Dossier manga - Niddheg
Lecteurs
20/20

Cinq mondes en un univers post-apocalyptique

 
 
Le contexte le plus fourni et développé par les auteurs de Niddheg, c’est notre bonne vieille Terre après la fin du monde. Nous vivions tranquillement de notre quotidien actuel, quand une grande catastrophe a tout rayé de la surface du monde. Même les moutons, oui oui. La technologie fut supprimée, la géographie reformée. Le monde ne fonctionnait plus que sous cinq continents : le Nord, l’Est, l’Ouest, le Sud et le Centre. C’est dans ces cinq morceaux de terre que la majorité des histoires de Niddheg voient le jour. Le monde est reparti de zéro, et les cinq zones géographiques ont toutes connues un développement spécifique et unique, aucune ne se ressemble et il est temps que je vous en dise un peu plus.
     
   
  
  
  
Commençons par l’est, voulez-vous. Ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus passionnant, mais il est nécessaire de passer par là pour comprendre un peu le reste. A l’est se trouve l’Armandie. Dans un fanzine qui ne sera plus réédité mais qui est disponible à la lecture en ligne sur le site du studio, on en apprend plus sur le cataclysme qui a rayé notre monde de la carte. On apprend peu à peu à découvrir Armand, Seigneur des morts un peu sociopathe qui prend sa revanche sur une vie décevante pour se couler dans une mort amusante. Il est un Mort, certains diront vampires. Il a créé son continent à son image : mort, froid, peu hospitalier. Un endroit où on ne s’attend pas vraiment à faire de belles rencontres, alors qu’Armand sait parfaitement cacher ses intentions et peut paraître très sympathique. Ses sujets sont pour la plupart dénués de vie, et doivent se nourrir des vivants pour perdurer dans cet état de faiblesse avancé. Ce continent est étrangement peu visité, et Armand y vit tranquillement, toujours à la recherche de voyages à faire pour délier son ennui et passer ses jours. Il a vécu la fin du monde, et a grandement participé à sa reconstruction (le retour des moutons, c’est lui !). Il intervient dans bon nombre de romans liés à cet univers, un peu comme la carte de grand méchant que l’on dégaine quand tout paraît perdu. Mais sur d’autres aussi (apparitions succinctes un peu partout) ! Il a en effet un pouvoir certain, et des gens de qualité travaillant pour lui et accroissant ce pouvoir. Armand peut faire à peu près ce qu’il veut, en fait. Il vit également à travers l’histoire, puisqu’on le croise dans « Le chevalier noir » en guise d’introduction et de conclusion de chaque tome. Il intervient aussi dans la narration directe des histoires elfiques et du continent du centre, ainsi qu’au nord. Au sud, il prend une place plus importante puisqu’il se déclare lui-même narrateur et nous offre ses réflexions et commentaires tout au long de la lecture. C’est typiquement le personnage grosbill qui permet de tout faire, qui justifie certaines choses de manière tout à fait logique. La parenthèse du « Journal d’Armand » disponible sur le site des auteurs est donc une très bonne halte à faire pour mieux comprendre comment cet univers post-apocalyptique a vu le jour.

