Kei Toume - Actualité manga
Dossier manga - Kei Toume
Lecteurs
20/20

Les thèmes abordés

  

Repeindre le monde en gris

S'il y a bien une chose qui caractérise à merveille l'univers de Kei Toume et qui est inhérente à pratiquement toutes ces histoires, peu importe le sujet de celles-ci, l'époque à laquelle elles prennent place où l'endroit qui leur sert de toile de fond, c'est cette ambiance profondément mélancolique qu'elle instaure avec une précision renversante. Cette amertume permanente, cette grisaille absolue, cette morosité totale qui se dégage en continu. Simple caprice venant gâcher ses différentes oeuvres ? Pas le moins du monde. Non, au contraire, c'est précisément cela qui donne tant de personnalité à ses récits et qui les rend instantanément reconnaissables. Donc, cela n'est jamais fait de manière gratuite. C'est, en réalité, une transposition quasi parfaite de notre réalité sur feuille de papier. Et c'est aussi pour cela que, de temps à autre, on est complètement révolté par ce qu'elle nous propose, par ce que l'on a sous nos yeux. Révolté car tout cela semble tellement réel, tangible, intense que l'on ne peut faire autrement qu'être bouleversé en compagnie des personnages qu'elle met en scène. Evidemment, cet état de fait n'est pas facile à accepter. Ne pas y opposer de résistance revient, effectivement, à se rendre compte nous même du manque de couleurs dont fait preuve le monde qui nous entoure. Cela nous fait prendre conscience des choix cornéliens, des choix absurdes auxquels ont ne peut se détacher et qui entravent nos vies dans un quotidien morne et sans saveur. Des exceptions existent, bien entendu. Et ce sont ces dernières qui nous permettent de vivre et d'oublier le reste, il en va sans dire. En outre, cette relative indifférence avec laquelle l'auteur nous dépeint ces vérités, restant sur un ton monocorde du début à la fin, ne cherchant pas à mettre en valeur un passage plus qu'un autre, renforce encore un peu plus ce climat aussi touchant que grisant. A d'autres moments, on se dit qu'au contraire, elle fait preuve d'une grande empathie envers ses créations. Bel exemple de complexité humaine, une fois encore. Qui plus est, n'oublions pas que la très grande majorité des personnages que nous invite à suivre Kei Toume sont soit des adolescents, soit de jeunes adultes. Autrement dit, des personnes qui en sont à un age où les doutes, les incertitudes, les rapports sociaux compliqués et les moments de déprime sont légions.

Parmi toutes ces oeuvres, Sing "Yesterday" for me est plus que probablement celle dans laquelle ce sentiment se ressent avec le plus de vigueur. Les lamentations de l'agneau suit de près mais la très légère touche d'improbabilité, incarnée par la maladie des Takashiro, fait qu'on le ressent moins, que l'on a plus de mal à transporter son âme dans l'univers mis en branle. Et cet aspect de l'auteur, on le retrouve dès ses toutes premières publications. Certaines histoires sont même particulièrement noires et dénuées de toute forme d'espoir. Et, s'il est indéniable que ses premiers jets n'étaient pas des modèles de qualité sur le fond, il reste de tout même impressionnant de découvrir la manière presque naturelle avec laquelle elle instaure cette atmosphère. D'ailleurs, elle l'avoue elle-même, Toume a été en proie à une période très sombre et elle est parfaitement consciente que cela se ressent dans ce qu'elle a produit, allant jusqu'à l'accepter et s'en servir au mieux.

Quoi qu'il en soit, cette composante, essentielle à la réussite de l'auteur, donne une touche vraiment particulière à ses séries et c'est en grande partie ce qui fait son charme, aussi improbable que cela puisse paraitre pour quelqu'un n'ayant jamais eu affaire à l'une de ses histoires. Cela pourra rebuter, dans un premier temps. Mais, après quelques chapitres, on se laisse prendre au jeu et l'on fini par ne plus souhaiter qu'une seule chose: poursuivre cette visite pragmatique de l'humanité jusqu'à n'en plus finir.
    
 
  
  
 

Implacable fatalité

"Rikuo est haissable et n'est pas génial du tout. Mais je suis tombée amoureuse de lui par accident, alors je n'ai pas le choix. Si je ne vais pas jusqu'au bout... je redeviendrai la petite menteuse que j'étais."

