La beauté des métaphores visuelles
Nous l'avons vu, la lecture de Plongée dans la nuit captive beaucoup pour la relation assez indescriptible et ne ressemblant à aucune autre entre Tsukiko et Aya. La crainte à la lecture aurait pu être la froideur, l'absence de vraies émotions chez les héroïnes. Mais des émotions, il y en a pourtant, et elles passent par un aspect essentiel de l'oeuvre: ses métaphores maritimes (et, brièvement, vampiriques, pour la façon dont Aya voit Tsukiko au début) qui imprègnent littéralement nombre de pages, jusqu'à parfois les submerger, tout comme elles submergent Tsukiko au tout début.
De l'eau, de l'écume, des vagues, de la faune marine apparaissent bien souvent, inondant les cases, voire sortant des cases ou les entourant, en apportant à l'oeuvre une envoûtante part de rêverie et de poésie. Mais ces effets de style imagés ne sont évidemment pas gratuits, et chacun d'eux semble retranscrire ce que les textes ne disent jamais: les vraies émotions s'emparant de Tsukiko, émotions dont elle-même n'a pas forcément conscience, voire parfois qu'elle réfute: il y a ainsi certaines envolées marines en totale contradiction avec ce que Tsukiko pense en son for intérieur, preuve qu'elle-même ne comprend pas forcément les émotions qui jaillissent en elle.
Ici, on voit la jeune fille littéralement submergée par sa toute première vision d'Aya sortant de l'eau. Là, des gouttes d'eau montrent que cette vision est encore ancrée en elle plus tard. Des petits bancs de poissons dirigés vers Aya montre l'intérêt qu'elle semble avoir pour cette dernière sans le dire ou même en avoir conscience. Des méduses piquantes ou des carcasses menaçantes de poissons dans le ciel laissent deviner les émotions plus négatives qu'elle ressent. Sans oublier les dernières pages du tome 1 où, tandis qu'Aya lâche des paroles assez fortes, la petite écume se transforme soudainement en immense vague l'emportant elle, la petite sirène.
On pourrait continuer ainsi la liste pendant longtemps, puisque ici nous nous sommes limités aux métaphores visuelles du premier volume, pour ne pas gâcher au lectorat le plaisir de découvrir celles des deux tomes suivants, qui sont tout aussi savoureuses, poétiques, hypnotiques et révélatrices.
Chaque apparition maritime se veut, ainsi, une retranscription du réel état d'esprit de Tsukiko en particulier, nous laissant alors mieux voir son for intérieur qu'elle-même ne cerne peut-être pas toujours, toute coincée qu'elle est depuis toujours dans son désintérêt pour les autres.
En somme la mangaka s'applique beaucoup à retranscrire la lente évolution de ses deux héroïnes et de leur relation, mais bien moins par les mots que par les visuels, ces derniers agissant bien souvent comme des métaphores du ressenti intérieur des deux jeunes filles. Ce ressenti qu'elles peinent à exprimer par leur voix, sur lequel elles ne parviennent pas toujours à bien poser les mots, mais que l'on cerne alors bien plus à travers certains de leurs actes presque anodins et via les trouvailles graphiques de l'autrice.
Quelques mots sur la patte visuelle de Goumoto
L'idée des métaphores visuelles dans Plongée dans la nuit est vraiment belle et captivante, et l'est d'autant plus qu'elle est visuellement rendue très aboutie par l'intensité du dessin de Goumoto.
En plus d'être assez réaliste dans le rendu des vagues, de l'eau, des animaux marins, c'est cadré avec une certaine science de la mise en scène.
Et au-delà des ces éléments marins, c'est aussi sur le reste que la dessinatrice séduit: ses héroïnes, et notamment leurs yeux bien différents, possèdent des designs à la fois riches et profonds, un sentiment encore renforcé par l'excellente utilisations des trames, de l'encrage et des jeux d'ombre.
Ca ne plaira pas forcément à tout le monde, encore plus couplé à un récit qui reste somme toute très posé, mais c'est assurément personnel, riche et maîtrisé, et ça accompagne parfaitement ce "voyage" pas comme les autres auprès de ces deux adolescentes.