Le monde du travail, ce monde impitoyable... - Actualité manga
Dossier manga - Le monde du travail, ce monde impitoyable...

Quand il n’y en a plus, il y en a encore...


Oui, c'est vrai qu'il est dur de se trouver un emploi, mais une fois qu'on l'a, tout roule, n'est ce pas ? À qui allez-vous faire croire ça ? Car c'est Le problème des métiers « passion ».

Alors ici, on va aborder un petit problème qui concerne pas mal de gens, mais qui au final est assez souvent minimisé. Cela concerne les « métiers passions ». Ces métiers, souvent artistiques mais qui peuvent toucher pas mal d'autres branches (le social, le juridique...), sont rangés dans cette catégorie de métiers qui ont été totalement choisis par la personne, qui éprouve du plaisir à faire ce qu'elle fait. Dans la plupart des cas, ce sont des métiers idéalisés par les gens, du coup ceux-ci vont s'attendre à ce que la personne ne se plaigne jamais, et qu'elle produise quasi sans discontinuer. Et c'est là tout le problème : la différence entre la réalité du métier et l'image qu'il renvoie. On retrouve souvent ce parallèle dans les mangas, quand les mangakas vont émettre quelques critiques sur certains aspects du métier ou tout simplement vouloir le montrer dénué de toute magie, comme le fait Inio Asano dans Errance. Et je parle des mangakas mais cela concerne de nombreux autres corps de métiers ! Combien de youtubeurs ont souffert de burn out après avoir couru après l'audience, après avoir subi du bashing de leur audience, sous prétexte qu'il ne devrait pas se plaindre ? Combien d'équipes de production de jeux vidéo ont dû travailler des heures incommensurables, sous une pression d'enfer, pour pouvoir sortir un jeu dans les temps ? Combien de petits créateurs se sont vu pourrir car ils ne sortaient pas leur chapitre à temps ? Et l'on n'effleure ici que la face cachée de l'iceberg.





Pour en revenir aux mangakas... Je pense que la plupart d'entre vous savent comment un manga se crée. Vous aurez lu/vu Bakuman, Hitman aussi plus récemment. Vous aurez vu la dernière saison de Terrace House avec le splendide Peppe, le mangaka italien qui est venu tenter sa chance au Japon, ou bien vous aurez lu le webtoon Oh ! Mon assistant sur Delitoon. Vous avez une semaine/un mois pour créer un chapitre. Seul ou avec une armada d'assistants pour vous épauler. L'éditeur est là pour tout chapeauter, vous guider. Et du coup, vous vivrez quasiment exclusivement dans votre studio. Votre emploi du temps sera tellement serré que vous aurez du mal à consacrer du temps à votre famille, ou à vous-même tout simplement. La deadline approchera toujours inexorablement, tandis que vos heures de sommeil seront de plus en plus rares. Et si vous êtes absent ne serait-ce qu'une semaine, pour prendre une petite pause, les fans viendront vous harceler, inquiets de l'avenir de leur série favorite.

J'ai bien évidemment pris le thème du manga en exemple dans ce dossier, mais comme dit plus tôt, ce phénomène touche énormément de métiers. Les animateurs au Japon par exemple, qui n'ont pas vraiment de meilleure situation. Et cette vision est destructrice dans les deux sens : des personnes contentes de ce qu'elles font n'oseront pas ce plaindre car elle s'estimeront bien « chanceuses » comparé à d'autres, tandis que de l'autre côté, les « autres » ne supporteront pas que leurs « métiers idéalisés » soient critiqués par ce qui les pratiquent. Vous comprenez, ils ont déjà bien de la chance e faire un métier qui leur plaît, comment ose-t-il se plaindre ?