Cette phrase déclamée avec un air presque amusé par Haru, l'héroïne de Sing "Yesterday" for me, résume sans doute à elle seule et excellemment bien une autre constante des oeuvres de Kei Toume : le destin inéluctable qui emprisonne tout un chacun. Et ce, autant dans les mots prononcés que dans l'attitude adoptée, pas exempte d'un certain cynisme. Déchirant. Pour en revenir à notre jeune serveuse, son destin à elle se résume à trouver l'amour auprès de Rikuo. En ne la côtoyant pas au travers des différents volumes de la série, on pourrait la trouver ridicule et ses motivations risibles. Mais voila, ce n'est pas le cas. Choisir un autre chemin, elle en a la possibilité. S'émanciper de sa condition, il lui suffisait d'un pas en avant pour le faire. Le constant est cependant là, elle n'y arrive pas. Elle n'y arrive pas, ne le veut pas, ne le peut pas. C'est au dessus d'elle. C'est une force intangible et pourtant omniprésente qui la pousse à poursuivre la voie sur laquelle elle s'est engagée. Et cette voie pourrait bien la conduire à sa perte mais, elle le sait très bien, elle ne peut changer son sort. Quant à la base de tout cela, il ne s'agit finalement que d'une rencontre due entièrement au hasard des années plus tôt. Si l'on récrivait l'histoire une centaine de fois, elle n'aurait peut-être jamais eu lieu. Sauf que dans la seule réalité qui compte pour la jeune femme, elle s'est bel et bien produite. De même, Rikuo et Shinako semblent incapables de s'avouer au même moment leur amour. Et pourtant, là aussi, il suffirait d'un petit quelque chose pour que cela se produise. Un petit quelque chose qui ne viendra sans doute jamais. Ne sommes nous donc que des jouets dans la main d'une entité supérieure ? Incapables de libre-arbitre et contraint au désespoir absolu ?

Dans les lamentations de l'agneau, on retrouve également cette thématique de la fatalité mais exploitée d'une manière différente. Plus tragique encore diront certains. Shizuna, elle, n'aura jamais eu ne serait-ce que l'occasion d'échapper à son destin. Dès sa naissance, elle était condamnée à une vie de souffrances, des années d'isolement et la certitude de ne pouvoir pour ainsi dire ne rien accomplir durant le temps qui lui était accordé. Kazuna, par contre, est un de ceux qui aura, d'une certaine manière, réussi à échapper à ce qui semblait être une certitude. C'est sans doute l'un des seuls dans ce cas et, une fois encore, dès ses débuts Kei Toume s'est attachée à mettre en valeur ce thème qui lui semble singulièrement cher. Mais, néanmoins, tout n'est pas rose pour autant en ce qui concerne le jeune homme. Si l'on prend comme point de référence sa relation avec Yo, les choses sont très différentes. Là, ils auront tout fait, tout tenté pour briser la chaine du destin et pouvoir vivre leur amour comme ils l'entendaient, ne reculant devant rien pour y arriver. Y sont-ils parvenus ? La question n'est pas à réponse unique, sans doute, mais il n'empêche que l'on a plutôt tendance à adopter une attitude pessimiste. C'est d'autant plus vrai si l'on met en parallèle le cas du duo Shizuna/Minase, le docteur de cette dernière, qui lui n'a droit qu'à une seule et évidente conclusion.
 
  
     
 
 

Ce passé, ma prison adorée

Dans la continuité du point précédent, les personnages de Toume sont profondément attachés à leur passé, enfermés dans celui-ci. Dépendant d'évènements qui ont eu lieu et qui les auront marqué pour l'éternité. On pourra tout de même se demander si cela est forcément indépendant de leur volonté. Ne cherchent-ils pas, à travers cela, à fuir un présent qui ne leur plait guère ? A éviter de faire des choix difficiles, de prendre des décisions capitales pour assurer leur pérennité ? C'est plus que probablement le cas de certains, mais pas de tous pour autant. Cette diversité, on en reparlera d'ailleurs par la suite. Mais, pour le moment, revenons au refus d'oublier le passé.

Outre la référence évidente à ce thème dans le titre Sing "Yesterday" for me", la manière la plus récurrente avec laquelle Kei Toume illustre cela est par l'impossibilité d'oublier un être décédé. Le frère de Rui pour Shinako dans Sing "Yesterday" for me, son père pour Shizuka dans les lamentations de l'agneau. D'ailleurs, les deux jeunes femmes sont parfaitement antinomiques dans leur manière d'aborder cette séparation. Si dans le cas de la première, elle se refuse catégoriquement à utiliser une personne semblable en guise de substitution et ce malgré les avances de cette dernière, dans le cas de la seconde, au contraire, elle va trouver en Kazuna, portrait craché de son père, un moyen idéal pour pallier au départ de celui-ci pour l'autre monde. Certes, elle ne le souhaite pas. Mais il n'empêche néanmoins que sa volonté n'est pas assez forte et qu'elle use et abuse de son frère pour conserver une raison de vivre. Pour Shinako, le souvenir de son amour aurait plutôt l'effet inverse, c'est-à-dire l'empêcher de vivre. Connaissant déjà les peines et les douleurs qui seront indissociables de l'engagement dans une nouvelle relation sérieuse, elle préfère s'abstenir de toute tentative qui pourrait s'avérer dangereuse pour son relatif bien-être mental. Dans Luno, on se trouve face à un troisième cas de figure puisque, là, Tito retrouve une manifestation physique d'une Zeta qui devrait être morte. L'insurmontable fait d'oublier l'être aimé reste, en tous cas et quelle que soit la situation dans laquelle on se trouve, une constante. Ce que l'on pourra en retenir, au final, nous rapporte directement aux deux thèmes précédents, à savoir la tristesse du monde qui nous entoure et cette foutue fatalité contre laquelle on ne peut rien. Qu'il s'agisse du frère de Rui, de Zeta, ou du père de Kazuna et Shizuna, aucune de ces trois morts n'est parfaitement naturelle. Aucun des trois n'auraient du mourir quand ce fut le cas. Et pourtant, personne n'a pu faire quoi que ce soit pour empêcher ces évènements de se produire.