Au nord, on se plonge dans « La tombe des guerriers ». Sous forme de bande dessinée, on fait la connaissance de quatre jeunes gens que le destin va chasser de chez eux pour les mener dans un territoire peu commode. Le désespoir les guidera jusqu’à des prises de décisions difficiles au sein du territoire d’Armand. Illustré tantôt par Cahethel tantôt par Fufu, le style s’homogénéise parfaitement. De plus, selon le ton de l’histoire, on remarquera que le trait change et se complexifie. Au début, on apprend à connaitre en Yoru un adolescent turbulent. Même s’il est menacé par la chute de sa famille et sa propre condition, il reste fier et désespérément agité et complexe. Malgré le contexte assez sombre qui l’entoure, il joue la carte de l’humour et les auteurs décident également de s’y plonger, créant un univers rempli de SD pour alléger la narration et la rendre facile, agréable notamment grâce à l’arrivée d’un Haku particulièrement nonchalant. Toutefois, rien n’est aussi simple et plus l’histoire avance, plus l’ombre pèse. Les dessins sont donc moins humoristiques et se penchent sur le tragique des événements. Il n’est pas toujours facile de choisir entre deux avenirs aussi peu reluisants l’un que l’autre, et peser le bien ou le mal dépend surtout de nos envies égoïstes. De ce point de vue, Myraël est un personnage très intéressant puisque guidé par l’avidité de son cœur et des sentiments qu’il refuse de mettre à nu. Yoru quant à lui est partagé entre le passé et le futur, mais une trahison viendra anéantir ses espoirs en le laissant dans le regret, mais surtout l’incertitude de ce qui aurait pu se passer. Peut-on mentir par amour ? Autant de points de développements que le scénario nous offre sans apporter de conclusion claire, laissant les notes en suspens, sans Happy End possible sous les foudres d’Armand. A nous de créer une fin, je suppose, mais surtout d’épancher la frustration que la lecture nous laisse cette fois-ci.
 
 
  
 
 
Le sud ensuite. « La mémoire des vivants » est un roman illustré, présenté de manière originale puisque c’est Armand qui en est le narrateur. Il s’improvise écrivain et nous livre une histoire qu’il peut modifier à loisir. Durant toute la lecture, ces oasis d’humour et de cynisme nous permettent d’avoir un regard différent sur les situations décrites. On ne s’attache pas forcément de la même manière aux héros, puisqu’Armand prend un malin plaisir à les critiquer, à révéler ce à quoi l’on pense parfois, ou pas. Renforçant ou détournant notre vision, ce mode de narration permet d’alléger un récit qui se trouve être assez lourd. De nombreuses choses se passent, mélangeant de plus plusieurs continents. On parle d’elfes, des élementalistes qui ne prennent normalement place que dans les séries dédiées à l’ouest, de malédictions elfiques… Bref, on s’éloigne du sujet et il est assez difficile, au début, de situer l’intérêt du roman. On s’isole ensuite en Armandie, puis dans le centre pour enfin assister à la réelle création de l’empire du sud, qui n’est qu’un vaste désert remplis de pillards et de pirates. L’arrivée de notre héros après un long passage de souffrances va venir justifier l’existence de ce territoire. Ils incarneront de plus une nouvelle race, au nombre de membres assez réduits mais suffisamment puissants pour représenter le continent et participer aux réunions entre les dirigeants de chaque terre. Les chimères sont nées de par la transformation d’un elfe en dragon, et il est appréciable de voir une toute nouvelle histoire s’écrire devant nos yeux. Heureusement d’ailleurs, puisque l’intrigue avait ici un peu de mal à décoller et se cherche longtemps avant de finalement nous offrir des héros absolument imbuvables, un peu comme l’avait suggéré Armand. Pour ma part, je trouve une assez grosse exagération dans la notion de temps. D’accord, les immortels vivent longtemps et peuvent donc parler de « dix années » comme d’une parenthèse dans leur existence. Mais quand on a vent du nombre d’années passées par un héros sans parler pour une broutille, une altercation des plus banales… Difficile à accepter. De même, le côté « sadisme » dans la sexualité est un poil trop présent et répétitif dans le schéma. Si cela nous aide à comprendre qu’ils ne sont plus humains ou elfes, on a du mal à trouver une variation intéressante et un renouvellement suffisant dans la passion des personnages principaux. Toutefois, l’idée et le déroulement sont très appréciables et véritablement innovants dans le décor des œuvres de Niddheg.
 
