Ringo Yuki - Actualité manga
Dossier manga - Ringo Yuki

Konshoku Melancholic


Au programme de Konshoku Melancholic, une succession d'histoires de longueurs variables, initialement prépubliées par la mangaka en 2011-2012 dans les magazines Junk! Boy et Be x Boy, ou étant des récits originaux exclusifs à ce livre.

Dans cette succession de brefs récits, ce sont sans doute les deux premiers, occupant deux chapitres et prenant la moitié du livre, qui se démarquent le plus.

Le premier récit nous narre le quotidien de Miyashita et Nishimura. L'un est un lycéen renfermé depuis toujours et ne réussissant à exprimer ses émotions qu'en les couchant sur ses dessins, tandis que l'autre, son meilleur ami, est un jeune garçon plus expressif, en plus d'être le meilleur coureur sur piste de l'établissement. Ils sont opposés, et sont pourtant les meilleurs amis du monde. Mais petit à petit, Miyashita a compris qu'il ressent un tout autre type de sentiments pour son ami, et, à défaut d'être capable de le lui avouer par honte et par peur de le voir s'éloigner, évacue ses sentiments en dessinant celui qu'il aime.

La deuxième histoire, elle, narre la liaison compliquée d'un jeune homme ayant une phobie de la saleté, ce qui complique grandement ses relations. A moins qu'il ne parvienne à franchir un cap par amour... Le sujet de ce récit rappelle forcément 10 Count de Rihito Takarai, mais soulignons bien que l'oeuvre de Ringo Yuki est antérieure.





Ces deux histoires, qui sont donc les deux plus longues, véhiculent à elles seules tout ce qui fait la qualité du recueil et qui se confirmera dans les histoires suivantes, même si ces dernières sont plus courtes. A savoir des thématiques très variées, mais aussi et surtout un immense talent chez une artiste déjà douée pour croquer des personnages réussis alors qu'elle était en tout début de carrière. En effet, Ringo Yuki s'applique beaucoup à offrir à ses divers héros un réalisme certain, où pointent quelques traits de caractère spécifiques qui rendent chacun d'eux unique et facilement identifiable. On a vite fait de cerner chacun d'eux, et dès lors l'artiste peut s'appliquer sur ce qui est peut-être sa principale qualité ici : la crédibilité totale des réactions et évolutions de ses personnages. On sent chez la mangaka un réel désir d'aborder avec finesse l'évolution relationnelle des couples qui se forment ou qui essaient de se trouver, quitte pour cela à accorder moins d'importance aux scènes érotiques, qui occupent ici quelques pages tout au plus, et qui qui restent légères/softs.

Et pour porter cela comme il se doit, la narration fait du très bon travail, en ne s'égarant jamais, et en maîtrisant également comme il faut les ellipses et non-dits qui permettent au lecteur/à la lectrice d'imaginer par soi-même comment raccorder les choses. Par exemple, ne serait-ce que dans la première histoire, il se passe un certain temps entre le premier chapitre (au lycée) et le deuxième (à l'université), mais cela ne s'avère pas choquant, tant la mangaka sait conserver des héros cohérents dans leur caractère et dans leurs évolutions.

A cela s'ajoute un dessin déjà agréable pour un début de carrière. Certains personnages peuvent se ressembler un peu trop d'une histoire à l'autre, mais leur caractère permet toujours de bien les différencier. Pour le reste, c'est assez fin, plutôt expressif, empreint d'une certaine douceur.

Pour une première publication en volume broché, Konshoku Melancholic s'avère être une belle réussite, et plaçait alors Ringo Yuki comme une jeune artiste prometteuse, dont le talent explosera totalement avec son oeuvre suivante.


Tamayura


Tout commence par un souvenir douloureux, celui qu'Asakura voit en rêve (ou, plutôt, en cauchemar) concernant Tachibana, ami d'enfance dont il s'est éloigné depuis, mais sans jamais parvenir à vraiment l'oublier.

