Dossier manga - Plongée dans la nuit

Une relation n'entrant dans aucune case


Comment décrire l'histoire de la relation des deux héroïnes de Plongée dans la nuit en quelques mots ?

Il ne s'agit pas d'une histoire d'amour. Ni d'une histoire d'amitié telle qu'on la définit la plupart du temps. Mais plutôt de l'histoire de deux jeunes filles au premier abord complètement différentes, qui sont amenées à passer du temps ensemble car, pour certaines raisons, elles ressentent un intérêt pour l'autre.

Ce que nous propose tout d'abord l'oeuvre, en particulier dans sa première moitié, c'est de découvrir ces deux demoiselles, mais sans que celles-ci ne se découvrent elles-mêmes: c'est essentiellement à travers une narration passant d'une fille à l'autre, ou via quelques coups du hasard comme quand Tsukiko croise Aya dans la rue vers la fin du tome 1, que l'on a l'occasion d'entrevoir certains choses sur chacune d'elles.

Pourquoi Tsukiko, un prénom signifiant littéralement "enfant de la lune" et lui collant plutôt bien, est-elle ainsi, si solitaire, si distante, si désintéressée des autres ? Des explications, ou plutôt des suppositions, pourraient se dessiner à travers les différentes petites choses que l'on découvre sur son parcours.

Et au-delà de son côté extraverti et franc, que peut renfermer Aya en elle ? Une unique passion pour la nage (sans compétition, juste pour le plaisir), une peur d'être seule sans pour autant nouer de réelles amitiés (elle a juste le besoin d'être entourée), une situation familiale a priori un peu difficile financièrement...

Mais généralement, tout ceci, on ne fait que l'entrevoir. Car Tsukiko et Aya, même si elles passent du temps ensemble au point que des rumeurs finissent par courir sur elles, ne cherchent pas forcément à en apprendre vraiment plus l'une sur l'autre au départ, si bien qu'au bout du premier volume elles ne connaissent même quasiment rien de la vie de l'autre alors qu'elles sont souvent ensemble.



Néanmoins, cette situation va être plus ou moins amenée à évoluer, moins par le biais de la renfermée Tsukiko que par celui d'Aya, qui semble vouloir quand même construire une amitié plus concrète au bout d'un moment. Ainsi, intérieurement, en particulier dans le tome 2 on voit voit une Aya qui se questionne, tant elle a encore le sentiment que malgré son désir de rapprochement sa camarade reste inaccessible, un peu comme une fleur en haut d'une falaise, ou comme ces chauves-souris volant trop haut. Quant à Tsukiko, elle se questionne notamment sur l'utilité des amitiés, plus encore à une période comme l'adolescence, puisqu'un rien pourrait séparer les amies, comme un déménagement ou simplement la fin des années lycée. Et pourtant, au-delà des non-dits entre ces deux adolescentes qui ne connaissent toujours quasiment rien l'une de l'autre à ce moment-là, le captivant lien perdure. Aya veut voir Tsukiko nager, et se surprend elle-même à avoir ce genre de pensée. Elle a envie de voir sa camarade rejoindre son monde... mais Tsukiko, elle, que fera-t-elle ? Sur cette dernière interrogation, les choix visuels de Goumoto brillent vraiment, surtout lors des moments à deux à la piscine. Car si le fait que Tsukiko finisse par tremper ses pieds dans l'eau comme un début d'immersion dans le monde d'Aya, ce qu'elle finit ensuite par faire, en sautant dans la piscine toute habillée, est sans doute encore plus riche en symbole.

