La Mosca

Arôme instinctif

Un grain de folie furieuse

La grande force de la série est de nous plonger instantanément dans cet univers totalement porté à la démence. Et pour rompre tout lien avec la réalité du monde extérieur, les pauvres héros font rapidement face à des créatures particulièrement hideuses et inattendues. Imaginez leur première réaction face à un gigantesque lézard géant, doté... d'une tête de poupon au sourire inquiétant ! Ce contact de départ avec la faune locale n'est qu'un début pour Hiken et les autres, puisque nombreux sont les animaux mutant arborant le même faciès au sein de l'île. Leur origine, nous l'apprendrons en cours de récit : il s'agit des "caffeines bugs", une espèce de fourmis collectrices de cerises de café résidant exclusivement sur l'île. Ces petits insectes ont la capacité de concentrer la caféine au sein d'une corne frontale, décuplant leurs capacités. C'est ainsi que la compagnie Kashoo décida de procéder à des manipulations génétiques sur des animaux pour leur conférer les mêmes talents... mais les rendant au passage totalement incontrôlables ! Outre l'augmentation de leur carrure, ils développent également leurs talents naturels à l'extrême. C'est comme cela que nous pourrons croiser, par exemple, un monstre caméléon totalement invisible !

Ainsi, la survie sur l'île est un véritable combat de tous les instants, tant les mauvaises rencontrent peuvent survenir n'importe où, n'importe quand. Contrairement aux agents de Kashoo respectant une certaine logique, ce bestiaire agit uniquement par instinct, se révélant particulièrement imprévisible. La société semble d'ailleurs dépassée par les évènements, même si elle ne montre aucune faille en apparence, puisqu'elle se voit contrainte d'employer des chasseurs pour se débarrasser de ces monstres et de récupérer leur corne, en échange d'un simple repas. Non content de devoir faire face à de telles créatures, ces pauvres hommes doivent en plus trouver des stratagèmes pour les tuer ! La Mosca prend alors une dimension d'autant plus oppressante, entre ce danger permanent planant sur la tête des personnages, et cette lutte irrémédiable pour sa propre survie. Les êtres humains ne deviennent qu'une espèce supplémentaire dans une chaine alimentaire bouleversée, comme si la Nature décidait de reprendre ses droits sur cette terre oubliée. L'auteur nous fait retranscrire tout un panel d'émotions dérangeantes, entre la peur, l'incompréhension, le dégout, et le désespoir.
  
  
  
  
 

L'Homme est un loup pour l'Homme

Pourtant, parmi toutes les monstruosités qu'abrite l'épaisse jungle tropicale, la pire d'entre elle pourrait bien être la race humaine elle-même. Le clivage entre employeurs et employés est à rapprocher de l'exploitation pure et simple, voire de l'esclavagisme. Pire même, les nouveaux venus sont considérés comme du bétail, en se faisant déshabiller et marquer au fer rouge dès leur arrivée ! Si ces nouveaux travailleurs sont venus ici par désespoir ou pour l'appât du gain sans savoir à quoi s'attendre, ils ne méritaient absolument pas un tel traitement. Mais cela fait partie de la vision de Shamur de cette main d'œuvre qu'il imagine comme étant hyperactive, renouvelable, et exploitable à merci. Dans ce lieu coupé du reste du monde et de toutes éthiques politiques, seule semble subsister la loi du plus fort, et les hommes de main du groupe imposent leur supériorité en restant particulièrement intransigeants quant aux règles en vigueur. Certains pourront même abuser de leurs privilèges, en massacrant des individus pour des motifs peu valables, ou en s'adonnant à des viols. Si l'auteur exagère largement certaines situations, donnant un crédit particulièrement inhumain et manichéen à son titre, la série en gagne encore dans son sentiment d'oppression et de fatalisme.

Bien sur, les employés ne restent pas passifs comme des animaux dociles, et les tentatives de rébellion seront nombreuses. Les chasseurs, plus libres de leurs mouvements, ont tout le loisir de tendre des pièges aux hommes en noir, malgré une surveillance très prononcée. Mais souvent laissés pour compte, ils devront avant tout se débrouiller par eux-mêmes, surtout lorsqu'il devient impossible d'apporter des preuves de productivité. L'auteur présente alors de nombreux visages de l'être humain une fois poussé dans ses derniers retranchements, se battant pour un moindre morceau de nourriture, et allant parfois même jusqu'au cannibalisme ! Nous découvrons également une divergence en fonction des spécialisations  : vivant et travaillant en communauté, les ouvriers et les chercheurs semblent partager un esprit d'équipe plus développé, et propice aux mutineries. Tous les moyens sont bons pour s'en sortir, et il s'en dégage finalement une véritable notion d'instinct de survie. Si, de prime abord, il semble que la solitude soit de mise, c'est finalement l'union qui fera la force des compagnons d'infortune. L'espoir est très faible, très éloigné dans les premières heures, mais La Mosca sait monter en intensité dans ses péripéties scénaristiques menant au démantèlement du projet. Ce cocktail, à la fois explosif, amer et tonique, porté par une profonde noirceur, nous tient en haleine jusqu'aux derniers instants, sans jamais retomber.