My Broken Mariko - Actualité manga
Dossier manga - My Broken Mariko
Lecteurs
20/20

Chapitre 2 : Mariko Ikagawa


Centrale dans le manga jusqu’à lui donner son titre, Mariko est pourtant décédée dès le début de l’histoire. Elle n’apparaît que dans les souvenirs de son amie Tomoyo et c’est de cette manière que l’on comprend au fur et à mesure du récit les raisons de son suicide, tout en laissant une part d’ombre propice à l’imagination. En plus de porter le poids de sa propre existence, la défunte Mariko offre une dimension sociétale à l’œuvre puisqu’à travers ce personnage Waka Hirako parvient à aborder les sujets des violences faites aux femmes et du patriarcat. Depuis son jeune âge, Mariko a effectivement subi les violences de son père, des actes terribles que l’on découvre selon le point de vue de témoin de Tomoyo, puisque la narration nous plonge dans sa mémoire. Mariko a donc été battue et touchée par son père, elle était traitée comme une esclave et a grandi dans la peur. Même une fois adulte, le cycle de la violence a continué, c’était alors au tour de son petit ami de la frapper. Des actes lourds que Mariko prenait avec plus ou moins de légèreté lorsqu’elle en discutait avec Tomoyo.

Victime d’hommes s’en étant attaqués à ses faiblesses, Mariko a fini par se persuader que les violences qu’elle subissait étaient de sa faute, parce qu’elle mettait des jupes, qu’elle n’écoutait pas toujours ce qu’on lui demandait ou alors que ses actes déplaisaient. Elle a fini par croire que le problème venait d’elle, de sa propre existence, qu’elle était cassée. Alors qu’il est évident que le souci vient des hommes qui l’ont maltraitée au cours de sa vie. Mais pour Mariko, il est plus facile de penser que quelque chose clochait en elle, car accepter que la violence qu’elle a subie était injustifiée aurait été une épreuve bien trop insurmontable pour elle. La violence des hommes poursuit Tomoyo jusque dans le présent, lorsqu’elle tombe sur un motard voleur et pervers qui s’en prend à une jeune fille réclamant de l’aide. Tomoyo y voit le spectre de son amie Mariko qu’elle n’a pas pu secourir jusqu’au bout et lui vient en aide impulsivement. Acte hautement symbolique, elle éclate l’urne funéraire sur le casque du motard, libérant ainsi les cendres de Mariko dans les airs, et surtout Mariko elle-même, son urne funéraire ayant évité à une jeune fille de connaître le même sort qu’elle.





Insaisissable Mariko, loin de la figure angélique qui apparaît dans les premiers souvenirs de Tomoyo, elle se découvre de plus en plus brisée au fil du récit. Sa coquille de jeune fille battue innocente se casse et elle dévoile une personnalité allant au-delà de son statut de victime, quand bien même elle reste façonnée par la violence qu’elle a vécue. En cela, Mariko est un personnage passionnant car elle a de multiples facettes complexes. Alors que l’on commence à la plaindre, elle se montre sous différents angles au fil des souvenirs de Tomoyo, elle est tantôt menaçante envers son amie, tantôt masochiste. Elle prend du plaisir à ce que Tomoyo l’engueule car le fait même que sa copine s’énerve signifie qu’elle tient à elle et lui fait du bien. Pire encore, elle exige que Tomoyo ne sorte pas avec un garçon et ne l’abandonne pas, sous peine de se suicider.

