Shino ne sait pas dire son nom - Actualité manga
Dossier manga - Shino ne sait pas dire son nom

La parole troublée


De la difficulté de sortir d'un handicap


Shino ne sait pas dire son nom est un récit qui parle d'une certaine forme de handicap. Pas un "handicap" physique tel qu'on peut en voir dans des séries comme Real, Perfect World ou Running Girl, mais un handicap qui ne se voit pas au premier abord, qui est plus "discret" tant qu'on ne parle pas, mais qui peut causer lui aussi bien des problèmes sur le plan personnel : le trouble de la parole, auquel nombre d'entre nous avons sans doute déjà été confrontés (qui n'a jamais eu dans son entourage quelqu'un victime de bégaiement, voire en était lui/elle-même victime ?).

Ici, il n'est pas forcément question de cerner tous les "aspects techniques" de ce trouble, mais plutôt de suivre tout simplement le parcours d'une adolescente qui en est victime et qui, depuis longtemps, le vit mal. Cela, on le comprend dès les premières pages où Shino s'entraîne dans sa chambre à se présenter, avec autant d'inquiétude que d'espoir, espérant ainsi réussir à ne pas se planter en parlant le lendemain. Mais il peut être bien plus difficile que ça de se débarrasser d'un tel problème,encore plus quand on n'a ni confiance en les autres, ni confiance en soi...





Car la question du rapport à autrui et à soi-même, c'est un peu l'un des sujets de ce one-shot.

Rapport à autrui, car forcément, son trouble a valu à Shino des moqueries voire des mises à l'écart, qu'elle connaît à nouveau ici. Le pas forcément méchant mais un peu idiot Kikuchi est le premier à se re-moquer de plus belle après les rires dans la salle de classe pendant la présentation. Quand la jeune fille essaie de parler on n'essaie pas toujours de l'écouter jusqu'au bout, voire on finit ses phrases avant elle quitte à déformer ce qu'elle voulait dire (chose que Kikuchi fait aussi quand il est question de son intégration dans le groupe de musique). A travers cela, on finit alors par retrouver en filigranes certains thèmes habituels d'Oshimi: la question de  la "normalité" (Shino n'étant pas forcément vue comme normale à cause de son trouble), le rapport à la société qui nous entoure avec ici une forme d'exclusion sociale et le poids du regard des autres, les troubles de la jeunesse, et ce qui peut nous ronger de l'intérieur en ne demandant qu'à exploser.

Et rapport à soi-même, car à force de mal vivre la pression du regard des autres, les moqueries, le sentiment de ne pas être tout à fait "normale", Shino a perdu toujours plus confiance en elle-même, au point de même préférer s'isoler, fuir les autres pour souffrir le moins possible. Comme une sorte de spirale infernale sans fin, car dans une telle situation elle ne peut évidemment pas s'en sortir seule.


Une lumière dans le tunnel


Et c'est donc à partir de là qu'interviennent deux figures importantes.

Tout d'abord, la prof principale de Shino. D'abord a priori peu compatissante au moment de la présentation puis quand elle interroge notre héroïne en cours, celle-ci, une fois en tête-à-tête avec Shino, finit quand même par avoir quelques paroles plus attentions, pouvant apparaître sûrement un petit peu lisses, mais ayant sans doute eu tout de même un impact sur l'adolescente: essayer d'aller vers les autres, de se faire des amis. Peut-être est-ce ce qui a permis à Shino de faire le premier pas vers Kayo.





Puis il y a donc Kayo, adolescente de sa classe avec qui notre héroïne parvient tout de même à nouer un certain lien qui deviendra par la suite de l'amitié. On le voit dès les premières pages où, en classe, elle ne va pas forcément d'elle-même vers les autres: Kayo a elle aussi un côté un petit peu "solitaire", et lors de ses premières interactions avec Shino elle n'est pas forcément tendre, avant d'afficher quand même un désir de comprendre en demandant à notre héroïne ce qu'elle a exactement. A partir de là, une certaine relation se construit, certes vite puisque l'oeuvre est courte, mais on y ressent suffisamment l'amitié qui se bâtit. Amitié passant par plusieurs étapes salvatrices pour Shino.

Il y a d'abord une chose assez forte: un passage proposant une sorte de petite inversion des rôles, où sans penser à mal Shino devient celle qui se moque, en ne pouvant s'empêcher de pouffer quand elle entend Kayo chanter comme une casserole, ce qui provoque chez sa nouvelle amie une réaction de rejet assez virulente. En plaçant ainsi Shino "de l'autre côté", dans l'autre rôle, sans doute cela a-t-il permis à notre héroïne de mieux comprendre certaines choses, par exemple que les moqueries peuvent largement blesser mais ne sont pas toujours consciemment méchantes. On cerne d'ailleurs très bien, via le bref passage où Kayo recroise des copines du collège qui s'étaient apparemment largement moquées de son chant autrefois, que la jeune fille en a elle-même conservé une douleur et un manque de confiance sous ses allures si caractérielles. Et dans la foulée, la réaction de Shino pour sauver son amie face à ces filles, comme une façon de vouloir se faire pardonner, est très significative.

Puis il y a l'idée de Kayo pour permettre à son amie de s'exprimer: si elle n'arrive pas à parler, elle n'a qu'à écrire ce qu'elle veut. Mais c'est bien par la perspective du projet Shinokayo qu'arrivent les plus belles promesses: offrir sur scène, pendant la kermesse de l'école, un petit concert, où chacune comblerait la lacune de l'autre. Kayo, qui chante comme une casserole mais se débrouille bien à la guitare, sera à la gratte, tandis que Shino, qui ne joue d'aucun instrument, sera au chant puisque chanter lui permet de réussir à s'exprimer en bégayant moins.

La question du projet artistique Kinotayo connaîtra des développements inattendus, sortant d'une forme de naïveté qui semblait toute tracée. On aurait pu avoir un bête truc facile où après s'être produites ensemble sur scène les deux filles auraient été adulées, et ainsi tout aurait été beau dans le meilleur des mondes. Mais Oshimi n'est pas comme ça, et il y aura des difficultés: l'incruste de Kikuchi qui finira peut-être par donner l'impression à Shino que son amie Kayo s'éloigne déjà d'elle (ce qui est faux), le retour en notre héroïne de ce sentiment de solitude et de ce manque de confiance qui la pousse à tout envoyer valser, et au bout du compte une représentation sur scène qui ne se déroulera aucunement comme prévu. Mais cette représentation, elle est riche de sens, autant pour l'amitié entre les deux adolescentes que pour ce qu'elle a à nous dire: ne jamais hésiter à braver ses inquiétudes plutôt que d'y rester enfermer, et oser se confronter aux autres plutôt que de les fuit éternellement.





C'est exactement ce que Kayo fait sur scène, c'est exactement ce que Shino fait immédiatement après comme une sorte de réponse où ses paroles qu'elle crie agissent comme un exutoire. Parler pour être comprise. Et s'accepter telle qu'elle est, quitte à devoir continuer de vivre avec ce petit handicap. Mais s'accepter, tout simplement, ce qui est déjà la chose la plus importante.
  
  


© Shuzo Oshimi 2013 / Ohta Publishing Co

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