Tokyo Kaido - Actualité manga
Dossier manga - Tokyo Kaido
Lecteurs
17/20

L’œuvre d’un peintre maudit omniprésente


L’auteur multiplie les références iconographiques à un peintre très apprécié dans l’archipel japonais : Vincent Van Gogh, artiste en proie à la folie qui fut voué à son époque au malheur, à l’indifférence et à la solitude. Cette description colle en tout point aux personnages dépeints par  le mangaka ce qui nous fait immédiatement comprendre l’intérêt de la comparaison. Les personnages de Mochizuki observent les cyprès proches de la clinique. Ils prennent la forme de monstruosités noires et torturées et, comme le dit Hashi lui-même : « On dirait qu’il brûle  en se tordant dans tous les sens… Il pousse vers le haut tout en se débattant ». Ces arbres symbolisent les névroses et les craintes des patients du Christiana mais également le monde extérieur qu’ils ne comprennent pas et envers lequel ils se sentent étrangers. Cette idée est d’autant plus renforcée lorsqu’Hana et Hashi sont représentés devant la nuit étoilée du peintre hollandais qui peint son tableau alors qu’il se trouve dans un asile pour soigner son état dépressif. Le ciel déchaîné et les étoiles disproportionnées expriment toute la violence de sa psychologie troublée. Comme le dit Hashi lui-même : « je n’aime pas ces cyprès » traduisant son dégoût pour un monde qui lui échappe et qui l’a rejeté.





Aussi, dans le dernier volume, Hana est représentée au cœur d’une autre œuvre du même artiste : le Champ de blé aux corbeaux. Elle est seule face à l’immensité d’un paysage torturé où seuls se mêlent la nature et les corbeaux qui ne sont pas sans annoncer le destin funeste auquel on ne peut échapper. La mort est la seule issue de notre passage sur terre. Il convient par ailleurs de préciser que cette toile est la dernière œuvre peinte par l’artiste qui s’est suicidé au bord du même champ. Comment ne pas faire le parallèle avec Hashi qui va s’éteindre lorsque cette scène apparait. Faut-il se laisser submerger par ses névroses au point de perdre la vie ou faut-il apprendre à les dompter et à vivre avec elles ?





Un passage à l’âge adulte empreint de désillusion


L’auteur développe l’idée selon laquelle les seuls êtres capables de vivre en étant libérés du regard des autres sont les enfants. Ce sont des êtres spontanés et sans fard, incapables de mentir. Cela se matérialise, d’une part, avec le personnage d’Hideo qui vit dans un monde imaginaire qu’il assume pleinement où il est invincible et où il peut communiquer avec des extraterrestres. Mais Mochizuki nous présente également des individus qui refusent de grandir et de faire face au monde et à toutes les difficultés qui sont les siennes. Comme le disait Sartre : « L’enfer, c’est les autres ». Mari est l’incarnation même de cette citation. C’est en effet très certainement pour se protéger du regard et du jugement d’autrui qui blessent l’individu qu’elle évolue dans son propre univers où les hommes sont absents. Le mangaka, par le biais de ses planches nous fait percevoir le monde tel qu’il est aux yeux de la petite fille ce qui donne lieu à des scènes oniriques et fascinantes qui nous donneraient presque envie d’être atteint des mêmes symptômes que celle-ci. Quant-à eux, les personnages d’Hana et d’Hashi, jeune adultes représentent la transition entre l’âge de l’innocence et celui de la désillusion, où l’on prend pleinement conscience de la difficulté de vivre en société.  La première est l’incarnation de la sexualité féminine, un tabou et du regard social. Une certaine sensualité se dégage d’elle. C’est un personnage à mi-chemin entre l’adolescence et l’âge adulte en ce sens qu’elle ne parvient pas à faire abstraction de ses pulsions et les exposent à la vue de tous avec brutalité sans avoir de prises sur elles. Elle renvoie ceux qui l’entourent à leur nature bestiale inacceptable sur le plan moral et qui, pourtant existe dans la sphère privée. Le second, qui ne peut faire autrement que d’énoncer à voix haute la moindre de ses pensées, est l’incarnation du mal-être de l’adolescent tiraillé entre sa volonté de plaire aux autres et d’attirer l’attention en se posant comme un individu à part entière. Hana l’exprime si bien : « Quand tu ouvres la bouche, ce que j'entends, c'est : "aimez-moi, aimez-moi, aimez-moi ». Hashi lutte en permanence entre ce qu’il est réellement et son envie d’être accepté par la société, les deux choses étant incompatibles. Il est à mi-chemin entre l’enfance (son impossibilité de réprimer ce qu’il pense) et l’âge adulte : son envie d’être accepté par la société. Les préoccupations du personnage d’Hashi sont universelles en ce sens qu’à l’âge adulte chaque individu doit tenter de trouver le juste milieu entre sa personnalité et ce qui est « acceptable » vis-à-vis de la société. Dans le cas contraire, l’on est marginalisé et rejeté par ses semblables.

Finalement, c’est l’extériorisation de ce qui doit être refoulé pour entrer dans la norme qui est la source de la marginalisation des personnages de Tokyo Kaido. Pour être accepté de la société, il faut entrer dans le moule et réprimer ses instincts primaires.





L’homme : un être incontestablement sociable


Malgré la souffrance que représente la vie en société, l’être humain est incapable de vivre seul et coupé du monde. Il a besoin des autres pour pouvoir subsister et s’épanouir. C’est ce qu’Hana comprend dans le troisième volume. Alors qu’elle souffre au quotidien du regard des autres, elle en vient vite à envier Mari et sa capacité à ne pas percevoir les autres, à se préserver dans son cocon sans jugement. Puis, elle finit par s’exclamer : « Excuse-moi Mari, d’avoir dit que je voulais devenir comme toi… Même si un ballon dirigeable est en train de voler dans le ciel, même si je vois un insecte bizarre, même si je me cogne et que je me fais une bosse…. » avant de s’interrompre. Elle prend effectivement conscience de la beauté de l’existence : les êtres vivants qui son autour d’elle, la nature, la douleur lorsqu’elle se cogne. Tout cela lui rappelle qu’elle est en vie. Elle a finalement de la peine pour Mari qui est dans l’incapacité de connaitre cela et qui subsiste dans la solitude la plus totale. Quant à Hachi, malgré son attitude rebelle, il cherche à être aimé de son entourage et même s’il manifeste en permanence son mal-être, le doute qui l’habite lorsqu’il doit prendre la décision de se faire opérer ou non traduit son attachement à la vie : il ne veut pas mourir.
  
  
  


Tokyo Kaido © Minetaro Mochizuki / Kodansha

Commentaires

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Sooma

De Sooma [1656 Pts], le 21 Février 2018 à 09h59

17/20

Excellente série qui bénéficie d'une profonde et géniallissime analyse! Le handicap est un sujet tabou encore trop peu traité et c'est bien dommage.

L'hypocrisie de notre société à vouloir toujours ranger les gens dans des petites cases est bien décevante. Et en être exclu car on n'y rentre pas, ça fait mal pour sûr j'en sais quelque chose ^^ !

Chacun est différent, même ceux que l'on croit bien portants et considérer comme normaux ces derniers devient hilarant à la lecture de Tokyo Kaido ^^ !

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