Crueler Than Dead - Actualité manga
Dossier manga - Crueler Than Dead

L'art d'écrire un scénario


Il est intéressant de se pencher sur l'écriture de Crueler Than Dead, tant le scénario et ses symboliques incluent les points les plus importants du récit. On peut aussi y voir une sorte d'aveu sur l'écriture d'une fiction de manière générale : Les lecteurs ayant terminé la série sont souvent ressortis déçus, et les lacunes de l'écriture tendent à confirmer qu'une liberté totale ne permet pas systématiquement à un auteur de cadrer son récit.

En seulement deux volumes, Tsukasa Saimura introduit bon nombre d'éléments, mais aussi de personnages. Si la structure et le déroulement restent plutôt propre dans le premier opus, le second est particulièrement dense, ce qui ne permet pas une bonne utilisation de toutes les pistes plantées dans l'ensemble.

Dans le cinéma, on parle de la mécanique du Fusil de Tchekhov pour évoquer un élément introduit à un moment donné, et qui doit servir à l'intrigue ultérieurement. Cela peut être un dialogue, un objet ou un personnage, le dernier exemple étant le principal dans ce qui nous intéresse dans Crueler Than Dead. Dans cette optique, il existe les notions de set-up et de pay-off, autrement dit un élément planté qui aura une finalité au sein du récit proposé. Sans doute voyez-vous déjà où nous voulons en venir avec cette partie : Si de nombreux éléments des deux volumes peuvent être considérés comme des set-up (à savoir des éléments qui prendront de l'importance jusqu'à avoir un impact scénaristique ultérieurement), il n'en n'est parfois rien. Les exemples sont assez nombreux, et nous ne les évoquerons pas avec précision afin de ne pas spoiler, mais on se demande à plusieurs reprises pourquoi Tsukasa Saimura a implanté toutes ces idées de scénario, si ce n'est pas pour s'en servir. Miura est en soit un bon exemple en tant que personnage, et d'autant plus important qu'il passe (de manière plus que douteuse d'ailleurs) de bandit exécrable et violeur de surcroit, à une tragique figure de père de famille traumatisée par la fille que la catastrophe lui a volé. Pourquoi pas, bien que ça ait de quoi faire grincer des dents, mais aucune réelle finalité de sera proposée, le personnage stagnant jusqu'à la fin tel un figurant. Dans la même optique, il y a un événement que les auteurs teasaient lors de leur présence à Japan Expo, en 2015. Celui-ci paraît majeur, mais n'a strictement aucun impact sur l'histoire. Pire encore : Il ne sera même plus évoqué, comme si cette révélation avait tout bonnement été gommée rétroactivement du récit.


Pour ces raisons, le scénario de Crueler Than Dead peut laisser un goût plus qu'amer en bouche, d'autant plus que la conclusion est particulièrement abrupte, et ne permet pas vraiment de découvrir le sort de différents personnages.

Néanmoins, il convient de se pencher vers un autre aspect de l'écriture du récit : Ses symboliques. Et de ce point de vue, certains éléments commencent à prendre un sens, à commencer par la fameuses révélation évoquée quelques lignes plus haut. Les auteurs se sont déjà exprimés sur le sens de l’œuvre, aussi celle-ci est particulièrement pessimiste. Son idée est très classique, puisqu'il s'agit d'exprimer la chute d'une humanité qui deviendrait inéluctablement un loup pour elle-même en cas d'une catastrophe de ce genre. C'est une thématique déjà vue à maintes reprises mais qui se prête bien au récit de zombie dont l'une des dimensions est post-apocalyptique. Alors, pourquoi pas. De là, l'héroïne Maki devient tout un symbole dans l'ensemble du manga. Si les autres personnages vivent leurs péripéties, qui seront plus ou moins importantes selon les cas pour la conclusion du second tome, l'héroïne a une importance cruciale, et deviendrait presque une figure mystique dans le deuxième volume. Alors, si on ne sait pas clairement où les auteurs voulaient en venir avec l'importance de la révélation la concernant (celle-ci devait justifier le fait que la figure principale du récit est une femme), on peut y voir la volonté d'établir une figure presque divine, pure et humaine, mais condamnée au déclin pour soigner le mal représenté par l'Humain. En extrapolant, on pourrait aussi y voir une idée plus féministe, selon laquelle la Femme serait la seule figure capable de ramener un semblant d'ordre dans le chaos, et peut-être serait-ce la plus jolie image qu'on pourrait tirer d'une écriture qui manque de fluidité et de précision.


Le trait de Kôzô Takahashi


Le dessinateur de Crueler Than Dead avoue lui-même avoir de multiples inspirations. La plus flagrante, et celle qu'il a déjà évoqué, est Katsuhiro Otomo. Chose qui se remarque assez vite par le style de design des personnage qui a un côté « otomoesque », ce qui leur donne d'ailleurs une crédibilité visuelle qui apporte une part d'authenticité au récit.

Le trait de Kôzô Takahashi est un argument assez fort de Crueler Than Dead, tant le travail esthétique du manga a une certaine force. Sa mise en page est souvent vive, et on sent que l'auteur prend plaisir à croquer graphiquement un Japon moderne dévasté, ce qui pourrait aussi refléter l'impact des événements de mars 2011 sur un dessinateur.


Mais le plus plaisant demeure sa représentation des zombies. A ce titre, le dessin de l'artiste sonne comme un cri d'amour véritable à cette figure horrifique, et aux récits du genre qu'il a pu savourer. A ce titre, les morts vivants de Kôzô Takahashi (même s'ils ont dû être encadrés par Tsukasa Saimura) sont délicieusement immondes, repoussants et en parfaite décomposition. Les amateurs du genre prendront plaisir à voir ces figures dépeintes avec détails, aussi peut-on supposer que le format sélectionné par les éditions Glénat servent tant à mettre en avant la partie graphique du récit qu'à faire le lien avec les médiums du comics et de la bande-dessinée, plus populaire quand il s'agit de représenter la figure du zombie. Derrière ce choix, on peut éventuellement y voir une volonté de rendre Crueler Than Dead grand public, et de ne pas cibler le titre uniquement au lectorat manga.


Un mot sur l'édition

Le trait de Kôzo Takahashi se devait de ressortir, celui-ci étant l'un des arguments phares de la courte série. Les éditions Glénat, pour lui rendre justice, ont donc opté pour un grand format, ce qui semble aussi être un bon compromis pour faire la passerelle avec le comics et la BD, et axer le récit vers un lectorat plus large.

Chaque volume propose alors un papier d'épaisseur standard, ni trop fin ni trop épais. On pourra aussi reprocher l'absence totale de pages couleur, le support s'y prêtant bien et la collaboration directe avec les auteurs étant toujours propice à un paufinement maximal. Dans cet ordre d'idées, on se questionnera sur l'absence totale de suppléments. Pourtant, le dossier de presse de l'éditeur contenait une très intéressante interview qui aurait pu être placée en guise de bonus, pour être rendue accessible au plus grand nombre. Dommage, donc, mais notons que l'éditeur se lançait alors dans des créations originales, soit en même temps que Stray Dog de VanRah, et encore quelques mois avant des séries telles que Tinta Run de Christophe Cointault ou Horion d'Aienkei et Enaibi.

Crueler Than Dead © 2015 Tsukasa Saimura et Kozo Takahashi

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