Mais le problème n'est pas là. Le problème n'a jamais été là. Ce n'est pas parce que quelqu'un fait un métier qui lui plaît qu'il doit tout abandonner derrière : famille, amis, santé... Il y a des lois, il y a des normes à respecter un minimum. Nous sommes d'accord pour dire que les respecter à la lettre n'a pas de sens. Mais il ne faut pas non plus les bafouer complètement, au nom de « l'amour de l'art » ou je ne sais quel autre bêtise, tout en piétinant le/les humains derrière. Ces lois n'ont pas été voté par hasard : des gens, des travailleurs, se sont battus pour acquérir ses droits. Car il ne pouvait plus supporter de vivre dans de telles conditions. Pourquoi croyez-vous que les animateurs de chez Disney soient sortis pour manifester il y a des dizaines d'années ? Pourquoi le monde du jeu vidéo est-il en train de voir scandale sur scandale sortir ? Des gens se battent pour acquérir des droit. Des droits à avoir une vie à côté de leur travail tout simplement. Des droits que l'on ne discute même plus dans d'autres branches, mais qui sont pourtant si difficiles à respecter dans ce genre de profession. Car on devrait « s'estimer chanceux » de faire ça. C'est en tout cas une leçon que ne cesse de donner l'avocat Gu d'Intraitable à ces jeunes syndicalistes : les droits ont été acquis dans la lutte, et c'est continuellement qu'il faut les défendre.
 
  


Commentaires

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Hurleguerre

De Hurleguerre, le 03 Octobre 2020 à 12h50

un très bon dossier abordant la représentation d'une problématique sérieuse dans la fiction.

 

Personnellement, j'y ajouterai un autre problème : l'effort ériger en solution miracle. La plupart des mangas, shonen nekketsu en tête, nous présente des personnages réussissant grâce à leur motivation inébranlable leur permettant  d'accomplir ce que tout le monde croyait impossible pour eux. Ce trope se veux véhiculer des valeurs positives d'optimisme et d'épanouissement personnel, mais en réalité, il ne fait que reprendre, sur un ton plus amical, l'impitoyable philosophie du capitalisme : tu est libre, donc seul responsable de ton sort, et si quelque chose tourne mal c'est uniquement ta faute.

 

Dans la réalité, la chance joue un rôle non négligeable. Un point que la plupart des œuvres de fictions (et pas que les mangas) prennent bien soin d'occulter. dans le manhua  «tower of gods» ou les personnages doivent grimper les étages d'une tour en livrant différentes épreuves, l'une d'elle a le mérite d'aller à contre-pied de cette habitude. L'organisateur explique que l'épreuve consiste à franchir la bonne porte parmi plusieurs choix, en précisant bien qu'il n'y a aucun indice pour deviner quel est la bonne. Les candidats protestent en rétorquant que seul la chance déterminera les gagnants, ce à quoi il rétorque :  «C'est toujours uniquement la chance qui détermine les gagnants. La chance qui vous a fait naitre avec un corps puissant, avec un intellect supérieur, avec un grand talent martial, ou tout simplement dans une famille privilégiée vous permettant d'avoir une excellente éducation» 

 

La méritocratie portée au nues par la société actuelle, bien que préférable à l'hérédité des positions dans les sociétés anciennes, est loin d'être aussi équitable qu'on le prétend. Parce que les chances de départ ne sont pas égales, bien sûr, parce qu'avoir du talent n'est qu'un question de chance, mais surtout parce que même posséder de vrais capacités ne suffit pas. Le monde du travail est impitoyable, avec une demande disproportionnée par rapport à l'offre. Seul des individus, principalement au niveau des postes de directions, peuvent se faire passer pour indispensable et imposer leur conditions, les autres étants condamnés à la précarité, se voyant en plus accusés de mériter leur sort puisqu'ils ne sont pas à la hauteur. 

 

De nombreuses histoires ayant pour thème une profession mettent en scène l'ascension du héros jusqu'au sommet, mais quid des perdants de cette lutte ? Les rares fois ou l'on parle d'eux, c'est pour les montrer épanouit dans un autre rôle. Dans la réalité, l'échec est quelque chose dont on se relève beaucoup moins facilement.

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