Dans les mystères de Taisho, Kei Toume aborde l'attachement au passé d'une manière opposée. En effet, Maya, la principale concernée par cette thématique, n'a aucun souvenir de son passé lointain. Et, pourtant, elle y est particulièrement attachée. Elle veut à tout prix se souvenir, se remémorer le visage de ses parents mais est incapable de le faire. Pire, lorsqu'elle a enfin l'occasion de les voir, elle est dans l'incapacité la plus totale de produire la moindre émotion, d'émettre la moindre réaction. Le seul bémol relatif à cet exemple se situe dans l'émotion générale suscitée par la série dont elle est issue. Elle est nettement moins palpable pour le lecteur que dans d'autres oeuvres. Néanmoins, la manière de traiter la chose reste louable.
 
 
  
 
 

Honnêteté et mensonges, dualité de tous les instants

Ce qui caractérise aussi les relations mises en exergue par Kei Toume, c'est la très grande difficulté qu'ont les humains de communiquer entre eux de la meilleure des manières. Leur questionnement constant quant à savoir quelle a la meilleure attitude à adopter, quelle est la meilleure chose à faire dans une situation donnée. Faut-il se montrer parfaitement honnête au risque de blesser l'autre, au risque de se blesser soi-même ou faut-il, inversement, garder certaines choses pour soi, masquer une partie de la réalité, la transformer, l'omettre pour rester dans une situation plus confortable. Si, comme toujours, l'auteur ne nous indique pas un cas de figure comme prévalant sur un autre, elle nous propose cependant toutes les possibilités que l'on pourrait imaginer au travers de ces histoires. Et elle ne s'arrete pas à cela puisqu'elle prend également le temps de développer l'impact de chacune des décisions prises. Ainsi, il y aura autant d'opinions qu'il y aura de lecteurs.

Haru, dans Sing "Yesterday" for me, est le parfait exemple de la personne qui sera honnête et franche quelles que soient les circonstances dans lesquelles elle se trouve. Et cela, ç' aurait pu se révéler totalement désastreux. Une pile électrique qui ne tient pas en place, dit tout haut se que beaucoup ne font que penser tout bas, en général, ça a une fâcheuse tendance à rapidement irriter. D'ailleurs, Rikuo ne se prive pas de le lui signaler lorsqu'elle l'agace. Oui mais voila, Haru, c'est quelqu'un à qui on s'attache malgré tout presque immédiatement. Pourquoi ? Allez savoir. On se contentera de dire que c'est le talent de Toume qui fait la différence. Elle ne s'est pas contentée de créer une façade outrancièrement voyante, elle lui a donné une profondeur insoupçonnée et désarçonnante, aussi bien pour Rikuo que pour nous. D'ailleurs, ce dernier agit en opposition avec Haru. S'il est capable de dire ce qu'il pense, ou une grande partie de ce qu'il pense, à quelqu'un pour qui il s'est persuadé ne rien ressentir, il est incapable d'être sincère lorsqu'il s'agit de Shinako. Ou alors, avec énormément de difficulté. Et c'est justement cette petite nuance qui en fait un personnage réussi, comme presque tous les autres du reste. On ne se retrouve pas face à quelque chose à l'allure bien définie et immuable. Les caractères changent, les pensées évoluent. Une fois de plus, c'est un parfait reflet de notre existence où un détail insignifiant peut faire radicalement changer notre manière de voir les choses. Mais revenons-on au sujet principal de ce paragraphe et aux Lamentations de l'agneau. Kazuna est un protagoniste pour ainsi dire entièrement embourbé dans la problématique du mensonge par désir de bien faire. Tout ce qu'il souhaite, c'est n'embarquer personne d'autre que lui-même dans ce bateau à la dérive où l'a invité sa soeur. Malheureusement, cela signifie aussi faire souffrir ses proches, quitte à le faire pour leur éviter un tourment bien plus grand encore. Cette poussée à son paroxysme du mensonge nous offre d'ailleurs quelques scènes mémorables. Des confrontations d'anthologie avec pour seule et unique arme la parole. Une arme redoutable. Vraiment redoutable. Mais elle nous offre aussi la vision des limites de la tromperie. A un moment donné, Kazuna n'a plus d'autre choix qu'avouer la vérité. A la fois pour se soulager lui-même mais aussi pour éviter une trop grande torture à ses proches alors que c'était ce qu'il voulait justement éviter à la base. Cercle vicieux et infernal s'il en est, qui, ironie du sort, servira d'ultime sortie de secours à notre homme.
 
