Rencontres : quand deux mondes se croisent
La rencontre et l'adaptation entre les deux mondes, elles, sont d'emblée pleines de promesses qui n'attendent qu'à être développées, et cela d'un côté comme de l'autre. Car pendant que les FJA explorent peu à peu ce monde qui semble issu d'un autre temps et qui regorge d'êtres qu'on croirait sortis d'un récit de fantasy, les habitants de cet autre monde, eux, découvrent chez nos héros des véhicules et armes modernes qu'ils ne connaissent pas, entre autres. Et tout naturellement, un certain rapport de force s'installe alors, dès le volume 2 et la scène de bataille contre les bandits.
Quand la cité d'Italica est sur le point de tomber entre les mains de ces bandits, au grand dam de la princesse de l'Empire, l'impétueuse Pina Co Lada, les troupes de la caractérielle amazone ont bien du mal à faire le poids face à l'ennemi, jusqu'à ce que la troisième patrouille de reconnaissance du lieutenant Itami s'invite à la fête, vite épaulée par des armes dévastatrices. Mais cette aide est-elle totalement désintéressée ? Réponse dans une scène d'action rondement menée par des auteurs qui se font clairement plaisir, ne serait-ce qu'à travers les quelques clins d'oeil parsemant la bataille, à commencer par les références à Apocalypse Now (en tête de celles-ci, l'arrivée des hélicoptères qui fait clairement écho à une cène du film culte de Coppola). Ce conflit permet au lecteur, mais aussi à certains personnages comme Pina Co Lada, de voir à quel point les forces issues de notre monde, avec ces armes impensables comme les tanks et les hélicos, surpassent celles de l'autre monde. Pina est donc la première à bien le comprendre : elle a tout intérêt, pour le bien de l'Empire, à veiller à ce que son début d'alliance avec les FJA se consolide. Car dans un conflit contre les forces d'autodéfense japonaises, l'Empire serait sans nul doute rapidement balayé par les différences flagrantes de technologie...
S'il est question d'alliances où chacun cherche d'abord son intérêt, on apprécie que le récit ne campe pas pour autant sur ces simples questions où chacun voit avant tous ses propres avantages : au gré des rencontres, des relations et des désirs de découverte et de se comprendre se mettent bel et bien en place, et la visite de Tuka, Lelei, Rory, Pina et Boses dans notre monde en est un bon exemple, tant les demoiselles auront à cœur de découvrir certaines choses de notre monde que, forcément, elles ne connaissaient pas. Les principaux objectifs de ce passage au Japon : répondre aux questions du Parlement lors d'un interrogatoire concernant la situation sur le territoire spécial, et poser les premières bases de futures ententes. Mais ce sera également l'occasion pour les 5 demoiselles de découvrir à leur tour un monde dont elles ne connaissent encore rien hormis quelques éléments de langage. Il est à plusieurs reprises amusant de suivre l'espèce de choc des cultures que connaissent les 5 invitées au sein du Japon dont elles découvrent plusieurs choses, mais également de les voir afficher une langue bien pendue pendant l'interrogatoire ! Ce qui est aussi l'occasion pour les auteurs de poser un regard un brin critique sur les absurdités et contradictions des hautes instances du pays, politiques et hauts fonctionnaires, à travers ces femmes venues d'un autre monde. Mais il ne faudrait surtout pas limiter ce passage à ça : là où l'on pourra quand même reprocher un interrogatoire un brin longuet pour un impact moins fort que prévu, on reste en revanche plus intéressé par tout ce qui se passe après, que ce soit concernant le choix du Premier Ministre japonais, ou surtout concernant le passage à l'action de certaines nations étrangères décidées à ne pas laisser le Japon contrôler seul le territoire spécial. Etats-Unis, Chine, Russie... chacun agit à sa manière, celle-ci étant parfois très musclée et sanglante, et en filigranes les auteurs parviennent plutôt bien à faire ressortir les ambitions que chacun a envers ce territoire et ses habitants... Il s'agit là du passage le plus important de la première partie de l'oeuvre concernant les conflits diplomatiques de notre monde autour de la zone spéciale.