Dans le tome 3, les moments passées à deux à la piscine du lycée continuent de façon régulière pour Aya et Tsukiko, l'une barbotant joyeusement dans cette eau qui semble être son élément naturel, et l'autre se posant tranquillement sur le bord en trempant tout juste ses pieds mais en s'y sentant bien, au calme, avec juste la présence de cette nageuse pour la sortir de temps à autre de son mutisme. Observer leurs moments ensemble, dans ce tout petit cadre qui semble souvent n'appartenir qu'à elles, reste un plaisir doté d'une atmosphère particulière. Mais bientôt, les deux jeunes filles devront sûrement revenir à une réalité plus tangible avec la fin du lycée et tout ce que cela implique. Hors de "leur" piscine, Tsukiko et Aya ont certes l'occasion de vivre d'autres petits moments : faire équipe pour les achats du festival culturel, visiter l'aquarium, attendre le passage d'un typhon... mais ces moments apparaissent souvent très rapides, aussi rapides que le défilement d'une année de terminale. Cette année cruciale où, déjà, il est question des choix d'avenir, des rêves, etc. Les deux adolescentes, notamment au gré de leurs petites discussions, devront faire inévitablement leur choix, sans pour autant que cela trouble leur lien si unique, un lien qui n'évolue pas vraiment tout compte fait, où elles ne se définissent pas spécialement comme amies, mais où elles se sentent simplement bien l'une en compagnie de l'autre. Dans tout ça, c'est en particulier le cas de Tsukiko qui ressort: cette fille en partie inaccessible et si difficile à cerner reste un mystère pour Aya, même si cette dernière adore passer son temps avec elle et aimerait se rapprocher encore plus d'elle. Mais pour ça, il faudrait déjà parvenir à maintenir un lien une fois le lycée terminé, chose plus facile à dire qu'à faire... Au fil des interactions entre ses deux héroïnes, Goumoto aura alors l'occasion, dans la dernière ligne droite de sa série, d'esquisser quelques réflexions sur les notions d'amitié et d'attachement, sur le temps, sur les incertitudes de l'avenir, sur les regrets du passé. Et à l'arrivée, on semble d'abord se diriger vers une fin étonnamment terre-à-terre, comme si leurs moments passés ensemble au lycée n'avaient été qu'une parenthèse de jeunesse. Peut-être que les toutes dernières pages y changeront quelque chose, ou non. A chacun de se faire son avis.



Quant le monde d'Aya et Tsukiko s'élargit


A partir du deuxième volume de sa série, la mangaka est loin de se limiter à ses deux héroïnes, puisqu'elle prend soin d'élargir quelque peu la palette de personnages autour de certaines autres adolescentes, camarades de classe croisées par Aya et Tsukiko.

Ainsi, dès le début du tome 2, on s'intéresse le temps d'un chapitre à Hanano, lycéenne enchaînant visiblement les petits copains, tandis que perdure depuis un long moment son désir de se rapprocher d'un jeune prof charismatique. L'occasion, entre autres, d'évoquer le regard adolescent sur les adultes, ou encore le désir de cette jeune fille de vivre sincèrement, selon ses désirs, car si la vie est courte, l'adolescence l'est encore plus.

Mais il y a aussi, par la suite, le cas de Maihara, jeune fille passionnée de théâtre qui s'interroge beaucoup, justement, sur sa passion. Elle aime le théâtre mais se dit qu'elle n'est pas douée et qu'elle aurait dû aimer autre chose, et se questionne sur la longévité de sa passion dans le futur. Elle se demande pourquoi elle aime ça, jusqu'à se dire que les choses sans justification sont fragiles et peuvent s'estomper soudainement... Vraiment ? C'est pourtant un peu le contraire pour Aya: c'est précisément parce qu'elle vit le plus simplement du monde, sans compétition ni quoi que ce soit d'autre, sa passion pour la natation qu'elle aime autant ça et ne s'en lasse pas.



Enfin, face à Maihara, il est également intéressant de noter le cas de Shinonome, centre de l'attention du club de théâtre, mais qui en a justement marre d'être mise en avant ainsi. Dans chaque cas, le propos est bref mais bien mené, et est porté par diverses petites imageries visuelles: fleurs, nuages...

Et puisque l'on parle d'imagerie visuelle, il est temps de s'attaquer à la plus grande qualité et spécificité de Plongée dans la nuit...

  


YORU TO UMI © GOUMOTO 2018 Originally published in Japan in 2018 by HOUBUNSHA, Tokyo.

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