que l'on pourrait qualifier de "cartoon réaliste". D'un côté, l'aspect infantile des monstres et les allures extravagantes des héros donnent dans la démesure et le grand spectacle. Mais l'auteur nous ramène à la réalité lors de séquences parfois très gores, où le réalisme prend son ampleur. On pourra en revanche exprimer quelques bémols au niveau de la carrure des personnages, entre les combattants bodybuildés et les filles aux poitrines trop généreuses. Si les visages peuvent être très caricaturaux dans leurs expressions, ils font également ressentir toutes les émotions douloureuses traversant les esprits des protagonistes. Traits crispés, corps en sueurs, souffles courts... le souci du détail exprime la douleur des corps éprouvés, mais aussi la folie des esprits malades. Evidemment, l'île elle-même est à l'honneur avec des décors de jungle plus qu'étouffants, contrastant avec le calme relatif du monde extérieur. Si les lieux d'action peuvent se ressembler, ce n'est que pour définir une vraie continuité spatiale, comme si l'on ne quittait jamais les héros des yeux. La gestion des ombrages est également très réussies, oscillant entre simples contrastes noir et blanc, traits de remplissages ou trames nuancées. Toute la noirceur des thématiques en ressort totalement grandie.

Pour profiter au mieux de cette ambiance sombre, on ne pouvait pas rêver mieux que Ki-oon s'en charge ! L'éditeur, qui a maintes fois prouvé ses talents pour offrir une édition de qualité sur l'encrage et le papier, s'en sort une fois encore avec les honneurs sur ce titre. On dénotera quand même une légère baisse de l'épaisseur des pages sur les derniers volumes, mais rien de très grave. La traduction est également assez réussie, même si l'on sent parfois une hésitation entre un style de langage parlé assez familier et un vocabulaire plus littéraire, plus proche d'une ambiance de début de XXème siècle. Néanmoins, il aurait été préférable que les onomatopées soient entièrement retranscrite par remplacement, pour renforcer l'immersion. Notons également que les deux premières couvertures originales n'ont pas été conservée dans cette édition française... mais ce sont peut-être les plus réussies, donc doit-on s'en plaindre ?
   
  
   
    
  

In the end

S'il existe de nombreux titres proposant une violence explicite sous couvert de thématiques surjouées et peu convaincantes, La Mosca est une série qui n'a pas peur de s'assumer comme un grand divertissement d'action et de suspens, sans cacher ses défauts apparents. Si l'absence initiale de clés de compréhension peut perdre le lecteur, elle renforce un aspect immersif décuplé par l'expression de détresse des pauvres personnages livrés à eux-mêmes. Il faudra alors s'armer de patience pour obtenir des réponses, mais fort heureusement, le récit n'offre que très peu de temps morts pour empêcher toute envie de décrocher. Tel le café qu'elle met à l'honneur, la série devient parfois une véritable drogue aux effets hallucinatoires devant cet univers fantasmé et son bestiaire grotesque et terrifiant. C'est glauque, gore, sans compromis, mais l'effet est garanti ! Kang Hyung-Kyu nous délivre ici un spectacle qui peut sembler convenu, mais doté d'une certaine originalité par son ambiance, et qui sait aller à l'essentiel vers des séquences particulièrement stressantes et oppressantes. Un supplice ? Peut-être, pourtant, à la sortie, on en viendrait presque à en redemander... la contamination est déjà en marche...


"Alors que le vieil homme me parla en long et en large de ce qui pouvait m'attendre sur cette île infernale, il s'interrompit dès lors que le premier rayon de soleil perça l'horizon. Nos discussions avaient duré toute une nuit, mais il était temps d'affronter mon destin en ce moment où l'embarcation atteignait ce lieu marqué du sigle de Kashoo. Alors que nous atteignîmes le quai, je me réfugiais au fond du rafiot tandis que mes compagnons se ruaient vers la sortie. Là, un comité d'accueil d'hommes en noir se mit à les capturer un par un sans leur laisser de répit, fidèlement aux paroles du vieillard.

Devais-je à mon tour franchir le pas ? Me lancer dans ce monde hostile porté par si peu d'espérance ? Les mystères de la compagnie valent-ils autant de sacrifices ?

Et vous, serez-vous du prochain voyage ?"
 
 

Dossier réalisé par Tianjun