Dossier manga - Red Dragon

Kingdom, une bonne base ?


Lorsque les éditions Glénat lancèrent la parution française de Red Dragon, quelques comparaisons avec le manga de Yasuhisa Hara ne se firent pas attendre. Les fans de Kingdom regrettaient la décision de sélectionner un autre manga historique touchant à une période semblable plutôt que la série fleuve portant sur l'époque des royaumes combattants. On comprenait pourtant le choix éditorial, Kingdom étant une série à risque qu'un éditeur comme Ki-oon n'aurait tenté que sous certaines conditions (refusées par l'ayant droit japonais). Meian réussira son pari quelques temps plus tard, permettant au lecteur francophone de pouvoir lire Kingdom.


Chronologiquement, Red Dragon se produit après ce qui pourrait être la fin de l’œuvre de Yasuhisa Hara, selon le point final que le mangaka souhaite établir. La Chine est unifiée sous le règne des Qin, ce qui implique d'entrée de jeu une contextualisation un poil complexe. Masahiro Ikeno cherche justement à retranscrire cette richesse des enjeux politiques du pays d'autrefois, et n'hésite pas à citer les différentes nations conquises sous la bannière des Qin. Lire Red Dragon aujourd'hui après avoir parcouru Kingdom est un exercice plus simple qu'il ne le fut en 2017, lors du lancement du titre historique de Masahiro Ikeno dans nos contrées. Le lecteur faisait face à différents termes, des noms de pays notamment, que le rythme très rapide du manga ne permet pas systématiquement de développer et contextualiser. La lecture de Red Dragon demande un certain degré d'implication pour être saisie dans ces détails, et sera facilité par une connaissance préalable du nom des anciens états du pays, maintenant permise par Kingdom. Loin de nous l'idée de dire que l’œuvre de Yasuhisa Hara est un passage obligatoire pour un lecteur de manga. Mais il nous paraissait « amusant » de soulever le rapport entre les deux titres bien plus liés qu'on ne le pense, de par la période historique couverte. Ceci étant dit, passons concrètement au vif du sujet : Le récit qu'est Red Dragon.


Une Chine en conflit, un manga de guerre effrené


Le premier volume de Red Dragon a un petit côté trompeur. Les premières aventures de Liu Bang et Lu Wan, si elles ne sont pas dépourvues d'action, mettent surtout l'accent sur les plans d'une petit groupe de soldat pour tenir tête à un régime tyrannique, les protagonistes s'attaquant à ce qui n'est qu'un petit seigneur de contrée comme il y en a beaucoup. Le scénario brille alors de la complémentarité entre les deux héros, le premier à la crinière rouge étant un malin stratège, et son compère plus dans un esprit « fonce dans le tas ». Tout n'est finalement que coup tactique dans cette guerre à petite échelle : Tromper un dirigeant de province ennemi, s'accaparer les services d'une riche héritière de famille... Le premier tome de Red Dragon est plutôt modeste, et séduisant dans l'approche proposée.

Pourtant, la série de Masahiro Ikeno a un mot d'ordre : Viser les cieux. La figure de style n'est pas rare dans le paysage du manga dès qu'il implique une notion d'effort, si bien qu'on la retrouve aussi dans Kingdom, histoire d'évoquer une fois encore le titre de Yasuhisa Hara qui trempe dans un registre similaire (bien que chaque œuvre ait sa vision et son exécution). Ces promesses tenues par deux héros rêvant idéalement d'un pays égalitaire commencent à se concrétiser à partir du second tome qui change un poil de cap. Dès lors, Red Dragon devient un pure récit guerrier au cours duquel deux factions rebelles au pouvoir en place s'allient pour faire face à un ennemi commun. On pourrait dire que le titre devient un peu plus classique une fois ce cap franchi, dans le sens où le scénario se construit alors autour de différents champs de bataille dont l'issue sera toujours décisive pour la progression des héros, aka « l'armée de Chu ».


Dans ce registre, Masahiro Ikeno a sa façon de faire. Ses combats ne trainent jamais vraiment en longueur et mettent souvent l'accent sur une poignée de duels entre des guerriers vaillant et robustes de manière irréalistes. Cette vision n'est pas novatrice, mais elle est ici marquée par une mise en avant si appuyée de ces personnage que de simples fantassins ne trouvent jamais leur place dans l'histoire. La stratégie, elle, est souvent de mise et présentée en amont des batailles, sans jamais être trop développée. Le mot d'ordre du mangaka est surtout de dépeindre une action guerrière jouissive et des personnages (alliés de préférence) semblables à des héros inégalables, une approche très scolaire mais qui se marie bien avec la patte graphique de l'artiste. Celles et ceux qui l'ont vu à l’œuvre sur Malicious Code le savent bien : L'auteur aime jouer des nuances entre blanc et noir pour densifier son trait. Ce choix artistique a un sens dans des récits d'action tels que Red Dragon tant ils montrent une certaine force quand les scènes de guerre s'enrichissent de larges cases ou de double page. Le trait du mangaka est extrêmement stylisé et pertinent dans la direction prise pour le manga. Alors, quand bien même ces guerre qui nous est dépeinte manquerait éventuellement de crédibilité par instant, elle sait nous rassasier sur le pur plan visuel... mais aussi en terme de rythme.

Car si Red Dragon doit dépeindre une Chine en guerre pour un récit de pur divertissement, il fallait tout de même une maitrise aiguisée du rythme. A ce titre, Masahiro Ikeno sait équilibrer son récit tant chaque segment de l'histoire amène une progression significative, si bien qu'on peut se demander si l'auteur n'avait pas préalablement découpé son plan en parties distinctes. On ne pourra même pas jouer aux devins quant à l'interruption précipitée ou non du manga, tant l'auteur parvient à boucler son intrigue dignement via un ultime tome qui résout les enjeux sans plus de hâte que ce qui précédait. Le dernier long chapitre résout ce pan historique de la chute des Qin, ce qui semblait être l'enjeu initiale de ce récit. Red Dragon aurait pu aller plus loin en abordant la guerre Chu-Han, et seul l'auteur pourrait nous indiquer sa volonté initiale de traiter cette ère de l'Histoire de la Chine ou non. Le présent manga est donc court, a un rythme assumé depuis le départ, et s'achève sans nous laisser sur une incompréhension. Au contraire même, puisqu'un épilogue vient évoquer le devenir des personnages dans la guerre Chu-Han, histoire de ne pas nous laisser sur une conclusion totalement ouverte.
  

RED DRAGON © Masahiro IKENO 2016 / KADOKAWA CORPORATION

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