Moi aussi - Actualité manga
Dossier manga - Moi aussi

Un témoignage rude, mais nécessaire


Le témoignage effectué dans Moi aussi est donc aussi réaliste que rude, mais il apparaît nécessaire.

Certains hommes pourraient prendre conscience de pas mal de choses à la lecture de cette série, et du mal qui peut rester ancré chez les femmes à cause de leur éventuel comportement déplacé.

Les femmes n'ayant jamais connu tout ceci pourront toutefois être alertées sur des comportements à surveiller comme ceux de Dôbayashi, et pourront trouver certains conseils comme garder des preuves.

Et les femmes ayant vécu la même chose trouveront sûrement la lecture difficile à vivre, mais elles pourront s'identifier sûrement, pour mieux entrevoir des solutions dans la suite du récit.

Car des solutions, peut-être y en a-t-il, effectivement, et c'est ce vers quoi la suite de la série va nous diriger. Tout d'abord, dans la volonté de Satsuki de ne pas flancher, de ne pas céder, de tenir bon, même si ça la fera profondément souffrir pendant longtemps dans un premier temps. Puis par sa découverte d'aides alternatives: les associations d'aide aux femmes, ça existe, et ça peut être salvateur pour petit à petit se reconstruire (même si ça peut prendre du temps, sans doute est-ce pour ça que dans la réalité nombre de plaintes/témoignages semblent arriver longtemps après les faits), grâce à des personnes montrant de la bienveillance, de la patience, de l'écoute, de la sincérité... soit un peu tout ce qui manque au monde actuel dans nombre de domaines. Et puis, il y a le fait d'oser, au bout du compte, porter plainte et briser la loi du silence dans une société qui étouffe beaucoup trop ce genre de cas, même si la parole s'est plus libérée ces dernières années.





Le long combat pour la justice


Dans la suite de Moi aussi et plus spécifiquement dans le tome 2, c'est alors l'heure de la "rébellion" et de la recherche de justice pour une femme qui, même si elle a toujours besoin de se reconstruire, décidera de ne rien lâcher au fil d'un véritable et courageux parcours du combattant.

Suite au harcèlement sexuel qu'elle a subi, Satsuki souffre encore de forts traumatismes. Elle a bien sûr quitté son travail en pensant qu'elle pourrait se refaire ailleurs, mais rien n'a été si simple: incapable de reprendre une vie et un travail normaux tant la peur (notamment du contact masculin) reste présente en elle, elle a même envisagé le suicide... mais a finalement trouvé un réconfort dans une association d'aide aux femmes où elle s'investit beaucoup, que se soit pour accueillir et aider d'autres victimes femmes comme enfants, ou pour elle-même se ressourcer, petit à petit. Ainsi, elle a quitté la maison de sa mère, à qui elle préfère d'abord cacher la vérité pour ne pas lui procurer du souci, et s'est installée à l'association afin de repartir de l'avant et devenir plus forte... au point, bientôt, de prendre une importante décision sous l'impulsion de celles qui la soutiennent: demander une reconnaissance de son harcèlement sexuel en tant qu'accident du travail, chose qui semblait pratiquement impossible en 2007, année des faits. Mais à force de se battre malgré le coté très éprouvant et intrusif des démarches, notre héroïne finira peut-être bien par provoquer l'incroyable, en fissurant la société trop bien ancré dans ses valeurs patriarcales pour mieux faire reconnaître les droits des femmes.

Après une première partie de série qui nous faisait surtout suivre avec une force et une précision déstabilisantes la manière dont Satsuki était emprisonnée dans le harcèlement de Dôbayashi, dans la deuxième moitié de la série l'heure est donc surtout venue pour la jeune femme de lancer en quelque sorte sa contre-attaque... mais forcément, absolument rien ne sera facile, et il sera même assez effrayant de voir que toutes ses démarches auront mis des années pour aboutir à un résultat important.