Des paroles assurément toxiques, prenant à revers l’idée selon laquelle Mariko a mis fin à ses jours à cause des ignominies commises par son père et que son éloignement avec Tomoyo pourrait en être la cause. En fin de compte, on prend conscience que son suicide n’est pas un acte venu de nulle part, cette envie d’en finir a toujours été présente dans la vie de Mariko. Quant à Tomoyo, bien qu’elle ne puisse l’imaginer avant qu’il se produise, avait les pulsions de mort de son amie sous les yeux depuis le début. Elle a entendu Mariko vouloir en finir, elle a vu son amie s’ouvrir les veines, elle a été témoin de son désespoir. C’est là que Waka Hirako réussi un tour de force dans sa narration, car le lecteur découvre peu à peu Mariko à travers les souvenirs de Tomoyo et sa perception du récit change en fonction de ces derniers. Mais pourtant, ces souvenirs dépeignent des choses qui se sont produites avant même le début de l’histoire. Tout était en place dès la première page du manga, quand Tomoyo a appris le décès de sa copine. Seulement le lecteur n’en avait pas conscience à ce moment, et les souvenirs désordonnés cassent la linéarité du récit. Plus Tomoyo pense à Mariko et plus elle se remémore des instants douloureux, changeant ainsi le regard du lecteur sur les personnages et leur relation.





Si la mort est centrale lorsque l’on aborde Mariko, le sujet de sa relation avec Tomoyo l’est tout autant. Les deux filles sont présentées comme amies, et même les meilleures amies. Mais là aussi, c’est une relation qui se module en fonction des souvenirs qu’a Tomoyo de son amie. Et quand bien même Mariko est décédée, leur relation ne cesse d’évoluer tout au long du récit. Tour à tour, les deux filles passent d’une relation mère fille à amoureuses, changeant ainsi constamment la perception du lecteur sur le manga. Pour Mariko, Tomoyo est la mère qu’elle n’a plus, la sienne s’étant enfuie de la maison alors qu’elle n’était qu’une enfant à cause des violences de son père. Actes cruels qu’il a d’ailleurs reportés sur sa propre fille. Et Tomoyo accepte volontiers d’endosser ce rôle, même sans forcément sans rendre compte comme en témoigne le voyage en bus dans lequel elle s’endort en serrant dans ses bras l’urne funéraire de Mariko comme si elle tenait un enfant. Waka Hirako appuie cette métaphore en représentant une jeune Mariko dans les bras de la Tomoyo adulte de la temporalité du récit. Et quand Mariko ne voit pas son amie comme une mère, elle la voit comme une amante. Cela se constate dans ses mots doux mais aussi des paroles plus fortes empreintes de jalousie et de possessivité. La relation entre les deux filles est donc troublante, si bien qu’on a du mal à la définir et qu’elle fait changer notre regard sur le récit à plusieurs reprises. Néanmoins, quoi qu’elles soient l’une pour l’autre, Tomoyo et Mariko sont des âmes sœurs, elles se complètent et ont besoin l’une de l’autre. C’est sans doute là que se trouve l’essence de leur relation, permettant de mieux comprendre le lien qui les unit.

Décidément troublante, cette Mariko qui se dévoile à travers la mémoire de Tomoyo ne cesse d’intriguer. Non seulement elle lie les aspects intimes et sociétaux du récit, mais en plus elle lui apporte une aura mystique faisant que même le manga refermé, on continue à se poser des questions à son sujet. Cela est le produit du fait que l’on découvre peu à peu sa véritable personnalité, de l’ambiguïté de sa relation avec Tomoyo mais aussi du voile de mystère invitant à la réflexion qui pèse sur ses motivations. Une intimité que l’on retrouve jusqu’à la fin du manga, lorsque Tomoyo découvre la lettre de Mariko et la lit sans la dévoiler aux lecteurs.



© Waka Hirako 2020 / KADOKAWA CORPORATION

Commentaires

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Missmatsu

De Missmatsu [1315 Pts], le 15 Avril 2022 à 23h22

20/20

Un excellent manga, il m'a fait une très forte impression qui ne m'a jamais complètement quittée, semble-t-il au vu du nombre de fois que j'y pense. Je me souviens m'être sentie comme essoufflée en le lisant, en raison du rythme effréné tout ausis bien que par la puissance des émotions transmises. Très bonne analyse. 

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