 
  
 
 
L’ouest à présent. Les débuts de Niddheg avec « Il était une fin », titre déjà accrocheur qui en plus nous offre une série de trois romans illustrés. C’est la plongée dans le monde des elfes, les vastes forêts et les petits oiseaux qui chantent. Mais surtout, SURTOUT, les intrigues politiques, les meurtres en série, le racisme envers les autres races, les incestueuses relations et les dégénérescences que cela implique. Bienvenue chez les elfes. Bon, à part qu’un des héros s’appelle Kévin. KEVIN. KEVIN BORDEL. A part ça, c’est ma première lecture du studio et, par effet de nostalgie, je la chéris particulièrement. On y trouve de la magie, du sexe, du pathos, du drame, de l’action, du doute… Mais surtout, notre héros chéri ne s’attache pas bêtement qu’à une seule personne. Vous allez me dire, les elfes chez Niddheg c’est habituel. Oui mais vraiment, sa vie continue, et elle s’étale grandement dans le temps vu qu’ils sont immortels, ces petites bêtes là. Un petit regret, que la narration ne s’ancre pas davantage dans le contexte historique des autres continents, pour se situer et renforcer les liens créés. Niddheg sait nous tenir en haleine et laisser à ses protagonistes le temps qu’il leur faut pour vivre leurs aventures. Parfois, tout s’accélère et une ellipse temporelle nous amène plus loin, et c’est d’autant plus agréable de jouer ainsi avec le temps. Peut-être y a-t-il un poil trop de personnages secondaires, mais c’est une coutume chez les elfes et les lexiques nous aideront à retenir. Il faut toutefois s’accrocher, et souvent leur donner un petit surnom (lire à chaque fois Altor Revor-Dir parle à Denethor Rath-Dinem de Rillana Arkho’Var, c’est un tantinet complexe, même si j’exagère pour l’exemple). Bref, un univers bien plus fourni et nuancé qu’on ne le pensait en songeant à des efles. Une réelle joute politique, l’épopée d’une vie immortelle. Rien que ça. Et encore, Berylia l’a vendu bien mieux que moi. Sur la même lancée, une courte bande dessinée existe pour revenir sur l’un des personnages rencontrés : « Le Cavalier ». Entièrement conçu par Fufu, c’est un clin d’œil à la série d’origine et à un personnage qui n’aura pas suffisamment été mis en valeur.
 
 
  
 
 
Notons que l’on a également le droit à « La terre de nos pères », un roman unique qui va détailler tour à tour les destins de plusieurs représentants des éminentes familles elfiques. On y découvre les jeux de pouvoir, les aspirations, et surtout différents points de vue que celui évoqué dans « Il était une fin ». Ici, on s’amuse tour à tour avec des relations malsaines, d’autres touchantes, et certaines autres impossibles. Mais surtout, on assiste à la chute du tyran des elfes dont on a déjà parlé dans « Il était une fin », mais aussi dans « La mémoire des vivants » et dont il sera également question dans « La voie de la rédemption ». Bref, un personnage primordial qui prend sans doute cœur au centre des préoccupations de la plupart des romans puisqu’il a été dans les premiers personnages à être couché sur le papier de ces fanzines. L’histoire se suit donc, et ce même si elle prend place dans différents horizons avec plusieurs héros. Encore une fois, les scénaristes nous surprennent avec de temps à autre des modes de narration différents. Cela évite l’ennui et nous séduit tout particulièrement. On a toujours hâte d’en savoir plus sur le couple que l’on quitte, et l’impatience de les retrouver nous frustre dans le bon sens du terme. En peu de mots, c’est un retour bienvenu sur la naissance et les développements de l’empire elfique, du continent qui abrite tant de conflits et de complots. Un excellent tome pour compléter l’univers dépeint dans « Il était une fin ». Pour combler cet univers fait de longues robes et de longues oreilles, deux volumes fins, « Parias » et « Souverains » sont disponibles. Ce sont clairement des recueils de situations fan service entre un elfe et un Vandaar, nouveau peuple dont on n’entend parler presque que dans l’histoire des elfes (exception faire pour « Et délivre nous du mal »). Une ancienne race, oubliée, qui n’a plus que peu de représentants. On revient sur leur existence où on se projette sur la survie du dernier de son peuple, juste pour des scènes de sexe emplies de violence et de brutalité. Une bonne idée qui satisfera les lectrices, et nous emmène droit au but en complétant les lectures plus élaborées à côté. Un bonus non négligeable !
 
