L'Oiseau Bleu - Actualité manga
Dossier manga - L'Oiseau Bleu

Humanité


A l'instar du Chien gardien d'étoiles, L'Oiseau Bleu se démarque de la majorité des titres de Murakami pour son fort accent sur l'aspect humain des personnages, que l'auteur s'applique à nous faire suivre de très près, avec une spécificité : éviter le surplus de larmoyant pour mieux s'intéresser à eux avec réalisme.

Pourtant, dès la première histoire, l'auteur frôle le pathos à quelques égards, notamment dans le surplus de malheur s'abattant sur Yuki : elle qui avait perdu ses parents très jeune et venait tout juste de connaître le bonheur familial, elle vient à nouveau de le perdre. Et pourtant, Murakami parvient à éviter d'être trop larmoyant, car plutôt que de chercher artificiellement à nous tirer les larmes des yeux, il s'applique plutôt à dépeindre de près le nouveau quotidien qui attend Yuki, et cela passe par de nombreuses étapes finement croquées sur le plan psychologique.
Ainsi retrouve-t-on une Yuki qui a d'abord du mal à réaliser que son enfant n'est plus là. Elle continue, pendant un temps, d'aller l'attendre à la sortie du bus, en vain. Elle se raccroche aux derniers résidus de sa voix enfantine, enregistrée dans un vieux jouet, mais à côté de ça ne parvient pas encore à regarder en face les photos de lui... Murakami présente avec force et finesse toute l'ambivalence de la détresse psychologique de la jeune femme, incapable pour l'instant de pleurer la mort de son enfant tant elle ne peut y croire et préfère, en quelque sorte, fuir cette réalité impossible à accepter.
La fuite et l'espoir se font alors à travers la figure de son époux, plongé dans un coma végétatif dont il a peu de chances de ressortir. Naoki, présent sans l'être, reste celui en qui Yuki peut le plus se raccrocher, et elle s'occupera alors de lui jour après jour, au gré de ses passages dans différents hôpitaux et cliniques, jusqu'à ce qu'il soit rapatrié au domicile familial où elle continuera inlassablement de lui prodiguer les soins. Ses beaux-parents, une femme bienveillante et un homme affaibli par un début de démence et ayant lui-même préféré effacer de sa mémoire l'existence de Shu et de Naoki, auront beau lui proposer de s'arrêter là, auront beau lui dire qu'elle peut encore refaire sa vie, il n'en sera rien.

Dans cette présentation quotidienne, Yuki nous apparaît alors profondément humaine dans son mélange de faiblesse et de force, coincée entre le drame de la perte de son enfant et l'espoir de voir Naoki reprendre conscience.

A l'issue de ce récit mêlant un drame puissant à un abord intelligent, humain, doux et poétique, la perte d'un être cher est évoquée avec maestria par un auteur délivrant, au bout du compte, un message d'espoir qui fait mouche.





Le deuxième récit, "Les feuilles mortes", a pour personnage central Hideo Higashimoto, le père de Naoki et grand-père de Shu, croisé dans le premier récit alors qu'il connaissait un début de démence.
Cette fois-ci, contrairement au début de la première histoire que l'on a évoqué dans la présentation,  c'est un début plus brut auquel nous avons droit : des couleurs plus artificielles, ponctuées de bruits assourdissants représentées par d'envahissantes onomatopées. Nous sommes dans une aciérie des années 60, où le jeune Higashimoto exerce son premier travail aux côtés de collègues qui tentent tous, tant bien que mal, de joindre les deux bouts. C'est notamment le cas d'un collègue qui, pour subvenir aux besoins de son fils Yuta, multiplie ses heures de travail, confiant alors la garde de son enfant à Higashimoto. Les choses se passent plutôt bien, Higashimoto s'attache fortement à Yuta et à son paternel. Jusqu'à ce que... Retour dans le présent, où l'on retrouve un Hideo vieilli et amoindri par les débuts de sa démence. Il commence à oublier certaines choses d'abord anodines, puis cela prend peu à peu de plus en plus d'ampleur... Il est atteint de la maladie d'Alzheimer, et cela s'amplifie forcément au fil du temps. Et là aussi, Murakami choisit de nous plonger au plus près du personnage et de son épouse.

On suit le quotidien du vieux couple de plus en plus mis à mal par la maladie, à laquelle vient s'ajouter le drame de Yuki, Naoki et Shu qui a forcément un impact lui aussi. Voir Hideo oublier de plus en plus de choses, se demander de plus en plus souvent ce qu'il fait et qui est sa famille, et voir son épouse continuer d'être là pour lui malgré des difficultés de plus en plus fortes, a quelque chose de profondément touchant et humain dans cette simplicité de ton. Murakami trouve le ton parfait pour dépeindre  la lente "déchéance" du vieil homme, qui oublie jusqu'à sa famille... alors que, pourtant, il semble ne pas oublier certaines choses même s'il a du mal à s'en rappeler précisément. Le souvenir de son premier travail où il veut constamment retourner, le souvenir d'un enfant pour lequel il n'a rien pu faire... Et si le message d'espoir était là ? Car de façon presque fortuite, une figure du passé de Hideo finit pas resurgir devant lui, et c'est désormais cette figure qui est là pour lui. Pour tenter de le soigner, mais aussi pour montrer que, même s'il oublie tout et qu'il ne sera bientôt plus de ce monde, il y aura toujours quelqu'un pour entretenir son souvenir.

Dans tout ceci, Murakami parvient à nouveau à éviter de justesse le pathos. Il est même rare de voir les personnages pleurer réellement, et quand ils pleurent c'est très brièvement dans des scènes qui marquent en profondeur de par leur justesse, comme à la page 158.
  
  
  


© by MURAKAMI Takashi / Shôgakukan

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