Kayo, ou l'adolescente amoureuse
Kayo est le personnage central de la série, et n'étonnera pas spécialement par le portrait que les premiers tomes dresse. L'héroïne de SOS Love est une lycéenne peu studieuse mais jouissant d'une certaine popularité, et qui va chercher à concrétiser ses sentiments pour son ami d'enfance, Shinnosuke. Un rival viendra alors s'ajouter à l'équation : le hautain Taki, qui montrera une humanité grandissante au fil des chapitres.
A première vu, le pitch de la série peut sembler vu et revu, malgré la présence de la dimension SF qui joue légèrement des voyages dans le temps. Et en jugeant l’œuvre tome par tome, le reproche pourra être fait : La série de YASUKO serait-elle une banale romance adolescente, niaise et sans véritable fond ? Pas vraiment, et loin de là même. Comme dans toute œuvre, il faut prendre du recul pour apprécier tout ce que la mangaka a à nous dire, et mener la lecture jusqu'au bout pour cerner distinctement l'ensemble des thématiques et des messages dressés. L'une de ces idées, c'est indéniablement celle de l'adolescence, un sujet finalement abordé dans toute tranche de vie qui mettrait en avant des personnages collégiens et lycéens. Il faut dire que la thématique est vase et personnelle selon les auteurs. Car chacun vit sa propre adolescence, et peut donc en tirer un bilan totalement différent de son prochain. Forcément, la vision d'un Shûzô Ôshimi, très particulière mais si foisonnante, ne sera pas celle d'un autre auteur. Cette digression faite, il convient de s'intéresser au propos de YASUKO à ce sujet.
En choisissant une héroïne ordinaire comme Kayo, l'autrice ne fait pas un choix hasardeux. La demoiselle est assez populaire mais pas sans défaut, jolie mais peu studieuse, pétillante à souhait et impulsive émotionnellement. Partant de là, certaines actions amoureuses de la jeune fille pourront déplaire. Kayo tentera des relations parfois par hésitation plus que par sentiment, et poussera ses interactions amoureuses bien trop loin pour des raisons que nous n'évoquerons pas en ces lignes, pour éviter tout risque de spoil. Kayo pourra donc nous hérisser le poil, nous frustrer par ses erreurs, et nous donner envie de la secouer... Une réaction d'adulte envers tout adolescent qui ferait ses propres erreurs, avant d'en sortir grandi. Et c'est finalement ce qu'est Kayo : une adolescente qui n'évitera pas toujours les faux pas, loin de là, mais qui profitera de ses expériences pour évoluer et savourer comme il se doit le moment présent. Il faut donc pousser la lecture de SOS Love jusqu'au bout pour comprendre le cheminement de YASUKO vis à vis de son héroïne. Sa facette d'adolescente naïve et peu exemplaire en amour est voulue, afin que le développement aboutisse à une véritable évolution qui contribue à rendre la très bonne fin de la série. Une écriture que l'on comprend aussi via des notes distillées ci et là, dans les volumes, par la mangaka. Car si YASUKO avoue ne pas connaître spécifiquement les événements du chapitre à venir, il s'agit en partie d'une marque de modestie puisque l'artiste confirme avoir en tête les grandes lignes de son histoire... donc le point de départ, les événements majeurs, et la destination du scénario.
Enfin, toujours dans la dimension adolescente, les personnages qui gravitent autour de Kayo ne sont pas en reste, chacun étant voué à avoir droit à son développement qui s'ancre dans la thématique principale de l’œuvre. Le naïf Shinnosuke correspondra plutôt aux idées qu'on abordera dans la partie suivante de ce dossier, mais il n'en n'est pas de même pour Taki, ce camarade de lycée aussi orgueilleux que studieux qui gagnera en humanité, lui qui se vantait d'être le tombeur de ces dames. Un trait qu'on peut aussi associer à l'adolescence, période durant laquelle chacun est à même d'évoluer, et de laisser son caractère piqué de côté pour murir au fil des années. C'est justement tout ce que montrera Taki, mais on vous laisse là aussi le soin de découvrir le pourquoi du comment en détail, via l'expérience de l’œuvre. Évidemment, difficile de cacher que YASUKO joue volontairement de toutes sortes de clichés de la comédie lycéenne romantique, mais elle le fait en développant des idées précises, et en orientant son casting vers un objectif qui sied à son scénario. Un peu dans la même optique que Taki, la sportive Kushida sera aussi décortiquée, mais son réel aboutissement n'aura vraiment lieu que dans une des histoires qui composent le 7e volume de la série.
