Sensor - Actualité manga
Dossier manga - Sensor

Tie and die


Junji Itô et les cheveux, c’est une longue histoire d’amour. Peut-être que l’auteur aime dessiner de jolies femmes à la magnifique et soignée chevelure parce que rien ne l’effraie plus que la beauté, ainsi il trouve la source de la peur au sein des chevelures féminines. Et c’est justement dans Tomie, son manga où il associe la beauté au macabre à travers son personnage emblématique du même nom, que l’on retrouve sa représentation des cheveux la plus proche de Sensor. Dans l’histoire sobrement nommée Les cheveux, une jeune fille trouve une boîte dans le bureau de son père contenant des morceaux d’une magnifique chevelure. Elle se rend compte que, même coupés, ces étranges cheveux continuent à pousser. On y trouve un point commun avec l’imagerie de Sensor qui réside dans le fait que la jeune fille et son amie se greffent les sublimes cheveux appartenant à Tomie. Dans Sensor, les habitants du village de Kiyokami faisaient pareil avec les fils dorés rejetés par le volcan. Le fait que les cheveux s’emboîtent sur leur tête leur permet d’avoir un don de clairvoyance ou encore de lire dans les pensées. C’est sensiblement la même chose pour les deux lycéennes qui ont trouvé des cheveux dans une boîte, puisqu’elles peuvent désormais voir Tomie grâce à des hallucinations, et même discuter avec elle en fonction du nombre de mèches qu’elles se sont greffées. Les similitudes s’arrêtent ici, la nouvelle prend en effet d’autres directions que Sensor à partir du moment où elle présente les cheveux comme des éléments dangereux. Alors que le père de la protagoniste cherche avec obsession les cheveux disparus, son amie quant à elle remplace ses cheveux par ceux de Tomie. Le résultat est sans appel, sa nouvelle chevelure la rend plus belle, à tel point que ses copines lui demandent les secrets de ce changement. Il ne fait donc à présent aucun doute que les racines de la beauté sont les cheveux pour Junji Itô. Ce récit est particulièrement fascinant parce que sur la base de morceaux de cheveux de Tomie se crée une histoire horrifique à diverses couches. Entre une fascination maladive, la recherche de la beauté et les hallucinations, tout monte en gamme jusqu’à ce qu’un foyer se brise et que la tragédie arrive. L’horreur est partout, sous différentes formes, sans besoin que Tomie ne soit physiquement présente.


Crayonné de la couverture de Sensor.


Si les cheveux ont toujours été soignés dans les mangas de Junji Itô, ce n’est pas la première fois qu’ils ont un rôle essentiel au sein d’une de ses nouvelles. Dès les débuts de sa carrière, l’auteur mettait en scène une histoire effroyable sur ce sujet avec La chevelure sous le toit, un récit publié en novembre 1988 que l’on peut retrouver en guise de première nouvelle dans le recueil intitulé Le mystère de la chair. Celui-ci débute alors que Chiemi vient de se faire larguer par son copain, qui la ramène dans la demeure de ses parents et sa petite sœur. Avant de lui faire ses adieux, le jeune homme lui reproche d’avoir toujours suivi ses demandes pour lui faire plaisir, et notamment de s’être fait pousser de longs cheveux. Afin d’oublier ses déboires sentimentaux, Chiemi demande à sa sœur de lui couper les cheveux. Mais lorsque la petite sœur arrive, elle trouve la malheureuse en amour décapitée, sans sa tête qui a disparu des environs. Une situation effroyable qui le devient encore plus lorsque son père découvre la tête de Chiemi accrochée par les cheveux dans le grenier. Si la jeune femme est morte, ses cheveux sont quant à eux bien en vie, et après lui avoir tranché la tête, ils se mettent en route en se déplaçant par eux-mêmes, rampant sur le sol comme le ferait un serpent, pour s’en prendre à l’ex de Chiemi. Ici, si les cheveux sont un signe distinctif de beauté selon le copain de la victime qui lui demande de les faire pousser jusqu’à la taille, ils sont surtout synonyme d’horreur absolue. Ils prennent vie afin de trancher la tête de leur propre propriétaire, un peu comme s’ils étaient une partie étrangère au corps. En fin de compte, même si cette histoire dessinée trente ans avant Sensor semble s’en éloigner, on retrouve ce socle commun de personnages ayant des cheveux ne leur appartenant pas.