Dès les premières demandes de Satsuki, Reiko Momochi frappe fort en présentant les réactions des dirigeants de l'entreprise (tous des hommes, bien sûr) qui prennent ça comme une blague, tandis que Dôbayashi repasse déjà à l'offensive pour essayer de briser de plus belle notre héroïne. Ainsi n'hésitera-t-il pas à venir menacer Satsuki de la poursuivre pour diffamation, à engager un détective pour essayer de la piéger... ce qui demandera forcément un grand courage à la jeune femme pour aller au bout de ses démarches.

Car du courage, il lui en faudra assurément, ne serait-ce que pour oser faire de nouvelles démarches toujours plus fortes dès que l'une d'elles est un échec, quitte à devoir s'impliquer là-dedans pendant des années au vu de la rigidité et de la vieillesse du système, de la société.





Cette société, peut-être plus encore que Dôbayashi lui-même, sera à bien des égards le principal adversaire de Satsuki. Les nombreuses démarches s'avèrent éprouvantes, mais chacune d'elles permet à Reiko Momochi, en se basant toujours sur le témoignage véridique de Kaori Sato, de décortiquer tout ce qui ne va pas dans ce genre de cas.

Quand Dôbayashi réapparaît, les traumas de la jeune femme réapparaissent forcément, et elle se sent même coupable du resurgissement des peurs des enfants accueillis par l'association. Quand il faut prouver que les troubles psychiques découlent bien du harcèlement, il est assez ahurissant de voir à quel point l'enquête peut être intrusive en empiétant sur la vie privée et intime (au point que Satsuki a peur qu'on essaie de rejeter la faute de son trouble sur ses parents). Les mails sont fouillés, l'audition de notre héroïne ressemble largement plus à un interrogatoire où on essaie limite de la culpabiliser (ce qui était le cas en 2007, les auditions étant devenues différentes dans leur déroulement depuis cette époque). Au moment du procès, voici qu'elle doit décrire les gestes obscènes que Dôbayashi lui a infligées, ce qui est forcément très rude. Quand elle fait le choix d'aller vraiment au bout en rendant l'affaire publique et en attaquant l'Etat, cela signifie aussi recevoir autant de soutiens que d'injures de la part de la population...

Et ce que l'on apprécie également beaucoup, c'est la façon dont la mangaka ne loupe aucune occasion pour approfondir encore le sujet sous d'autres aspects. Momochi évoque très bien le fait que les victimes se sentent souvent responsables de ce qui leur arrive, ce qui représente forcément un fardeau supplémentaire sur elles en plus de l'agression. De même, on appréhende très bien les conséquences du drame de Fukushima sur des victimes qui ont vu leurs traumatismes se réveiller, montrant que toute agression sexuelle est profonde et indélébile. Et puis, il y a ce témoignage d'une soeur et de son frère, montrant qu'un harcèlement peut littéralement briser nombre de vies, et pas uniquement celle de la victime (ce qui en fait déjà une de trop).

Tout simplement, l'autrice expose vraiment bien tout, des plus profonds tourments intérieurs de l'héroïne jusqu'aux nombreuses étapes et épreuves pour sortir gagnante, en passant par nombre d'à-côtés.





Le style de Reiko Momochi


Enfin, un mot sur le style de Reiko Momochi.

La mangaka garde encore et toujours un trait parfois un peu inégal dans les visages ou les mouvements, mais est-ce vraiment le plus important dans ses oeuvres ? Elle a surtout développé une narration franche, directe et efficace qui tape très souvent où il faut, ainsi que des expressions faciales marquées qui véhiculent avec impact les choses.

Moi aussi est ainsi une série qui se veut portée par un ton plutôt sans concession où la mangaka, par moments, exagère même volontairement le trait (surtout certains visages très patibulaires de Dôbayashi) pour mieux marquer les esprits.
  
  


© Reiko Momochi / Kodansha Ltd.

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