Yukito - Actualité manga
Dossier manga - Yukito
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20/20

La parole de l’un, la parole de l’autre


Tout de suite, l’histoire de Yukito donnera le ton de son intrigue. D’emblée, on saura que l’on sera confronté à une trame qui mêle yakuzas et policiers. Surtout à Shinjuku, lieu de trafics, de commerce en tout genre et de règlements de comptes. « Shinjuku... est une mer profonde. A la surface, il y a le menu fretin. Puis, au milieu, les poissons de taille moyenne qui s’en nourrissent. Tout au fond, il y a les gros poissons qui mangent les moyens. Et parfois, on voit apparaître un requin, nageant au gré des courants. Au moindre mouvement d’inattention, n’importe qui peut se faire dévorer. »

Et comme on l’a mis en avant dans la précédente partie, l’histoire de Yukito y prend place. Si notre héros veut découvrir la vérité quant au meurtre entourant son père, il devra trier les nombreuses informations et versions que ses oreilles entendront, notamment lorsque un camp semble s’opposer à l’autre. Mais bien plus, le petit fils de matagi devra aller au-delà des idées reçues.

« ‘Trahi’, c’est un mot qu’utilisent ceux qui ne pensent qu’à eux-mêmes. Un point de vue unique n’est jamais suffisant pour comprendre les choses. » Pour démêler le vrai du faux, Yukito devra récolter d’abord les paroles de l’un et de l’autre pour ensuite reconstituer ce que fut la réalité d’autrefois.





Parole de yakuzas


Les yakuzas, c’est comme une pègre. Et tout pays en a une. Néanmoins, les yakuzas ne sont pas comme les autres pègres. Ils font l’objet de pas mal d’exceptions. Les yakuzas sont tout d’abord fortement imprégnés par les traditions japonaises, que ce soit une hiérarchie très stricte, un respect quasi-absolu à l’encontre des plus âgés ou encore avoir des bureaux officiels où ils affichent en grand leur nom. Les yakuzas s’appellent également entre eux comme on appelle les membres d’une famille (par exemple : « oni-san’ qui veut dire grand-frère). A Shinjuku, il y a plus d’une dizaine de clans. Et entre ses clans, il y a lieu à une véritable guerre de force, de manière assez perpétuelle.

Avec une telle image, on pourrait se dire que l’on tient là le méchant de l’histoire. D’une certaine façon, ça n’est pas faux. Mais d’un autre côté, tout le monde peut devenir méchant, même ceux qui devraient être les gentils de l’histoire. Dès le début, Yukito ne sera pas contre les yakuzas. C’est ainsi, avec une grande simplicité, qu’il va se présenter devant des yakuzas, cherchant le clan Tashiro. C’est là qu’il fera la connaissance de Miyamoto. C’est par la suite que l’on apprendra que Miyamoto était le n°2 du clan Tashiro, désormais disparu, et que Koji Karibe était son petit frère. Le clan Tashiro a disparu avec la mise hors d’état de nuire de son chef, Tashiro lui-même, devenu un véritable légume vivant. C’est en grande partie pour cela que le dossier du père de Yukito a piétiné. Depuis, Miyamoto est entré dans le clan Shinyo. Mais il n’est plus au sommet. Le ‘petit frère’ de Miyamoto, Chikamatsu, s’en est mieux tiré. Il est même devenu l’un des gratins du clan Shinyo et est un des candidats pour succéder au chef du clan qui vient de mourir.

Entre les deux hommes, il y a toujours eu un lien étrange. Chikamatsu a toujours eu une grande admiration pour Miyamoto, convaincu à l’époque qu’il deviendrait l’un des plus grands dirigeants des yakuzas. Mais, aujourd’hui, dans le monde des yakuzas, Miyamoto n’est plus que l’ombre de lui-même, comme si son cœur était resté avec le clan Tashiro. Pour seule preuve, Miyamoto préfèrera aller à la crémation de son petit frère Koji Karibe, tué par un certain Niijima, au lieu d’être présent à celui du chef du clan Shinyo. Malgré cette faute grave, Chikamatsu persistera à protéger l’homme qu’il continue à admirer. Mais cela ne pourra pas continuer indéfiniment, surtout lorsque Miyamoto décidera de déterrer l’affaire quant à l’agression du chef du clan Tashiro. Preuve indiscutable que Yukito a eu un grand impact sur ce yakuza à la gloire passée. Mais cette quête de savoir sera peut-être la seule chose que Chikamatsu n’acceptera pas de Miyamoto. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il est peut-être lui-même impliqué dans ce qui est arrivé à la mort du chef Tashiro et indirectement par rapport à celle du père de Yukito.
 
Chikamatsu est une personne capable de faire fi de la morale et on découvrira au fur et à mesure de l’enquête qu’il est quelqu’un d’assez obscur et de mêlé, mais surtout qu’il est fortement impliqué. Car, très rapidement, le meurtre du père de Yukito et l’agression du chef Tashiro vont se rejoindre. On peut dire d’une certaine façon que Chikamatsu représente le côté obscur de ce que peut devenir un yakuza, tandis que Miyamoto symbolise son côté lumineux. L’un barrera la route de Yukito, tandis que l’autre l’aidera dans sa quête de vérité. Nous obtenons ici la parole des yakuzas, à la fois contradictoire et mitigée. Ni blanc, ni noir. Quelle sera celle des policiers ?