  
 
 

Vivre pour souffrir, souffrir pour vivre

Après lecture de cette première partie de dossier, on est en droit de se poser une question toute simple mais essentielle: Quel intérêt de vivre si c'est pour subir cette souffrance permanente et implacable ? Il faut savoir que, malgré tout ce qui a pu être dit auparavant, Kei Toume ne voit pas tout en une seule et unique couleur de jais. Certains de ses récits, notamment ceux que l'on peut retrouver dans Déviances, ont une connotation relativement humoristique. De même, dans ses autres séries, il arrive assez fréquemment de tomber sur des scènes plus légères. Non, Toume ne s'est donc pas intégralement enfermée dans une spirale de tristesse et de morosité. Il faut juste se rendre compte que ces douleurs et ces tortures que traversent tous ces visages ne sont pas seulement quelque chose de négatif. Souffrir le martyre, c'est aussi se donner l'envie de trouver un remède efficace à son malheur. De trouver quelque chose, quelqu'un, susceptible de nous apporter le bonheur. Et c'est exactement ce qui transparait au travers des histoires qui nous sont contés. On y retrouve des personnes un peu paumées, pas forcément aidées jusque là, qui cherchent une place, un petit rayon de soleil pour illuminer leur quotidien, une raison suffisamment forte que pour se lever le matin, se donner du mal dans son travail et faire quelque chose de sa vie. Vivre ne se résume donc pas simplement à souffrir mais, toutefois, une vie sans souffrance semble inconcevable. Shizuna dans ses quelques moments de joie lorsqu'elle se trouve au lycée, Rikuo qui ne peut finalement que s'incliner devant la bonne humeur d'Haru, et cette multitude de figures qui ont, de temps en temps, l'occasion d'esquisser un sourire.
    
   

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Commentaires

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asami

De asami [1111 Pts], le 14 Avril 2012 à 23h24

Très bon dossier ! J'ai adoré les lamentations de l'agneau, et maintenant je commence à lire Sing Yesterday for me que j'aime aussi.

JohnDoe

De JohnDoe [598 Pts], le 06 Septembre 2011 à 20h05

20/20

Superbe dossier qui expose bien les très grandes qualités de Kei Toume, mangaka dont j'apprécie les oeuvres de plus en plus.

Mimisao

De Mimisao [119 Pts], le 24 Février 2011 à 21h59

Un excellent dossier, sur une mangaka peu connue, et un genre qui n'est pas le plus apprecié et le plus édité : je me souviens encore la galère que j'ai vécue pour acheter les Sing Yesterday for Me ! Je n'ai lu que trois de ses oeuvres (SYFM, Luno et les Lamentations de l'Agneau), et je suis toujours aussi étonnée par sa capacité à transmettre autant d'émotions avec autant de simplicité. Et je salue son talent pour changer de cadre, d'époque, d'univers : une telle diversité est précieuse ^^ !

Merci encore pour ces analyses très intéressantes !

jojo81

De jojo81 [7209 Pts], le 05 Février 2011 à 01h58

20/20

Super dossier. Kei Toume est une auteure qui me tient particulièrement à coeur ne serait ce parce que la lecture de Kuro Gane dans le magazine Kameha est l'un de mes tous premiers souvenirs de lecteur de manga (avec Zed puis Dragon Ball évidemment ^^). J'ai particulièrement adoré Les lamentations de l'agneau. Une oeuvre remarquable, pas surjouée. Aucune scène n'est de trop. J'ai justement trouvé Déviances en occasion aujourd'hui et j'ai hésité à me prendre le one shot. La semaine prochaine devrait être la bonne ^^

Et je n'ai toujours pas lu Sing "Yesterday" for me... ><;

Bravo pour le dossier, et lisez Kei Toume !

Cag

De Cag, le 04 Février 2011 à 18h23

20/20

Sans doute l'une de mes auteure favorite. J'adore "Sing Yesterday for me"

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