Une réflexion sur l'avenir et la société
Au-delà de la simple chronique adolescente et lycéenne, la mangaka à chercher à garnir son œuvre d'une réflexion un peu plus poussée, sur des thèmes différents, mais non moins liés au sujet central de cette histoire. Car la vie d'adolescente de Kayo (qui est sur le point de devenir une jeune adulte, notons-le) amène quelques idées qui étendent la vision de la série, qui ne se limite donc pas au simple quotidien amoureux de la demoiselle. L'une des pistes phares est implantée bien rapidement, et il s'agit de la notion d'avenir. Car toute personne qui a passé le cap du collège s'est confronté à une étape assez brutal du cheminement d'un individu : le choix de son orientation, premier pas vers le monde adulte. L'idée est abordée via le parcours de Kayo, associé à son histoire avec Shinnosuke, afin de soulever à la fois l'importance de ces choix, et peut-être même l'erreur de poser ces questionnements si tôt. Car par certains événements clés du tome 5, YASUKOo pose clairement ce point de vue : A psychoter pour leur avenir, les jeunes n'en perdraient-ils pas simplement leur appréciation du moment présent ? Par le destin de Kayo, et sa réflexion dans l'une des séquences finales de la série, le point de vue de la mangaka semble clair, et c'est en se concentrant sur son quotidien actuel que l'héroïne pourra grandir comme il se doit.
Et en poussant plus loin la réflexion, la relation entre la Kayo présente et son homologue du futur représente, ni plus ni moins, l'opposition entre la jeunesse et les adultes. Ces adultes moralisateurs qui cherchent à pousser leurs cadets vers un futur digne, en tenant compte des codes de la société actuelle, mais qui oublie peut-être qu'avant de devenir accomplie, cette jeunesse doit profiter de l'adolescence pour faire ses expériences, et murir à sa manière. Cette idée se voit représentée par les directives nombreuses que donnera la Kayo à venir à la jeune héroïne, jusqu'à ce que des désaccords pointent le bout de leur nez. La discussion finale entre les deux femmes atteste aussi la vision de la mangaka, jusqu'à même enseigner que la jeunesse peut avoir, elle aussi, des choses à apprendre aux adultes qui ont perdu leur simplicité à penser. Au final, l'aventure sentimentale de Kayo sonne comme une longue métaphore sur la jeunesse qui ne devrait pas systématiquement se plier à ce que lui dicte la société. Dans ce sens survient une autre idée, très peu développée mais marquante lorsqu'elle sera proférée : A quoi bon vivre pour l'amour et pour le mariage ? Cette union, forte, semble très ancrée dans la société nippone, encore plus que la notre, aussi cette réflexion de la jeune Kayo sonne presque autant comme un cri de révolte que comme un simple hypothétique choix de vie.
Alors, par toutes ces réflexions, on peut se faire une idée assez claire de SOS Love. Malgré ses airs de simple comédie romantique lycéenne sur très léger fond de SF, la série pousse à réfléchir, et la mangaka a énormément à nous dire. Peut-être n'avait-elle pas eu l'occasion de développer tant de sujet jusqu'ici, ses œuvres antérieures ayant toute oscillé entre un et deux volumes, mais encore faudrait-il pouvoir découvrir ces titres pour en avoir le cœur net (d'une demande sen filigrane à Akata de redonner sa chance à l'autrice... il n'y a qu'un pas). Oui, la série de YASUKO profite de codes très ancrés dans le genre et de personnages pouvant avoir l'air stéréotypés. Mais, non, SOS Love n'est pas une œuvre lisse, et profite d'un véritable fond capable d'interpeller chaque lecteur.
KONNA MIRAI WA KIITENAI!! © 2016 Yasuko / SHOGAKUKAN
