Ranpo vu par Maruo - Actualité manga
Dossier manga - Ranpo vu par Maruo
Lecteurs
12/20

La Chenille


Synopsis


Durant l'ère Taishö, le lieutenant Sunaga est rapatrié chez lui après avoir été blessé au combat. Accueilli en héros de guerre, il est désormais sourd, muet, manchot et cul-de-jatte. C’est à sa femme Tokiko qu'incombe la responsabilité de s'occuper du miraculé, un geste d'abnégation récompensé par les compliments de son entourage et la pension qu'offre gracieusement l'empire...


La nouvelle de Ranpo


À l'origine publié en 1929, La Chenille est une nouvelle de vingt pages disponible en France chez Picquier, dans l'ouvrage La chambre rouge.

Beaucoup considèrent Ranpo comme le créateur du genre ero-guro (même si on en trouve les prémisses dans des œuvres encore plus anciennes, c'est tout un débat), et La Chenille est l'une des nouvelles les plus connues (voire LA  nouvelle la plus connue) du genre ero-guro, ainsi que la plus représentative que ce que Ranpo a apporté au genre (dans celles parues en France, en tout cas).

On y retrouve en effet les deux ingrédients étymologiquement liés au genre, à savoir l'érotisme et le grotesque.
Le sexe chez Ranpo est souvent implicite, et lorsqu'il est explicite, ça n'est jamais décrit crûment. Dans la chenille, il met en scène un individu dégoûtant, estropié, en opposition totale avec les canons de beauté dont la politique ultranationaliste du Japon fait l'apologie à l'époque (il opère de même dans la bête aveugle en décrivant les déboires sexuels d'un aveugle décrit comme étant particulièrement laid). Le corps du lieutenant Sunaga, mutilé à outrance, se noie dans l'un des derniers plaisirs qu'il lui reste, le sexe, dans des scènes à la fois écœurantes, dramatique et grotesque. L'image suggérée par ce corps avide de plaisir charnel a quelque chose de ridicule, d'autant plus qu'il s'enfonce, avec sa femme, dans une spirale sadomasochiste de plus en plus intense, jusqu'à ce que dans un accès de rage face au regard de son mari (qui la défit, la vue étant l'un de ses derniers liens avec le monde extérieur), elle lui crève les yeux. Cette violence mêlée de désir, poussée à l'extrême à travers cette relation dominant/dominé (dominé dans un premier temps par le lieutenant Sunaga face à sa femme dévouée, puis par Tokiko, que la situation a rendue cruelle) deviendra l'un des poncifs du genre ero-guro, souvent repris par la suite.

La Chenille est une nouvelle novatrice et pionnière dans sa façon d'aborder la sexualité et les relations passionnelles et destructrices.
  
  
  
  
  

L'adaptation de Maruo


On trouve dans l'œuvre de Maruo une première « adaptation » non officielle de La chenille. Il s'agit du récit Nuit putride, disponible en France dans l'ouvrage Yume no Q-saku. On y suit une jeune femme s'occupant de son père, qui n'a plus ni bras ni jambes. Elle le nourrit, lui fait faire ses besoins et assouvit également ses pulsions sexuelles, puis finit par lui arracher le sexe. Le lien entre les deux œuvres est évident, malgré les nombreuses libertés prises par rapport à la nouvelle originale, et il faudra attendre 2009 pour que Maruo adapte officiellement le récit de Ranpo.

Dans les faits, l'adaptation est très fidèle, malgré quelques petits rajouts de la part de Maruo (comme la scène du spectacle de marionnettes). Il y a pourtant une différence fondamentale évidente : Maruo met des images sur les mots.
Ainsi, là où Ranpo ne faisait qu'évoquer les scènes de sexe (on passe clairement de l’érotisme à la pornographie, bien que toujours garant d’un certain esthétisme), ainsi que l'état du lieutenant Sunaga, Maruo le montre de façon brute, sans censure, sur de nombreuses pages. L'impact visuel est bien plus dérangeant que les descriptions de Ranpo, d'autant que Maruo n'hésite pas insister sur les parties génitales, moignons et autres morceaux de corps en lambeau.

Maruo n'a pas à travestir son style ni à modifier en profondeur la nouvelle de Ranpo pour que la transition paraisse  naturelle, les univers des maîtres s'accordant parfaitement. En lisant la chenille, on comprend pourquoi Maruo est considéré comme le successeur spirituel de Ranpo, le manga semble être l'évolution logique de la nouvelle.
L'effet produit par cette mise en image du texte traduit l'évolution dans le temps du genre ero-guro : il tend vers une forme encore plus libérée moralement, il est bien plus « choquant » qu'il y a quatre-vingt-cinq ans.
La raison en est simple, la censure est bien moindre qu'auparavant, de nombreux tabous ont été levés, et l'art se libère de plus en plus. Les extrêmes étant de plus en plus jusqu’au-boutistes, on peut penser que le genre et voué à péricliter, mais n’est-ce pas ce que fait l’art d’une façon générale ? Vaste question.

Notons au passage qu'une nouvelle de Shintaro Kago semble également inspirée de la célèbre nouvelle de Ranpo (dans Fraction), on y suit une jeune femme qui torture son mari estropié au sortir de la guerre.
  
  
  
  
  

Critique du militarisme et de l'ultra nationalisme ?


Ranpo a toujours nié ces faits, affirmant que le contexte de sa nouvelle n'est que matière à mettre en avant un récit dramatique. Pourtant, de nombreux points semblent contredire les propos de l'auteur, et on peut penser que Ranpo reniait ce côté critique pour sa sécurité.
La nouvelle s'ouvre sur un discours du général Washio, louant l'abnégation de Tokiko au quotidien. Dès la première page, on lit les phrases suivantes : « la voix du vieux général la gratifier de ses insupportables éloges », « les phrases qu'il ressassait inlassablement », « il s'obstinait, en outre, à appeler pompeusement son ancien subordonné par son grade ». S'ajoute à cela les scènes pitoyables où le lieutenant Sunaga admire ses médailles, ou les coupures de journaux à son sujet, uniques symboles témoignant encore de sa gloire passée.
On sent également dans le texte une critique de la société japonaise qui adule son armée, et qui n'offre aux soldats estropiés qu'une maigre pension et des compliments hypocrites, sans aucune véritable action sociale derrière.

Malgré les affirmations de Ranpo, il paraît improbable que son texte n'ait aucune portée idéologique. D'ailleurs, La chenille a été censurée durant les années de guerre, et le film Le soldat Dieu (réalisé par Wakamatsu Kôji), également tiré de la nouvelle de Ranpo, est lui clairement critique quant à la mentalité du Japon en temps de guerre (propagande, culte de la personnalité, ultranationalisme), bien qu'il s'agisse dans cette version de la Seconde Guerre mondiale. Maruo ne s'est quant à lui pas exprimé sur le sujet (du moins pas à ma connaissance), mais on a déjà vu l'homme affirmer à plusieurs reprises qu'il ne fallait pas toujours chercher un sens caché dans ses œuvres.
  
  
  

Commentaires

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Luciole21

De Luciole21 [2209 Pts], le 05 Septembre 2014 à 18h00

Merci pour la pertinence de ton commentaire, j'en tiendrai compte pour mes futurs travaux. 

saqura

De saqura [4244 Pts], le 08 Août 2014 à 14h34

12/20

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