My Broken Mariko - Actualité manga
Dossier manga - My Broken Mariko
Lecteurs
20/20

Chapitre 1 : Tomoyo Shiino


C’est en mangeant un plat de ramen lors de sa pause déjeuner que Tomoyo apprend à la télé d’un restaurant le suicide d’une jeune femme de 26 ans. Surprise pour le moins désagréable, il se trouve que cette personne n’est autre que Mariko, sa meilleure amie. Après le choc, l’incompréhension demeure : comment Mariko a-t-elle pu mettre fin à ses jours alors qu’elle semblait aller bien la semaine précédente ? En se posant des questions, Tomoyo en vient à se rappeler que le père de Mariko l’a toujours battue et a abusé d’elle dans sa jeunesse. Afin de garder un souvenir de sa précieuse amie, elle décide donc d’aller voler l’urne funéraire à cet homme qu’elle hait. C’est ainsi que sur un coup de tête, Tomoyo se lance le défi de dérober les cendres de Mariko et débute un road trip. Une course poursuite haletante contre le deuil, qu’elle fait au cours de son voyage, dans lequel elle avance au rythme des souvenirs de son amie.





La première scène du manga en donne le ton, on y voit Tomoyo avec ses nouilles dégoulinant de sa bouche, les yeux écarquillés. Elle est figée, comme si le temps s’était arrêté, lorsqu’elle apprend aux infos le décès de son amie. L’autrice nous fait dès lors comprendre que son manga sera sale, dans l’exagération, quitte à être grotesque. C’est quelque chose que l’on retrouve très vite, notamment quand Tomoyo se rend chez le père de Mariko afin de lui voler les cendres. Elle se met à hurler et pleurer. Elle est couverte de larmes, de bave, de morve et même de transpiration. Dans sa fuite précipitée, elle tombe dans la boue, se roule dedans pieds nus. C’est à la fois sale et précipité mais aussi tellement humain qu’on parvient à se mettre dans la peau de cette jeune femme en colère qui a perdu sa meilleure amie. Entre ses vieilles chaussures qui puent le renfermé et l’odeur de tabac qu’elle fume sans arrêt, il se dégage quelque chose de spécial de Tomoyo lors de son voyage, surtout qu’elle est tiraillée par la faim et la fatigue, n’a pas de quoi se doucher ou se changer. Mais qu’importe, la jeune femme est bousillée, c’est une parenthèse violente dans sa vie avant qu’elle ne retourne à son quotidien, et c’est cela que Waka Hirako veut nous faire comprendre en dessinant une protagoniste qui court sans cesse en semblant pourtant à bout de souffle. L’autrice se sert des codes et du langage propres à la bande dessinée pour exagérer l’état de sa protagoniste et la rendre humaine malgré l’hystérie apparente provoquant son road trip improvisé. Cela crée aussi un décalage avec Mariko car les cris de Tomoyo, les fluides qui coulent de son visage, l’odeur de la fumée ou encore la sensation de la terre sous les pieds la rendent vivante là où son amie apparaît insaisissable dans des souvenirs afin de mieux rappeler qu’elle n’est plus de ce monde.

Justement, Tomoyo est humaine, c’est un point fondamental du manga et c’est pour cela qu’il parvient à être à ce point touchant et qu’il arrive à sonner juste. Avec ce road trip loufoque, sans presque aucun but véritable si ce n’est envoyer les cendres de son amie à la mer à cause d’un succinct souvenir qu’elle a eu de leur adolescence et de leur envie d’y voyager ensemble, Waka Hirako raconte le deuil de Tomoyo. Celui-ci passe d’abord par la stupéfaction et l’incompréhension. Elle laisse s’écouler une journée, essayant même de téléphoner à Mariko, croyant que son décès n’est pas réel. Et après sa phase du déni, l’envie lui prend de faire quelque chose pour honorer la mémoire de sa copine. C’est ainsi que débute la deuxième phase du deuil pour Tomoyo : la colère. Elle se souvient de tout ce que le père de Mariko lui a fait subir, il l’a battue, l’a violée. Et elle rejette toute sa haine sur lui, ainsi que toute la responsabilité du décès de sa fille. Elle va lui rendre visite en s’armant d’ailleurs d’un couteau, symbole de toute la violence qu’elle éprouve pour cet être ignoble, et lui vole les cendres de Mariko qu’il ne mérite de toute façon pas.





La thématique du deuil ne s’arrête pas à la phase de la colère puisque Tomoyo fuit la réalité, mais elle le fait littéralement en s’embarquant dans un road trip improvisé jusqu’à la mer. Une course en avant durant laquelle elle se remémore des souvenirs de son amie, et dialogue ainsi avec elle. Mais plus le temps passe et plus les moments douloureux reviennent, donnant une autre perspective au manga. Qu’importe pour Tomoyo, ce qui compte le plus pour elle est de se souvenir de son amie, et elle a peur que le temps avançant, sa mémoire ne s’étiole. Durant sa course poursuite effrénée avec le spectre de Mariko, la jeune femme passe par divers états, elle navigue entre la douleur et la colère, tout en ayant un comportement irréfléchi, presque irrationnel. Elle perd le sens d’une réalité qu’elle ne veut pas accepter et fini même par en vouloir à Mariko d’être partie sans elle. On entre de cette manière dans une nouvelle phase du deuil, celui de la destruction. Voyageant le ventre vide, dans la saleté, manquant de sommeil, il est aisé de sentir que Tomoyo n’agit pas pour son bien lors de ce road trip, surtout avec son tempérament fort, hors des canons de ce que l’on attend d’une femme dans la société japonaise, avec lequel elle laisse des traces de son passage comme une tornade. Mais c’est vraiment lorsqu’elle déclare aux cendres de Mariko qu’elle va mettre elle aussi fin à ses jours, et que son amie, quand bien même elle est décédée, ne pourra rien faire sinon assister impuissante à la tragédie, que le seuil de la destruction atteint son paroxysme.

Si par un concours de circonstances Tomoyo ne passe pas à l’acte, elle en ressort cependant blessée, et rentre chez elle avec des béquilles. Une blessure évidemment symbolique, laissant entrevoir que le deuil de Mariko va laisser des traces et la faire souffrir encore. Mais ce qui est le plus important, c’est qu’elle doit reprendre son quotidien avec cette blessure, le deuil n’aura été qu’une parenthèse l’éloignant de sa propre réalité. Et le manga de Waka Hirako, par le biais du road trip, raconte cette fuite du quotidien.



© Waka Hirako 2020 / KADOKAWA CORPORATION

Commentaires

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Missmatsu

De Missmatsu [1315 Pts], le 15 Avril 2022 à 23h22

20/20

Un excellent manga, il m'a fait une très forte impression qui ne m'a jamais complètement quittée, semble-t-il au vu du nombre de fois que j'y pense. Je me souviens m'être sentie comme essoufflée en le lisant, en raison du rythme effréné tout ausis bien que par la puissance des émotions transmises. Très bonne analyse. 

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