Quatre ans après les faits, en avril 1922, le jeune garçon débarque à l'internat du lycée Sakuragakunimi afin d'y poursuivre ses études littéraires. Il ne se doute alors aucunement qu'il va retomber, en tant que camarade de classe, sur Tachibana, réveillant ès lors des sentiments douloureux... à moins qu'il ne s'agisse d'un renouveau ?

A la base, l'histoire d'amour de Tamayura est on ne peut plus classique, en dépeignant le retour chez deux amis d'enfance de sentiments autrefois inassouvis, et qui vont à présent devoir non seulement bien comprendre ce qu'ils ressentent l'un pour l'autre, mais aussi faire face aux réalités sociales de leur époque. Mais l'oeuvre, qui s'est classée 2ème meilleur manga triste aux Chil-Chil BL Awards de 2015, peut compter sur toute la finesse et l'application de son autrice.

"Tamayura : Vibration émanant de deux billes lorsqu'elles entrent en contact l'une avec l'autre. Sens dérivé : imperceptible."





Cela se ressent en premier lieu dans le duo de personnages centraux, que l'on prend plaisir à découvrir petit à petit, que ce soit dans leurs émotions ou dans le passé qui a conditionné leur caractère.

Ainsi découvre-t-on en Asakura un jeune garçon très strict envers lui-même. Fils du dirigeant d'une importante société d'import-export dont il est voué à être l'héritier, métisse se souvenant à peine de sa mère, ayant vécu en Europe et ayant dû subir la glaciale épouse légitime de son paternel, il subit une certaine pression autant par son passé familial que par les attentes qui pèsent sur lui, ce qui en a fait un adolescent assez renfermé et droit. Mais nous découvrirons également un garçon qui, pour différentes raisons évoquées au fil des pages, a développé une aversion pour les femmes et un dégoût pour le sexe.

Tachibana, évidemment, est son exact opposé en termes de caractère. Ce garçon rêvant de devenir écrivain est très sociable, plus décomplexé, et plaît aux femmes. Il considère que le comportement humain est régi par les désirs, les sentiments et les connaissances... mais peut-être bien que son caractère à lui aussi a été influencé par certaines facettes du passé.

C'est tout en nous invitant à suivre leur parcours que Ringo Yuki dresse un univers suffisamment crédible de l'époque où elle nous emporte : les dernières années de la très brève ère Taishô, durant laquelle le Japon, partagé entre ses conventions du passé et son ouverture sur l'Occident, reste encore en pleine évolution. Cela se ressent pendant la lecture à travers bon nombre d'éléments : le typique quartier des plaisirs, les vieilles conventions sociales encore en état et mettant à mal la relation des deux héros, les titres de noblesse que la mangaka n'hésite d'ailleurs pas à critiquer en évoquant la façon dont ils servent à ses détenteurs pour se laisser aller à la dépravation, la percée de valeurs capitalistes venues d'Occident via l'investissement de capitaux de la famille Tachibana (élément que Ringo Yuki remet aussi en cause en montrant l'issue catastrophique que ces investissements peuvent avoir), ou même l'étude d'auteurs occidentaux antiques comme Platon... sans oublier le rôle, majeur dans l'intrigue, que tient l'important drame historique que fut le grand séisme du Kantô du 1er septembre 1923.

Enfin, il y a le style impeccable de la mangaka, qui n'a fait que se bonifier et s'enrichir après Konshoku Melancholic. Ses planches, assez riches et denses quand il le faut, s'avèrent très finement encrées et tramées sans surplus, et soulignent bien certains décors, certains costumes ainsi que les émotions des personnages. Emotions qui, par moments, sont vraiment sublimées par des expressions faciales prises sur l'instant. La narration, fluide et posée, accompagne parfaitement les évolutions des personnages et ce qu'ils révèlent d'eux, tandis que la gestion des ellipses est parfaite en ceci qu'elle ne choque jamais et sert le parcours des deux jeunes hommes.

Sur un scénario plutôt classique, Ringo Yuki livre un superbe récit qui confirme alors tout le bien que l'on peut penser d'elle.
  
  


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