Moi aussi - Actualité manga
Dossier manga - Moi aussi

Une histoire vraie


Pour commencer, signalons tout de suite que Moi aussi se rapproche quelque peu de Daisy - Lycéennes à Fukushima dans son schéma, dans la mesure où, tout comme dans Daisy, Reiko Momochi s'est appuyée sur des témoignages de personnes réelles, et plus précisément sur une histoire vraie, celle de Kaori Sato.

Devenue politicienne aujourd'hui, cette femme fut effectivement victime du même type de harcèlement que l'héroïne Satsuki dans les années 2000, et a été une précieuse source de renseignements pour la mangaka.

Et forcément, cette part de "vrai" se ressent beaucoup à la lecture, tant Momochi peut s'appuyer dessus pour décortiquer nombre de choses.





La prédation masculine en évidence


L'oeuvre permet en premier lieu de mettre en lumière tout un processus, terrible mais malheureusement réel, de harcèlement masculin, tout d'abord au travers d'un Dôbayashi qui, bien que marié et père de famille, est une incarnation du pervers narcissique ne supportant pas que la "faible" femme lui résiste.

Reiko Momochi aborde efficacement les techniques de ce récidiviste notoire pour tenter de placer sous son joug notre héroïne: recommandations afin de lui faire grimper un échelon dans l'entreprise pour mieux lui "demander des comptes" derrière, invitations à "partir en voyage", tentative de la soûler en soirée pour la faire céder à l'aide d'un cocktail très alcoolisé (le fameux "long island ice tea" ou "lady killer", tout est dit)...

Puis, à partir du moment où Satsuki a refusé clairement ses avances, il y a tout un travail de sape où l'odieux bonhomme profite de sa supériorité hiérarchique. Le harcèlement sexuel se transforme en harcèlement moral, avec abus de pouvoir, menaces (y compris envers Miho qui essaie de soutenir son amie mais ne peut rien faire sans risquer elle-même d'être en danger), chantage, humiliation, isolation en la faisant passer pour une incompétente... le tout étant fait pour provoquer les erreurs affectives ou professionnelles de Satsuki.

Dôbayashi apparaît odieux, le plus inquiétant étant qu'on n'a même pas l'impression que la mangaka exagère les traits.





Un portrait critique de l'entreprise


Mais au-delà de ça, c'est également un éclairage critique sur le milieu de l'entreprise que la mangaka met en exergue, en allant même jusqu'à expliquer le contexte de l'époque des années 2000.

A cette époque, le monde du travail connaissait effectivement au Japon un "âge de glace de l'emploi", à cause de la crise financière et de l'éclatement de la bulle internet. Du coup, il y avait forcément une complexité de changer de travail tant celui-ci se réduisait, et la position de faiblesse du statut d'intérimaire faisait que beaucoup de femmes en intérim ont été victimes de harcèlement sexuel.

Mais Reiko Momochi ne s'arrête pas là, entre le directeur Ikari qui ne peut pas se mouiller sans preuves du harcèlement subi par Satsuki, le syndicat ne prenant aucun risque alors qu'il est censé protéger les employés, ou, pire encore, la manière dont le patron de l'agence d'intérim ne défend aucunement notre héroïne et, tout dans son optique de préserver la réputation de son agence, lui reproche même de ne pas céder aux avances de Dôbayashi et menace de la virer si elle cause des problèmes.

On apprendra également certaines autres choses sur les pratiques de l'époque: offrir un cadeau de prix à une subordonnée est considéré aujourd'hui comme du harcèlement sexuel, mais il y a tout compte fait quelques années seulement ce n'était pas encore le cas, et c'était même monnaie courante.

Et puis, il y a les nombreuses limites de la recherche de justice de la jeune femme: elle n'a pas subi de préjudice financier important, n'a pas été blessée physiquement ni été violée, donc personne ne semble la prendre vraiment au sérieux.





Des conséquences psychologiques terribles


En somme, Satsuki subit de plein fouet la loi de l'entreprise, une loi où les femmes employées semblent n'avoir aucun recours, aucune échappatoire autre que serrer les dents ou démissionner. Et forcément, cela laisse de nombreuses traces.

Boulimie, mal-être, peur des hommes (et plus particulièrement de ceux en costume comme Dôbayashi), corps qui a envie de mourir, médecin, psy, médicaments, manque de sommeil... ainsi que des interrogations de notre héroïne. Que vaut-elle aux yeux de ces hommes et de ce monde de l'entreprise ?

Il y a tout de même quelques "lueurs d'espoir" pendant toute cette étape éprouvante de la série : Reiko Momochi évoque l'importance de conserver des preuves (ne serait-ce que des mails) du harcèlement (chose que malheureusement Satsuki n'a pas pu faire, par effroi), elle montre également via le jeune Yamato que les qualités professionnelles peuvent toujours être reconnues, mais ce qui marque avant tout se trouve bien dans le décorticage des procédés du harceleur et dans les traumatismes restant profondément ancrés en la femme harcelée.
  
  


© Reiko Momochi / Kodansha Ltd.

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