Parole de flics


Le premier policier que notre héros sera amené à rencontrer est un certain Sae. Dans un premier temps, ce dernier se méfiait de Yukito, ne sachant trop à qui il avait affaire. Mais très vite, en apprenant l’identité de Yukito, celui-ci et le vieux policier se construiront un étrange lien, fait de confiance et de complicité, sans jamais avoir aucune animosité. Notre personnage principal rencontre ainsi dans un premier temps un côté lumineux de ce que les voyous appelleraient les « poulets ». Sae est un inspecteur assez dur dans sa considération des yakuzas mais sans être pour autant injuste. Au contraire, il connaît lui-même Miyamoto et s’entend plutôt bien avec lui, qui est pourtant un yakuza. Sae cherche principalement à maintenir un équilibre entre l’autorité des flics et celle des yakuzas afin qu’un ordre certain règne à Shinjuku.

Mieux encore, le lecteur apprendra de lui-même que Yukito appartenait autrefois à la première division de la police japonaise, mais il a démissionné pour pouvoir enquêter à son aise et à sa guise sur la mort suspecte de son père. Toutefois, sa démission n’a pas été enregistrée. Il fait donc toujours partie de la police. Ainsi, dans les premiers volumes de la série, la police apparaît comme plutôt blanc dans l’histoire. Cependant, on devinera d’entrée de jeu que ce manque d’implication sonne comme quelque peu faux. Dans un milieu où tout est emmêlé, cette chasteté parait comme suspecte et impossible. C’est dans cet esprit que Yukito poursuit son cheminement. Il n’est ni contre les yakuzas, ni contre la police, mais il sait que des monstres il y en des deux côtés de la barrière. C’est pourquoi Sae, découvrant que Yukito est le meilleur flic d’Akita, permet à notre héros de regarder d’anciens documents qui pourraient l’intéresser. C’est là que Yukito fait le lien entre l’affaire où Koji Karibe a agressé un russe et l’affaire où Tashiro, le chef du clan Tashiro, a été agressé par un homme de type caucasien, sans doute un russe. C’est là que se pose la question. Qui en a le plus souffert, qui en a le plus profité ? La réponse : le clan Tashiro a coulé, tandis que le clan Shinyo a percé. A nouveau, tout semble pointer le méchant ogre que constitue les yakuzas.

C’est à cet instant que l’on fait la connaissance de M. Kurebayashi, un vieil homme qui était le supérieur du père de Yukito et qui est devenu entretemps inspecteur en chef au secrétariat du commissaire général. C’est lui qui a permis à Yukito d’être logé et nourri à Tokyo. Encore une fois, on pourrait se dire que l’on rencontre un énième policier irréprochable. Cependant, étrangement, il connaît Chikamatsu et les yakuzas... Il aurait même une grosse dette envers lui. C’est là que Yukito, qui avait jusqu’ici amassé des révélations et des preuves, voit l’enquête commencer à piétiner à cause de pression venue d’en haut. Au fur et à mesure des événements, Yukito sera amené à suspecter Kurebayashi, ce policier haut-placé qui l’a toujours aidé et qu’il a même considéré comme un père. C’est vers cet instant que le monde de Yukito va commencer à s’inverser et dès lors lui montrer un autre aspect de la réalité, bien moins belle. On se rendra pleinement compte alors que la police a aussi sa part sombre. Des policiers corrompus qui jouent un jeu dangereux, simplement parce qu’ils ont été attirés par l’appât du gain ou tout simplement parce qu’ils veulent atteindre des objectifs plus audacieux. En fin de compte, ce sont juste des humains.





Emmêlement de paroles


« Les hommes sont faibles. Prompts à se faire emporter par leurs désirs. » « En tant que policiers, nous côtoyons en permanence ces désirs. Nous y sommes contraints. C’est notre travail. Si nous baissons notre garde, nous risquons à chaque instant de chuter. »

Comme dit au début, Shinjuku est monde gris et mêlé où tout se confond. C’est comme un écosystème où les divers êtres vivants doivent coexister ensemble. Peu importe si cela se passe bien ou non, l’interaction sera d’office présente. Ici, il n’est plus question d’un camp ou d’un autre. Simplement d’hommes qui se donnent des étiquettes et qui s’entrecroisent entre eux. Et quand certains hommes aspirent à de grands projets, d’autres sont amenés à en souffrir, voire à être jeté en pâture. C’est à cela que se résume le pourquoi de la mort du père de Yukito. Un père qui s’est rapproché de trop près de la frontière corrompue. Un père parmi d’autres victimes.

Avec intelligence et pertinence, les auteurs emmènent leurs lecteurs dans les méandres du thriller et du polar, qui révèlent petit à petit leurs propres réalité et vérité. Le lecteur s’attache aux personnages et comprend qu’il n’y a en fin de compte pas de méchants ou de gentils, mais bêtement des humains constitués de qualités et de faiblesses. Voici la parole des flics mêlée à celle des yakuzas. Par là, les auteurs nous offrent la morale de l’histoire, tel l’esprit du matagi.
  
  
  

© 2012 Arimasa OSAWA & Akiko MONDEN / SHOGAKUKAN

Commentaires

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oumaima rimawi

De oumaima rimawi, le 07 Octobre 2015 à 23h09

20/20
Cool

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