Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 18 Août 2025
Bien qu'essentiellement riche de mangas softs, la collection Yuri des éditions Meian sait quand même varier les plaisirs de temps à autre avec des séries un peu plus explicites et érotiques, à l'image d'Asumi découvre les escorts girls depuis l'année dernière et, depuis le mois de mars dernier, de l'oeuvre qui nous intéresse dans ces lignes: Un visage à ne pas montrer, manga qui s'oriente vers quelque chose d'un peu plus chaud, si bien qu'une mention "pour public averti" n'aurait pas forcément été de trop sur la jaquette (et cela, même si les illustrations de la jaquette en question donnent déjà une bonne idée du contenu).
De son nom original "Utsushicha Dame na Kao" (dont le titre français est une traduction totalement fidèle), ce manga compte trois volumes au Japon à l'heure où ces lignes sont écrites, et est prépublié là-bas depuis 2023 dans les pages du plus célèbre magazine yuri: le Comic Yurihime des éditions Ichijinsha. Il s'agit de la toute première publication française de Flowerchild, une mangaka spécialisée dans le yuri depuis plusieurs années et dont les oeuvres sont généralement assez érotiques.
Cette histoire nous immisce auprès de Misa. Au coeur du monde de la nuit, au sein de la gigantesque capitale japonaise, cette femme élancée, belle et charismatique a su s'imposer comme la numéro 1 du bar à hôtesses où elle travaille, quand bien même elle semble surtout dégoûtée par ce monde où les hommes n'hésitent pas à étaler leur argent pour essayer de la mettre dans leur lit, derrière leurs belles paroles. Notre héroïne a toujours fui les after, ces soirées où les hôtesses poursuivent l'aventure avec leur client en privé, et c'est bien ce qui a forgé sont statut de numéro 1 puisque les idiots qui se l'arrachent se sont lancés dans une sorte de pari silencieux pour savoir lequel d'entre eux arrivera à la mettre dans son lit le premier. Face à tout ça, Misa a bel et bien de quoi être blasée, d'autant plus que tout ce petit monde n'a aucune idée de ses véritables penchants. Homosexuelle, pas romantique pour un sou, et encline aux coups d'un soir avec les femmes qui lui plaisent, elle fréquente régulièrement le bar Carmine, un bar lesbien situé dans le quartier de Nichôme (le quartier LGBTQIA+ de Tôkyô, situé dans l'arrondissement de Shinjuku), où les clientes et le staff sont toutes des femmes, et où rien n'est tabou.
Tel est le quotidien de Misa, et ce quotidien aurait pu rester ainsi si le destin ne replaçait pas sur sa route une "vieille" connaissance. Quand un tournage a lieu dans le quartier, elle reconnaît en Yo l'actrice principale, une certaine Ai, jeune femme qu'elle a rencontrée il y a un an au Carmine, qui était alors aussi curieuse que timide et mal à l'aise face à un univers dont elle ne connaissait strictement rien, et dont elle a un peu profité au bout d'une soirée arrosée. Quand, après le tournage, la fameuse Yo lui court après pour l'aborder, Misa s'attend déjà à devoir rendre des comptes, mais la raison pour laquelle la starlette l'a recherchée pendant de longs mois est bien différente: elle a ressenti quelque chose d'inédit pour elle lors de cette fameuse soirée, c'était loin d'être désagréable... si bien que, quitte, à jouer un peu les stalkeuses au départ, Yo va désormais avoir à coeur de se rapprocher de Misa, pour continuer de découvrir de nouveaux plaisirs avec elle, jusqu'à comprendre les penchants quelque peu masochistes qui s'éveillent en elle.
Derrière une situation de départ qui pourra clairement ne pas être du goût de tout le monde (parce que concrètement, lors de la soirée d'il y a un an, il reste que Misa a plutôt abusé de Yo), Flowerchild, dans une tonalité toujours assez chaude car la tension sexuelle est assez souvent présente, développe un récit prometteur dans son genre.
Premièrement, par ce que son dessin s'adapte efficacement à son histoire. Les décors retranscrivant le cadre de la vie nocturne bouillonnante de Tôkyô sont assez convaincants, les quelques notes d'érotisme se veulent assez bien équilibrées en allant plus loin par petites touches, et les designs et allures des deux héroïnes sont bien pensés dans leurs contrastes. Ainsi, la différence entre le physique innocent, mignon, presque pur d'Io et ses désirs véritables teintés de masochisme est intéressante, et fait ressortir de plus belle l'allure plus grande, plus élancée, plus mûre et plus sûre d'elle de Misa. C'est alors avec intérêt que l'on observera les instants où, entre les mains expertes de Misa, la "prude" Io laisse entrevoir des expressions plus désinhibées.
Ces contrastes visuels semblent alors servir également fort bien ce qui est la deuxième force de ce début de série, à savoir ce que les deux héroïnes cachent en elles derrière les apparences, une chose que le titre de la série transmet bien lui aussi. Entre une Misa hôtesse et une Yo actrice/starlette du moment, on a deux jeunes femmes devant bien souvent composer avec l'hypocrisie de leur travail respectif où quasiment tout est dans les apparences. Alors, elles ont beau se masquer et ne pas montrer en public leur autre (leur vrai) visage, le fait est qu'elles ne sont peut-être jamais autant elles-mêmes que quand elles se laissent aller à leurs petits plaisirs.
Enfin, il y a naturellement de quoi se demande comment la relation entre ces deux femmes tournera sur la longueur. Même une femme comme Misa, qui n'a jamais été romantique et n'a jamais eu de penchants SM, se retrouve de plus en plus troublée et excitée par cette craquante ingénue qui ne demande qu'à découvrir ce qu'elle aime réellement, même s'il s'agit de plaisirs souvent jugés tabous.
Dans l'ensemble, il y a alors de quoi rester intrigué par cette lecture qui, dans un registre un peu plus explicite et chaud que la majorité des titres de la collection Yuri de Meian, ne manque pas de thématiques intéressantes dans leur genre. Qui plus est, l'édition française proposée ici est tout à fait convaincante avec une jaquette fidèle à l'originale japonaise, la présence de quatre premières pages en couleurs sur papier glacé, un papier plutôt épais et assez peu transparent, une impression correcte malgré certains moirages, un lettrage propre, et une traduction plutôt bien dans le ton de la part de Caroline Alexandre.