Chapitre 3 : Waka Hirako
My Broken Mariko est une œuvre qui reste en tête, le genre de titre dont on a du mal à se défaire tellement il est marquant. Ce manga dépasse le cadre même du drame pour nous amener sur d’autres terrains. Il nous fascine autant qu’il nous pousse à la réflexion, et c’est d’autant plus une prouesse qu’il s’agit du premier livre de Waka Hirako. Si l’autrice a publié quelques histoires courtes, aussi bien dans le monde amateur que professionnel, My Broken Mariko est en effet son premier titre à être sérialisé, quand bien même il ne compte que quatre chapitres et un court bonus.
Les inspirations de Waka Hirako sont diverses et variées. Elle lit beaucoup, et notamment du shôjo manga qu’elle a découvert à l’adolescence avec Fruits Basket. Une lecture qui lui a donné envie de se plonger dans des œuvres plus anciennes comme celles de Moto Hagio et Yumiko Ôshima. Elle aime également beaucoup les mangas de Takehiko Inoue et particulièrement Vagabond, une série qui l’a énormément émue. Enfin, Waka Hirako est aussi une amatrice de mangas populaires comme les séries de Rumiko Takahashi et la saga One Piece, dont elle a dessiné de nombreux fanarts. À l’instar de grands auteurs de mangas comme Kazuo Kamimura, Katsuhiro Ôtomo, Jirô Taniguchi et Taiyô Matsumoto, elle lit inlassablement des bandes dessinées européennes, de Gipi à Bastien Vivès. Une passion et une curiosité qu’elle partage par exemple avec Miki Yamamoto, une autre grande révélation de ses dernières années, qui a marqué les esprits avec Sunny Sunny Ann. Waka Hirako adore également les comics de Batman, notamment ceux mettant en scène le Joker. Elle a même dessiné des histoires amatrices autour de ce personnage. Ces dernières abordent des sujets comme la folie ou encore l’homosexualité. Aussi bien attirée par Lars von Trier que Hideaki Anno, elle aime les films intimistes ayant une portée sociétale et est attirée par le rapport entre la fin du monde et le for intérieur. En somme, les influences de Waka Hirako sont très diversifiées et témoignent autant de son ouverture d’esprit que de sa curiosité. Son style autant que les thématiques qu’elle aborde résultent d’une parfaite digestion de plusieurs types de récits différents en accord avec ses propres goûts.
Si la curiosité intellectuelle de Waka Hirako se ressent dans My Broken Mariko, ce n’est pas le seul élément qui s’en dégage pour en faire un grand manga. En marge de son talent évident, d’autant plus qu’il s’agit d’un premier livre, l’autrice fait appel dans son récit à son histoire personnelle. Elle met de sa propre personne dans son manga. De cette manière, bien que le déroulé du récit soit mûrement réfléchi tout comme les métaphores et symboles utilisés, Waka Hirako a dessiné My Broken Mariko au rythme où Tomoyo avance. Elle a partagé sa colère et sa tristesse pendant qu’elle dessinait, tout comme son envie d’en découvrir davantage sur les motivations du suicide de Mariko, et donc sur la vie et la personnalité de la défunte. La course en avant du personnage entre donc en résonnance avec celle de l’autrice, qui, comme Tomoyo, s’écarte de son quotidien non pas pour faire le deuil de sa meilleure amie mais bel et bien dans le but de publier sa première série.
En plus de se projeter dans son propre manga, Waka Hirako s’inspire de faits réels vécus par ses proches, ce qui donne une dimension encore plus personnelle au titre. Mariko est un personnage directement inspiré de deux personnes existantes, à savoir la mère de l’autrice et une de ses amies. En ayant grandi avec le témoignage de sa propre mère qui a subi des violences durant son enfance, Waka Hirako a non seulement pu prendre conscience de cette réalité en plus d’avoir pu être aux premières loges pour constater à quel point cela a eu une influence importante sur la propre vie de sa mère et son quotidien. De même, elle a une amie qu’elle connaît depuis la primaire qui a vécu des violences très jeune et cela a eu des incidences sur son parcours encore à l’âge adulte et son rapport aux hommes. Une expérience d’une proche assurément marquante qui résonne dans le regard que porte Tomoyo sur les sévices que connaît Mariko.
À travers son manga, l’autrice dessine donc une vision d’un monde dont elle a été témoin. Elle fait preuve d’un véritable travail d’artiste en se servant de My Broken Mariko comme exutoire tout en portant des messages qui lui tiennent à cœur, quitte à parfois se laisser dépasser par son œuvre et écrire dans la douleur. Mais pour publier un manga aussi abouti et touchant que My Broken Mariko, il paraît évident que Waka Hirako a dû surmonter de nombreuses épreuves dans son processus créatif. L’autrice souhaite d’ailleurs continuer à dessiner des mangas personnels et a pour objectif d’aborder le sujet de la scolarité. Elle qui a très mal vécu son passage à l’école semble avoir bien des idées pour écrire un récit acerbe à ce sujet.
© Waka Hirako 2020 / KADOKAWA CORPORATION
De Missmatsu [1315 Pts], le 15 Avril 2022 à 23h22
Un excellent manga, il m'a fait une très forte impression qui ne m'a jamais complètement quittée, semble-t-il au vu du nombre de fois que j'y pense. Je me souviens m'être sentie comme essoufflée en le lisant, en raison du rythme effréné tout ausis bien que par la puissance des émotions transmises. Très bonne analyse.