Par la suite, Junji Itô a dessiné des cheveux à l’occasion de nouvelles scènes horrifiques. Et en parlant de décapitation, il est essentiel de mentionner Fragments d’horreur. Dans l’histoire Le col roulé rouge, Tomio et Madoka vont voir une diseuse de bonne aventure pour savoir où en est leur couple. Cette dernière semble avoir un pouvoir d’attraction sur l’homme, surtout lorsqu’elle dévoile aux amoureux qu’ils sont incompatibles et que leur relation est vouée à l’échec. Après ce rendez-vous, Tomio finit par tromper sa copine avec la voyante... Seulement voilà, la mystérieuse cartomancienne tente de décapiter le jeune homme avec un cheveu qu’elle vient de s’arracher. Ici la chevelure n’est plus la meurtrière mais bel et bien l’arme du crime, et avec ce personnage collectionnant les têtes, Junji Itô trouve une nouvelle manière de rendre effrayant les cheveux. Dans Black Paradox, l’auteur utilise les cheveux à des fins encore différentes. Dans un premier temps, ils servent à cacher l’horreur puisque Baratchi se sert d’une mèche pour masquer la moitié de son visage présentant une affreuse tâche. Elle la dévoile à ses camarades d’infortune sans que cette confession ne fasse réellement peur, quand bien même elle peut écœurer par le caractère étrange de la marque. Mais c’est plus tard dans le récit que ses cheveux ont une autre fonction : celle d’effrayer. Lorsqu’elle les divulgue à nouveau à l’occasion d’une scène intense, on découvre l’intérieur de son visage remplit de pierre. Une révélation aussi surprenante qu’anormale qui a de quoi décontenancer le lecteur ne s’y attendant pas. De cette manière, Junji Itô nous montre une nouvelle utilisation des cheveux pour créer l’effroi. Ils deviennent comme un rideau de théâtre qui se lève, laissant place à un spectacle macabre.


Baratchi dévoilant son visage dans Black Paradox. © 2009 Junji ITO/Shogakukan Inc.


L’art de la mise en scène, le mangaka le maîtrise à la perfection comme on peut le constater principalement dans son œuvre phare, Spirale. Dans son sixième chapitre intitulé Les cheveux bouclés, il dessine certaines des scènes les plus mémorables de sa bibliographie. Touchés par la malédiction de la spirale, les cheveux de Kirie Goshima semblent prendre vie un peu à la manière de ceux de la protagoniste de La chevelure sous le toit. Sauf que les siens bouclent et volent au-dessus de sa tête, fascinant ceux qui posent les yeux sur elle, personnages comme lecteurs. La malédiction touche aussi son amie Sekino, qui parade devant Kirie afin d’essayer d’attirer bien plus l’attention. Dans Spirale, le cheveu devient à la fois esthétique et hypnotique, c’est un objet de fascination à tel point qu’il peut faire perdre la raison. Le porteur désirant à tout prix être au centre de tous les regards tandis que le spectateur est tellement fasciné par les boucles en forme de spirale qu’il en devient captif. On en revient donc à la beauté de la chevelure dans les mangas de Junji Itô qui, en plus d’être essentielle, mène à l’horreur la plus totale.


Spirale, chapitre 6. © 1998 by Junji ITO/SHOGAKUKAN Inc.
  
  

© By Junji Ito 2019 ASAHI SHIMBUN PUBLICATIONS INC.

Commentaires

DONNER VOTRE AVIS



Si vous voulez créer un compte, c'est ICI et c'est gratuit!

> Conditions d'utilisation