Fan-service : des personnages qui plairont aux otakus
Tout aussi pointu soit-il, le récit imaginé par Takumi Yanai prend également plaisir à jouer sur quelques bons vieux fantasmes d'otaku, en tête desquelles les différentes espèces de la zone spéciale typée fantasy. Elfe, elfes noire, gothloli, magicienne, princesses amazones, filles animales (maid-chat, maid méduse) sont quelques-uns des personnages féminins de charme qui parsèment la série, et sur lesquelles les auteurs jouent assez bien, sans non plus en faire trop. Les auteurs prennent généralement sur le ton de l'humour l'excitation otaku face à ces demoiselles qui semblent tout droit sorties d'un univers fantasy. Les éléments un brin fan-service ne manquent pas, l'un de splus gros exemples étant la virée du groupe dans un ryokan japonais, avec ce que cela implique de jolis corps brièvement dénudés, ou de sous-entendus osés, essentiellement de la part de Rory.
Personnage le plus orignal et le plus intrigant par moments, Rory Mercury est d'ailleurs, également, la figure la plus populaire de l'oeuvre. La miss, dans des passages parfois assez axés fan-service, montre sous ses airs de gothloli à quel point, en tant qu'apôtre du Dieu Emroy, les morts sont importants pour elle, au point de lui procurer des sensations folles et de la revigorer, de lui faire vivre jouissance et orgasmes quand les âmes des défunts la traversent. La demoiselle, complètement fun dans sa soif de semer le chaos, n'a clairement pas fini d'intriguer, tandis qu'elle semble montrer une affection très naturelle pour Itami qui renforce encore son charme un peu sulfureux, la demoiselle étant également assez entreprenante.
Certains passages se veulent clairement plus légers, un brin axés fan-service, par exemple la scène juste après la bataille contre les bandits, avec la façon dont plusieurs personnages féminins sont aux petits soins avec Itami. De quoi ravir un peu les yeux des lecteurs férus de donzelles fantastiques ou de femmes simplement séduisantes (Boses en robe, mon dieu). Cela apporte forcément une atmosphère un peu plus légère, où l'intrigue tend à se diluer un peu plus. Mais après les événements qui se sont déroulés juste avant, ce n'est pas totalement un mal.
Enfin, au-delà du charme des figures féminines, le côté fan-service vient aussi, tout simplement, du côté très otaku de certains personnages japonais, Itami lui-même en tête ! Il a beau être membre des FJA, le personnage principal de Gate est également un féru d'univers fantasy et de conventions comme le Comiket, où il veut d'ailleurs se rendre au tout début de la série quand la Porte fait son apparition. On peu aussi noter son collège Kurata, qui a une obsession pour les filles à oreilles de chat. Ou encore Risa Aoi, vieille amie et ancienne épouse d'Itami, une otaku déphasée et dessinatrice de doujinshi yaoi, qui va d'ailleurs communiquer à Pina sa passion du BL ! Un personnage plutôt bien campé et confirmant le souhait des auteurs de flirter constamment avec la culture otaku.

Graphisme et édition
Dessinateur depuis le début des années 2000, Satoru Sao est loin d'en être à son coup d'essai, et cela se ressent très bien : ses planches sont généralement denses tout en restant lisibles, et peuvent même être réellement impressionnantes, à commencer par celles du tome 1 mettant en scène le dragon cracheur de feu, magnifique, détaillé, et dont on ressent à la fois toute la puissance, la lourdeur, la dangerosité et la noblesse.
Les décors sont souvent bien présents sans être trop fournis et participent beaucoup à l'immersion, tout comme il y a une certaine précision au niveau des véhicules des FJA ou des armes, que ces dernières soient de notre monde (les armes à feu des FJA) ou de l'autre (comme la hache de Rory).
Les designs des habitants de l'autre monde sont bien variés et agréables à l'oeil, surtout concernant ces demoiselles... là où le bât blesse un peu du côté des FJA, dont le design assez banal tend à les rendre parfois difficiles à différencier.
Armé de son coup de crayon assez riche, Sao sait également bien emballer les moments d'action, à faire ressortir une certaine brutalité dans les conflits.
Concernant l'édition française d'Ototo Manga, elle est au poil : le papier est bien épais tout en restant souple, la qualité d'impression est bonne, la traduction de Nicolas Pujol s'avère vivante et dynamique...
Gate Jieitai Kanochinite, Kakutatakaeri © SATORU SAO, TAKUMI YANAI by AlphaPolis Co.,LTD., Tokyo