Le Prince des Ténèbres - Actualité manga
Dossier manga - Le Prince des Ténèbres
Lecteurs
18.50/20

La révolte gronde !

 
Même s'il est porté par un côté fantastique assumé,  Le Prince des ténèbres s'ancre dans une société purement contemporaine. Bien que nous soyons à l'échelle d'une petite ville japonaise, et que l'aspect shonen et l'orientation action de cette version manga ne permette pas une analyse de fond des différents problèmes, la série offre néanmoins une vision très sombre de la société moderne. Un trait sans doute accentué pour les besoins de l'intrigue... mais non dénué de vérité.

 

Une société en crise

Dès le premier volume, les auteurs posent les bases de leur thèse en évoquant de nombreux problèmes d'insécurité dans la cité de Nekota, quitte à aller dans les clichés les plus usités : bandes de jeunes qui ne respectent rien, racket scolaire et même les pervers du métro sont de la partie. Ces différents symptômes sont là pour présenter le malaise généralisé d'une société qui ne sait plus se réguler, s'étant abandonné aux affres de la modernisation en masse. En construisant un cœur commercial rempli de building, Nekota a attiré de nombreuses multinationales, au détriment des petites entreprises, et creusant un peu plus le fossé entre riches et pauvres. La hausse de la criminalité dans les quartiers vient d'une jeunesse en pleine perte de repères et d'avenir. Du moins, voici l'inventaire peu glorieux que déclare Inukai, dans un discours certes populiste, mais loin d'être totalement mensonger. L'arrivée du milliardaire Anderson et de sa société florissante au sein de la ville apparait alors comme une nouvelle provocation supplémentaire. Anderson figure dans l'imaginaire collectif comme le nouvel envahisseur américain, venant imposer sa loi, sa vision du futur pour la cité, alors que ses habitants n'avaient rien demandé.

Alors que nous sommes habitués à voir le Japon comme un pays toujours à la recherche de nouvelles innovations, Isaka et Ôsuga dépeignent ici le tableau d'une société bien moins encline au changement. Sans aller jusqu'à prôner le passéisme, les habitants de Nekota semblent surtout confortés dans leur propre bulle, dans une vie qu'ils espèrent tranquille et sans remous. Le personnage d'Andô en début d'œuvre en est l'exemple typique, cachant son pouvoir pour rester à tout prix anonyme. Chacun avance à son rythme, dans un univers égocentré où tout le monde a peur de tout le monde. Personne ne veut sortir du rang, personne ne bouge même si le voisin a des soucis, ou si son semblable se fait agresser en pleine rue. Lorsque les problèmes surviennent, on s'enferme dans le fatalisme : "peu importe", "on verra plus tard", "ça ira", comme l'observe si bien Anderson Jr. Il n'y a encore que sur Internet que des voix anonymes peuvent arriver à s'exprimer, même si cet aspect n'est que frôlé dans la série. Nekota apparait alors comme une seule entité, un nouveau personnage de la série comprenant une multitude de visages mais une personnalité unique. Le peuple suit le mouvement qu'on lui impose, dans un sens ou dans l'autre, et se retrouve facilement manipulable par son côté amorphe. Notons bien que la révolte ne nait pas du peuple, mais bien de l'émergence d'une seule personne qui ose dire non, et entraine tout le monde dans son sillage. Qui aurait pu penser alors qu'Andô, élève à la recherche de la normalité absolue, se retrouve finalement le seul à rester conscient dans ce monde devenu fou, pouvant suivre n'importe quelle belle parole venue ? Plus que toute forme de violence, c'est bien la force des mots qui est la plus importante. Une chance pour notre héros disposant du pouvoir qui peut renverser la balance... encore faudra-t-il l'user à bon escient.




La montée d'un dictateur

L'Histoire nous a déjà montré à plusieurs reprises que la faillite de certains modèles de civilisation ont bien souvent entrainé derrière des révolutions ainsi que la montée des extrémismes. La crise mondiale de 1929 est notamment l'un des points de départ de l'émergence du nazisme en Allemagne et la progression d'Adolf Hitler jusqu'à son rang de dictateur. Kôtarô Isaka reproduit dans son œuvre un canevas similaire à plus petite échelle, avec la ville de Nekota et de sa figure montante, le très charismatique Inukaï. Sa stratégie fait en effet preuve d'un calcul éprouvé, mais efficace. La morosité et la peur du quotidien engendrée par l'urbanisation ont créé une société dans l'attente d'un renouveau, sans que personne ne se manifeste. C'est alors qu'apparaissent les Grasshopper, milice privée d'Inukai qui s'impose ainsi comme étant "au-dessus des lois", et hors de la peur ambiante. En réglant de nombreux problèmes d'insécurité (par des manières douteuses, mais cela ne se sait pas), le bel éphèbe s'attire rapidement la sympathie de nombreux habitants de la ville. Il ne lui manque plus alors qu'à s'opposer à ce qui apparait pour les citoyens comme la source de tous leurs maux : le pouvoir en place, incarné par la municipalité. En s'attaquant aux problèmes politiques, avec un discours démagogique et des promesses de renouveau à court terme, Inukai se hisse rapidement vers une nouvelle sphère. Les gens de Nekota se mettent alors à suivre son projet plein de (faux) espoirs, en croyant sortir enfin de leur quotidien monotone. En réalité, ce choix s'est imposé à eux tout seul : entre continuer de suivre la vision d'urbanisation vivement critiquée, ou se rattacher à cet unique homme qui s'érige en proclamant tout haut ce que tout le monde pense tout bas, l'alternative est vite enterrée. Tout le monde doit penser comme tout le monde, et c'est par cet effet domino que s'étend l'influence de ce jeune meneur.