 
  
 
 
Enfin, le centre. Dernier continent de cet univers, c’est la terre des humains. « L’étoile du matin » et « La voie de la rédemption » s’y inscrivent. Le premier est un recueil de nouvelles à la lecture plus légère, sur différents couples formés au sein de l’établissement du même nom. Un bordel de luxe que l’on retrouve dans le deuxième roman, premier tome d’une série en cours. C’est un moment agréable, une détente et c’est à quel couple aura le plus notre assentiment. Entre collègues, avec des clients, tous les employés ont une histoire à raconter. De bon cœur, forcés, ils travaillent tous de leur corps et c’est une vision intéressante des différents points de vue possible dans ce genre de travail. On apprécie notamment beaucoup les quelques scènes hétéros et LA scène yuri. Cela nous change très agréablement et c’est là-dessus que se base la réussite du tome, qui aurait été un peu lourd avec des hommes gays à chaque page. Là, on ne s’attend à rien et on découvre une richesse d’émotions et de relations que Berylia et Fufu se font un plaisir d’exploiter. Avec réussite, les sentiments naissent, se font et se délient peu à peu avec une variété impressionnante de situations. Bravo aux auteurs qui auront réussi à faire de l’original avec pour seule ligne directrice des nouvelles dans une maison close. « La voie de la rédemption » est bien différente. Le décor nous fait penser à une Angleterre victorienne dans lequel le mythe de Jack l’Eventreur reprend vie. On court après un tueur en série d’une extrême férocité, laissant au passage se développer les relations conflictuelles entre deux membres d’une même armée qui sont plus différents encore que le jour et la nuit. A quelques années de nous, on a l’impression de plonger dans un passé possible, et il est amusant d’en voir les différences, les courbes que notre propre Histoire n’aura pas empruntée. Ce premier tome est sans doute un des romans les plus durs, les plus secs et impitoyables du studio. Les scènes de meurtres sont décrites avec précision, et le ton est plus sérieux et plus noir que les petites intrigues elfiques dans leur cocon plein d’arbres. Ici, c’est la vraie vie, non mais !
 
 
  
 
 
Créer un univers aussi riche a des avantages et des inconvénients. On s’attache facilement aux personnages et aux lieux, que les auteurs ne laissent jamais filer. Elles n’oublient pas, et font chaque fois des liens entre passé et présent. Le background est formidable, et réutilisable à loisir. On a des réponses à toutes les questions que l’on peut se poser, et surtout on se sent comme initiés aux secrets de ce monde une fois que l’on a pu en lire tous les romans. L’envers de la médaille, c’est la complexité du tout. Si quelque chose bloque cela paralyse la lecture. De la même manière, si l’on déteste vraiment un point en particulier on aura du mal à passer outre puisqu’il sera à jamais répété et réutilisé. Enfin, commencer par un bout ou par l’autre ? Question difficile, et selon moi primordiale. Toute la lecture change selon par où l’on commence. Et on ne peut pas vraiment le savoir à l’avance. Il faut espérer tomber juste. Cette richesse est donc à la fois un atout et une entrave. Tant mieux pour les lecteurs qui apprécieront, et pour les autres il y a fort heureusement d’autres voies à explorer. Allons-y pour la suite !
   
   

© NIDDHEG

Commentaires

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ume

De ume [712 Pts], le 17 Janvier 2014 à 20h18

20/20

Salut!

Coincidence, j'ai justement fini le week-end dernier "Le chevalier noir" que j'ai fermé avec un pincement (toutes les bonnes choses ont un fin)

Cela m'a rappelé les bons moments de lecture que j'ai passé avec "Le chat, le nerdz et le bussinessman" ou encore "l'ombre du dragon".

Merci pour ce dossier complet et j'espère qu'il éveillera la curiosité de ceux qui ne connaissent pas Niddheg.

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