Tu seras un saumon, mon fils... - Actualité manga
Dossier manga - Tu seras un saumon, mon fils...

Bienvenue au pays du grotesque !

Shôhei Sasaki nous avait déjà habitué à une certaine poésie dans Virgin Dog Revolution, cette série en deux tomes où un homme-chien, testicule à l'air, tentait d'apporter sa révolution écolo. Le grotesque dominait surtout à travers l'esthétique de la série mais dans le cas de Tu seras un saumon, mon fils..., le mangaka atteint un tout autre niveau. A commencer par le concept lui-même de l’œuvre : la naissance de Sauman, un homme-saumon, lorsque le jeune Shion éjacula sur quelques œufs de poisson, dans la rivière. Le pitch de l'intrigue lui-même est une ode à l'humour graveleux, un gag très bien cerné par les éditions Akata qui ont rapidement établi une accroche digne de la série : "Il n'aurait peut-être pas dû se branler dans la rivière...". Tout en finesse.

L'intrigue elle-même ne vole jamais bien haut, du moins dans le premier degré de lecture proposé par le mangaka. En deux tomes, il est question de franche amitié, de branlettes, de trois compères buvant de la bière en dansant en slip, ou encore des petits déboires de Sauman qui apprendra progressivement les spécificités de son anatomie. Le scénario du diptyque tient réellement sur un post-il, un moyen idéal pour présenter moult situations sans queues ni tête, qui font accroître la grossièreté (assumée) de l’œuvre en permanence. Ça plaît ou non, l'intrigue tenant certes moins en haleine que Virgin Dog Revolution (bien qu'on retrouve certaines similitudes, notamment quant à la relation entre Sadao et Yûj), mais l'humour propre à l'auteur est beaucoup plus présent. Ainsi, à première vue, Tu seras un saumon, mon fils... se présente comme une œuvre à ranger du côté des titres fait pour divertir, pas bien finauds, mais qui constituent une bonne tranche de rire pour peu qu'il s'agisse de l'humour qui nous corresponde.

Aussi, il est impossible de ne pas évoquer le style de Shôhei Sasaki lorsqu'on évoque le grotesque dans Tu seras un saumon, mon fils... Le trait de l'auteur a énormément évolué depuis la série précédente, celui-ci montre même certaines similitudes avec le coup de crayon de Masayuki Taguchi, le dessinateur de Battle Royale et Black Joke, dans cette sorte d'approche du réalisme consistant à rendre les faciès et les postures des personnages crédibles de manières exagérée, donnant ainsi un certain décalage. Le mangaka a bien compris les spécificités de son trait, il les utilise même astucieusement pour rendre ses différents personnages volontairement ahuris, un élément graphique qui apportera beaucoup de ridicule et accentuera la grossièreté du titre sur sa totalité. Ainsi, on ne se lassera pas des trognes que peuvent afficher Shion ou Ginji, si bien que les moments les plus dramatiques de l’œuvre seront souvent synonymes de tranche de rire pour le lecteur. Néanmoins, cette dimension graphique apporte un cachet au manga, aussi on peut lire Tu seras un saumon, mon fils... par simple curiosité artistique.


Le cas Sauman

Aussi attachants que peuvent se révéler Shion et Ginji, c'est bien Sauman l'élément central du récit. Et si son père, Shion Masterba, constitue le centre de bien des éléments de la série, Sauman en est souvent la clef, la moyen d'amener l'intrigue à un objectif, tout en servant d'élément comique pouvant être exploité de toutes les manières possibles.

La particularité première de Sauman est bien évidemment son design, celui d'un saumon sur pattes (ou sur palme), différent du commun des mortels et qui n'a pas vraiment connaissance de la société humaine, sans compter ses caractéristiques physiques qui font de lui une énigme à part entière. L'être repoussant que constitue le fils de Shion est un premier ressort comique, une manière d'apporter souvent un décalage dans le récit. D'abord, la vision de Sauman apporte la crainte chez autrui, un moyen de créer des gags plutôt amusants à certains moments. Dans d'autres cas, comme avec le grand-père de Ginji qui verra chez l'homme-poscaille une bonne patte, Shôhei Sasaki joue davantage sur le décalage provoqué par l'amitié entre un humain ordinaire et une créature si particulière. Il y a donc de quoi rire lorsque Sauman festoie avec son entourage, ces séquences étant volontairement tournées de manière absurdes et grotesques.

Dans la manière de tourner l'homme-poisson en dérision, l'auteur attribue à son protagoniste des spécificités physiques bien particulières. Le lecteur le découvre au fil des chapitres, Sauman est capable de déféquer, de ressentir le plaisir sexuel, de manger quelqu'un pour le ramener à la vie, et même d'éjaculer. Shôhei Sasaki ne s'encombre pas de la logique dans son œuvres, il préfère plutôt repousser les limites du grossier à travers des séquences choquantes et souvent graveleuses. Assez spectaculaires par leurs mises en scène, ces moments d'humour ne sont pas forcément à mettre entre toutes les mains, beaucoup pourraient même être rebutés par ces gags des plus particuliers. Mais encore une fois, ceux que l'absurde et le vulgaire séduisent y verront un certain génie dans la manière de l'auteur de ne pas se poser de limite, repoussant alors les frontières du n'importe quoi autour de Sauman. Après tout, pouvait-on attendre autre chose d'un homme-poisson se lançant à la poursuite de son père... à vélo ?

Par rapport au physique de Sauman, l'auteur trouve le moyen d'aborder légèrement un thème plus social : celui de la différence. Sans faire de comparaison physique avec des individus réalistes, le mangaka admet qu'une différence, quelle qu'elle soit, peut amener le rejet d'autrui. Celle-ci est symbolisée par l'aspect physique de Sauman mais aussi par Shion qui, par ses différences avec Ginji, s'attire son mépris au début de la série. Sans vouloir faire de son manga une œuvre engagée, Shôhei Sasaki établit ce constat et amène un message optimiste, justement par l'amitié entre Shion et Ginji, ou la manière qu'a Sauman de s'attirer la sympathie des personnes autour de lui. Juger l'âme plutôt que l'apparence, un concept classique et cliché mais qui trouve sa place au sein du récit.


© Shohei Sasaki / Kodansha Ltd.

Commentaires

DONNER VOTRE AVIS



Si vous voulez créer un compte, c'est ICI et c'est gratuit!

> Conditions d'utilisation