Toute grande figure de l'histoire, et en particulier les dictateurs, ont forgé leur légende grâce au culte de leur personnalité. Sur ce point, Inukai ne déroge absolument pas à la règle, et bien plus encore. Véritable démon au visage d'ange, vêtu comme un chef militaire, il donne une image de lui sortant de la masse, identifiable en une seconde. En allant de lui-même au danger, il renforce toujours plus son image de sauveur de la ville qui n'a peur de rien. Grâce à des discours de propagande savamment orchestrés, tant dans leurs annonces que dans leurs mises en scène, il sait se mettre en évidence pour se poser comme la voix du changement et de la raison. Il invite également ses partisans à se manifester et à se révolter par eux-mêmes, sans que ces derniers aient conscience d'avoir totalement perdu leur libre arbitre au final. Enfin, si Inukai apparait comme la seule force de vérité en présence, c'est aussi et surtout en réduisant au silence l'opposition. Le conseil municipal fera rapidement les frais d'exécutions sordides, maquillées en suicide. Inukai ne se salira jamais les mains directement, mais finira toujours pas imposer sa loi de manière discrète ou par la rue. Les actions les plus insensées et inhumaines deviennent alors possibles, et si le récit exagère parfois les choses, les échos de notre Histoire rendent hélas ces évènements crédibles. La seule retenue des auteurs concerne les origines du monstre. Peut-être est-ce aussi une manière de ne pas l'humaniser outre mesure, de lui laisser cette distance de menace personnifié, de fils des Enfers marchant sur le monde. Malgré le côté très manichéen de la narration, gardons à l'esprit que ce genre d'individualités peuvent toujours ressurgir un jour ou l'autre, même dans une société sans histoire. Gardez l'œil ouvert et votre esprit de révolte en éveil !



MAOU JUVENILE REMIX by Kotaro ISAKA, Megumi OSUGA © 2007 by Kotaro ISAKA, Megumi OSUGA / Shogakukan Inc.

Commentaires

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erotaku

De erotaku, le 09 Octobre 2013 à 23h42

un très bon manga pour ma part

manga666

De manga666 [1710 Pts], le 28 Mars 2012 à 16h56

19/20

ce manga n est pas à manquer :)

jojo81

De jojo81 [7192 Pts], le 12 Février 2011 à 12h37

Mince, il fait envie ce dossier. Je place l'intégrale de ce manga dans les priorités de ma liste d'achat.

 

(vous ne voulez pas faire un dossier par mois plutôt qu'un par semaine, parce que ça commence à faire cher ! >_<)

Squalex

De Squalex [3831 Pts], le 11 Février 2011 à 18h12

18/20

Merci Tianjun pour cet excellent dossier qui comme le dit Atobe1 me donnerais énormément envie d'acheter la série si je ne l'avais pas déjà.

J'ai même appris des choses que je ne soupconnais pas, en tout cas lancez vous cette série mérite un énorme succès!

Arsenic

De Arsenic [2010 Pts], le 11 Février 2011 à 11h52

18/20

Excellent dossier. Pour ma part, il me manque les trois derniers tomes (que ma librairire met beaucoup de temps à commander >.>) mais jusque là j'adore ce manga. J'y ai trouvé des entités humaines si patentes que j'aurais pu les croiser dans la rue. Et c'est ce qui donne à Le Prince des Ténèbres toute sa personnalité : unique. En revanche, je n'ai pas tant que cela trouvé quelque ressemblance avec Death Note. Les deux sont bien différenciés et je n'ai jamais pensé à les associer.

PS : préférence pour la Cigale :p

Atobe1

De Atobe1 [1440 Pts], le 11 Février 2011 à 11h42

*Gomen pour les fautes, j'ai tendance à me relire une fois le commentaire posté, n'importe quoi è__é*

Atobe1

De Atobe1 [1440 Pts], le 11 Février 2011 à 11h41

18/20

J'ai vraiment apprécié ce dossier, c'est clair, complet et très bien écrit! Bravo Tianjun pour toutes ces explications.
Si je n'avais pas déjà commencé et terminé la série, ce dossier m'aurait incité à acheter au plus vite les tomes.

 

J'ai commencé par hasard, en achetant les quatre premiers volumes en occasion, attirée en premier lieu par la couverture puis ensuite par la synopsis. Impossible de m'arrêter en cours de route!

L'histoire, les dessins, les décors, j'ai tout aimé. Quand aux personnages, soit on les aime, soit on les déteste, dans mon cas il y en a un ou deux que j'ai eu envie de balancer dans un volcan!

 

Ce manga est un souffle d'air frais dans le monde du shonen, je ne regrette pas de l'avoir commencé!

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